dans quelle école particulière s’est-il formé ? — Son originalité est si
puissante qu’on n’y démêle guère les éléments appris, les traces des leçons
reçues : il s’élève comme un arbre puissant, dont on ne voit pas les racines.
Bien plus, les premières œuvres de date certaine marquent déjà un
apogée. Comment cet art s’est-il développé ? Même si l’on pouvait
admettre que le génie d’un seul homme a tout créé, il n’a sûrement pu
le faire d’un coup : quels furent les premiers jours de sa genèse ? où sont
les traces des étapes successivement franchies ? Si jamais nous retrouvons
quelqu’une de ces œuvres antérieures, nous pouvons être persuadés
d’avance qu’elle sera loin des œuvres de pleine maturité : les écarts
seront d’autant plus grands que l’ascension a été plus rapide. Un artiste,
même de génie, a dû débuter près du niveau de ses initiateurs.
Tâtonnant dans cette obscurité, j’avais, en 1902, dans le catalogue
critique de l’exposition de Bruges, timidement signalé, comme œuvres
probables de Hubrecht, antérieures à l’Adoration de l’Agneau, La Vierge
dans TÉglise, du musée de Berlin, Les saintes femmes au tombeau du
Christ, de la collection Cook, les volets du Crucifiement et du Jugement
Dernier, du musée de l’Ermitage, Le Calvaire, du musée de Berlin.
La même année devait voir apparaître enfin une lumière nouvelle :
on peut affirmer sans hésitation qu’aucune des innombrables publications
sur l’Histoire de l’Art, parues depuis de longues années, n’égale en
fécondité celle des Heures de Turin, par le comte Paul Durrieu. C’est
à bon droit qu’il a pu appeler celles-ci « le monument documentaire le
» plus précieux à invoquer, dans l’état actuel des choses, relativement
» au problème des débuts des Van Eyck ».
Hélas ! on ne sait que trop comment cette publication devint double-
ment précieuse, par la destruction à jamais lamentable, et impardonnable,
de l’original.
Je ne connais pas d’histoire plus tragique que celle de ce chef-
d’œuvre. Quand je le vis, en 1903, il était d’une fraîcheur exceptionnelle.
Les bords des pages étaient presque vierges, montrant combien peu il
avait été feuilleté. Même l’argent, employé de-ci de-là par les enlumineurs,
n’avait pas noirci, preuve péremptoire que les pages n’avaient guère subi
le contact de l’air. Le précieux manuscrit s’était donc bientôt fermé sur ses
merveilleuses peintures, les cachant pendant des siècles entre ses feuillets
II
puissante qu’on n’y démêle guère les éléments appris, les traces des leçons
reçues : il s’élève comme un arbre puissant, dont on ne voit pas les racines.
Bien plus, les premières œuvres de date certaine marquent déjà un
apogée. Comment cet art s’est-il développé ? Même si l’on pouvait
admettre que le génie d’un seul homme a tout créé, il n’a sûrement pu
le faire d’un coup : quels furent les premiers jours de sa genèse ? où sont
les traces des étapes successivement franchies ? Si jamais nous retrouvons
quelqu’une de ces œuvres antérieures, nous pouvons être persuadés
d’avance qu’elle sera loin des œuvres de pleine maturité : les écarts
seront d’autant plus grands que l’ascension a été plus rapide. Un artiste,
même de génie, a dû débuter près du niveau de ses initiateurs.
Tâtonnant dans cette obscurité, j’avais, en 1902, dans le catalogue
critique de l’exposition de Bruges, timidement signalé, comme œuvres
probables de Hubrecht, antérieures à l’Adoration de l’Agneau, La Vierge
dans TÉglise, du musée de Berlin, Les saintes femmes au tombeau du
Christ, de la collection Cook, les volets du Crucifiement et du Jugement
Dernier, du musée de l’Ermitage, Le Calvaire, du musée de Berlin.
La même année devait voir apparaître enfin une lumière nouvelle :
on peut affirmer sans hésitation qu’aucune des innombrables publications
sur l’Histoire de l’Art, parues depuis de longues années, n’égale en
fécondité celle des Heures de Turin, par le comte Paul Durrieu. C’est
à bon droit qu’il a pu appeler celles-ci « le monument documentaire le
» plus précieux à invoquer, dans l’état actuel des choses, relativement
» au problème des débuts des Van Eyck ».
Hélas ! on ne sait que trop comment cette publication devint double-
ment précieuse, par la destruction à jamais lamentable, et impardonnable,
de l’original.
Je ne connais pas d’histoire plus tragique que celle de ce chef-
d’œuvre. Quand je le vis, en 1903, il était d’une fraîcheur exceptionnelle.
Les bords des pages étaient presque vierges, montrant combien peu il
avait été feuilleté. Même l’argent, employé de-ci de-là par les enlumineurs,
n’avait pas noirci, preuve péremptoire que les pages n’avaient guère subi
le contact de l’air. Le précieux manuscrit s’était donc bientôt fermé sur ses
merveilleuses peintures, les cachant pendant des siècles entre ses feuillets
II