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LES FORMES DE LA PENSÉE
honnir le roi d’Angleterre Henri V. Ceux de Condé déclarent
n’avoir pas le temps de se rendre parce qu’ils sont occupés
à faire leurs crêpes pour la fête de Pâques. A Montereau,
les bourgeois, debout sur le mur, époussètent leurs chaperons
quand le canon des assiégeants a fait feu (1). Nous avons
déjà dit que le camp du Téméraire devant Neuss avait
un air de kermesse (2).
Il est un domaine où cette intrusion de la farce dans les
choses sérieuses nous affecte davantage : c’est celui de la
sorcellerie et de la démonomanie. La croyance aux démons
avait sa source dans une grande et profonde angoisse, mais
l’imagination naïve colorait si puérilement les démons, les
rendait si familiers qu’ils perdaient parfois toute leur horreur.
Ce n’est pas seulement dans la littérature que le diable est
un personnage comique : dans le terrible sérieux des procès
de sorcellerie, la compagnie de Satan a parfois des allures
bouffonnes. Les diables qui, sous la conduite de leurs ca-
pitaines Tahu et Gorgias, troublaient la paix d’un couvent
de religieuses, portaient des noms « assez consonnans aux
noms des mondains habits, instruments et jeux du temps
présent, comme Pantoufle, Courtaulx et Mornifle » (3).
Le xve siècle, a été, par excellence, le siècle des procès
de sorcellerie. A l’époque où nous avons l’habitude de clore
le moyen-âge pour saluer l’Humanisme glorieux, la han-
tise de la sorcellerie, terrible excroissance de la civilisation
médiévale, recevait sa confirmation dans le Maliens male-
ficarum et dans la bulle Summis desiderantes (1487 et 1484).
Et ni humanisme ni réforme ne mettent fin à cette fureur :
l’humaniste Jean Bodin, écrivant dans la deuxième moitié
du xvie siècle son livre sur la Démonomanie., donne aux
désirs de persécutions l’appui de son érudition. Les temps
nouveaux, le nouveau savoir n’écartent pas tout de suite
les horreurs des persécutions. Et, d’autre part, les idées les
(1) Monstrelet, IV, p. 93 ; Livre des Trahisons, p. 157 ; Molinet, II, p. 129 ;
cf. du Clercq, IV, p. 203, 275 ; Th. Pauli, p. 278.
(2) Molinet, I, p. 65.
(3) Molinet, IV, p. 417. Courtaulx désigne un instrument de musique et Mor-
nifle un jeu de cartes.
LES FORMES DE LA PENSÉE
honnir le roi d’Angleterre Henri V. Ceux de Condé déclarent
n’avoir pas le temps de se rendre parce qu’ils sont occupés
à faire leurs crêpes pour la fête de Pâques. A Montereau,
les bourgeois, debout sur le mur, époussètent leurs chaperons
quand le canon des assiégeants a fait feu (1). Nous avons
déjà dit que le camp du Téméraire devant Neuss avait
un air de kermesse (2).
Il est un domaine où cette intrusion de la farce dans les
choses sérieuses nous affecte davantage : c’est celui de la
sorcellerie et de la démonomanie. La croyance aux démons
avait sa source dans une grande et profonde angoisse, mais
l’imagination naïve colorait si puérilement les démons, les
rendait si familiers qu’ils perdaient parfois toute leur horreur.
Ce n’est pas seulement dans la littérature que le diable est
un personnage comique : dans le terrible sérieux des procès
de sorcellerie, la compagnie de Satan a parfois des allures
bouffonnes. Les diables qui, sous la conduite de leurs ca-
pitaines Tahu et Gorgias, troublaient la paix d’un couvent
de religieuses, portaient des noms « assez consonnans aux
noms des mondains habits, instruments et jeux du temps
présent, comme Pantoufle, Courtaulx et Mornifle » (3).
Le xve siècle, a été, par excellence, le siècle des procès
de sorcellerie. A l’époque où nous avons l’habitude de clore
le moyen-âge pour saluer l’Humanisme glorieux, la han-
tise de la sorcellerie, terrible excroissance de la civilisation
médiévale, recevait sa confirmation dans le Maliens male-
ficarum et dans la bulle Summis desiderantes (1487 et 1484).
Et ni humanisme ni réforme ne mettent fin à cette fureur :
l’humaniste Jean Bodin, écrivant dans la deuxième moitié
du xvie siècle son livre sur la Démonomanie., donne aux
désirs de persécutions l’appui de son érudition. Les temps
nouveaux, le nouveau savoir n’écartent pas tout de suite
les horreurs des persécutions. Et, d’autre part, les idées les
(1) Monstrelet, IV, p. 93 ; Livre des Trahisons, p. 157 ; Molinet, II, p. 129 ;
cf. du Clercq, IV, p. 203, 275 ; Th. Pauli, p. 278.
(2) Molinet, I, p. 65.
(3) Molinet, IV, p. 417. Courtaulx désigne un instrument de musique et Mor-
nifle un jeu de cartes.