N°
5.
15 Mars 1875.
Quinzième Anne'e.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
Paraissant deux fois par mois, sons la direction de M. Ad. SIRET, memlire de l'Academie royale de Belgique, memlire correspondant de la Commission royale des monuments, membre de
l'Institut des provinces de France, de la Société française d'Ardiéologie, de l'Académie de Reims, de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
__ _ .
fi’. Pour les autres pays ,
.. c. la ligne. — Pour ies
r tout ce qui regarde Pad-
BeàUX-Arts, rue du Casino,
sera adressé à la rédaction.
SOMMAIRE : Belgique : Les Jardins flamands
a la fin du XVIme siècle. — Corr. de Bruxelles.
— Autre : Collection Simonet. — Le Dessin
exaet. — France : Corr. parisienne. — Corres-
pondance de Malzeville. — Corr. parisienne
la collection Papin. — Chronique générale.
— Annonces.
Belgique.
LES JARDINS FLAMANDS
A LA FIN DU XVIe SIÈCLE
AU POINT DE VUE DE l’aRT.
(Fin.)
Olivier île Serres, (i) (un nom prédestiné;
il est vrai que l’architecte des jardins du
prince d’Orange qui publia, en 1669,le Jar-
dinier hollandais, s’appelait van der Green)
publia en 1600 son Théâtre d'Agriculture
flui nous donne tous les renseignements
désirables sur l’époque qui nous occupe, où
l’on conçut à la fois d’une façon plus simple
et plus élégante les galeries et les pavillons,
où l’on commença à élever des orangeries
et où la flore d’Europe s’enrichit de végé-
taux exotiques.
Nous n’avons pas l’édition princeps du
livre d’Olivier de Serres, mais celle que
flous possédons est la plus complète ; elle
porte cette énonciation fatidique, « dernière
édition » ; c’était la dix-huitième. Le livre
fle fut plus imprimé depuis, qu’en 1804.
Après la révocation de l’Edit de Nantes,
le calviniste fit tort à l’agronome : on cessa
de lire son œuvre, on préféra la médiocre * *
(i) Olivier de Serres, sieur du Pradel (Olivarius
Serranus Pradellus), gentilhomme huguenot,
agronome et jardiniste célèbre, naquit en 1539
*"1 domaine de Pradel, près Villeneuve de Berg
(Ardèche). Il dut s’exiler dans sa jeunesse, car il
Parle de l’Orangerie de Heidelberg, environnée
d’une cloison mobile de charpenterie à grandes
fenêtres durant ies mauvais temps « où les arbres
sont tenus chaudement par des poêles qu’on y
eschauiïe, » en homme qui l’a visitée. Il épousa
en 1559 Marguerite d’Arcous de Villeneuve de
fierg et fut nommé diacre calviniste de l’église
de Berg, en 1561. Henri IV fit appel à son expé-
rience au moment où Sully voulut introduire en
France les magnaneries. Sa « Ceuillette de la
*oie, «premier opuscule qu’il publia,date de 1599.
'{année suivante vit éditer à Paris son Théâtre
agriculture. Husard compte 19 éditions de ee
dvre réédité en 1804. Le Traité d’architecture
‘‘‘astique qu’il y annonce n’a jamais paru. Olivier
de Serres mourut le 2 Juillet 1619. La devise de
famille était : Sans Dieu rien ne f eut profiter.
Utrus Nevelletus Doschius lui adresse l’appel-
uition de « Sancte Senex. »
Maison rustique de Charles Eslienne complé-
tée par Liébaut. Voici le titre de notre
exemplaire : « Le Théâtre d’agriculture et
» mesnage des champs, par le sieur Olivier
» de Serres, sieur du Pradel, où est repré-
» senté tout ce qui est requis et nécessaire
» pour bien dresser, gouverner,enrichir et
» embellir la maison rustique. Dernière
» édition, revue corrigée de nouveau et
» augmentée de la chasse au loup et de la
» composition et usage de la jauge.A Lyon,
» chez Jean-Baptiste de Ville,rue Mercière,
» à la Science. A1DC. LXXV. Avec permis-
sion. »
C’est le texte du livre de ce gentilhomme
huguenot qui va expliquer les gravures de
son coreligionnaire,l’architecte Hans Vrede-
man, et nous fournir de la sorte une résur-
rection véritable de l’art des Jardins aux
Pays-Bas, à la tin du XVIe siècle.
Androuet du Cerceau, publia à Paris, en
1582 « Le livre d'architecture pour baslir aux
champs et le Livre des plans et parterres des
Jardins de Propreté. » On sait que du Cer-
ceau, qui fut en relations amicales avccVre-
deman De Vriese, ne mil pas toujours dans
les emprunts qu’il fit à son confrère flamand,
toute la délicatesse désirable. Olivier de
Serres qui ne jalouse personne,dit en toute
franchise, que les dessins des parterres de
compartiments qu’il donne, sont de la com-
position du sieur Claude Molet, jardinier de
S. M., et rend pleine justice aux jardiniers
de Leyde et à notre Charles de Lescluse
qu’il salue du nom de « père des fleurs. »
L’art de tracer des dessins végétaux oc-
cupe avant tout Olivier de Serres : ses par-
terres debroderies et de compartiments,ses
dédalus ou labyrinthes, l’absorbent comme
composition, terrains et végétaux appropriés.
Les parterres, (du latin partiri) sont fort
anciens : on fait mention de parterres dans
la description du palais de Scaurus. On dis-
tinguait deux espèces de parterres, ceux
de Broderie et ceux de Compartiment (pom-
per limcnta). Olivier de Serres appelle le
jardinier « l'orfèvre de la terre. » Cette ex-
pression est fort juste, caries compertimenla
sont nés des motifs du style plaleresco im-
portés d’Espagne aux Pays-Bas. Ces com-
partiments de verdure, entrecoupés de sen-
tiers et de plates-bandes, forment la plus
riche et la plus délicate partie de l’orne-
mentation des jardins du XVIe au XVIIIe
siècle.
Les parterres de Compartiment différaient
de ceux de Broderie,en ce que,dans un même
I ensemble, le dessin était symétriquement
répété quatre fois dans une même pièce.
Les parterres de broderie pouvaient cepen-
dant être symétriquement répétés dans les
quatre sens, mais le dessin de chaque pièce
était arbitraire.
La disposition des compartiments déri-
vait toujours de combinaisons géométri-
ques ; une foule de lignes droites, courbes
et d’ornements variés, en composaient les
éléments décoratifs. Ils étaient désignés
par la phraséologie du temps conservée jus-
qu’à la fin du XVIIIe siècle par les noms
techniques suivants : Rinceaux, Fleurons,
Palmelles, Feuilles refendues, Becs de Corbin,
Traits, Mlles, Volutes, Nœuds, Naissances,
Agraffes, Chapelets, Gaines, Culots, Car-
touches, Attaches, Feuilles tronquées, Dents de
Loup ou Trèfles, Panaches, Compartiments,
Guillochis ou Enlrelas, Enroulements, Mas-
sifs et Coquilles de gazon. On peut joindre à
ces motifs les chiffres, devises, écussons,
supports, heaumes et couronnes héraldi-
ques se rapportant aux armoiries du pro-
priétaire.
Les sentiers sablés de tuileau pilé, de
mâchefer, de sable blanc ou jaune, n’é-
taient pas destinés à être foulés parles
pieds des promeneurs ; ils servaient à dé-
tacher les pièces de compartiment ou de
broderie. Olivier de Serres donne à ce pro-
pos des instructions méticuleuses.
« Les terres de couleur seront choisies
» propres à ce service non toutefois de
» mauvaise nature, afin de n’offenser les
t> herbes. Il se trouve de terre naturelle-
» ment rouge,aussi de jaune et de blanche,
» n’ayant autres mauvaises qualités que
» l’infertilité laquelle en cet endroit est
s utile ; pareeque ne produisant aucun
» herbage, le parterre en demeure net au
j soulagement du jardinier... Touchant la
> couleur noire elle se fera avec de l’ar-
» doise brisée. De la verte ne vous en met-
» tez pas en peine, attendu que les herbes
» du parterre n’estans d’autre couleur n’ont
» pas besoin de ce voisinage, mais de celui
» dont la diversité les fait discerner. »
Cette dernière réflexion de l’agronome
français, cette excuse bredouiilée alors qu’il
avait de si bonnes raisons de ne pas mettre
de terre verte sur sa palette de jardinier, ce
souci et ce manque de tonalité quand une
masse de verdure doit forcément se déta-
cher sur les terres de couleur, nous semble
d’une naïveté digne des plus beaux jours
de La Palisse.
5.
15 Mars 1875.
Quinzième Anne'e.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE
Paraissant deux fois par mois, sons la direction de M. Ad. SIRET, memlire de l'Academie royale de Belgique, memlire correspondant de la Commission royale des monuments, membre de
l'Institut des provinces de France, de la Société française d'Ardiéologie, de l'Académie de Reims, de l'Académie d'Archéologie de Madrid, etc.
__ _ .
fi’. Pour les autres pays ,
.. c. la ligne. — Pour ies
r tout ce qui regarde Pad-
BeàUX-Arts, rue du Casino,
sera adressé à la rédaction.
SOMMAIRE : Belgique : Les Jardins flamands
a la fin du XVIme siècle. — Corr. de Bruxelles.
— Autre : Collection Simonet. — Le Dessin
exaet. — France : Corr. parisienne. — Corres-
pondance de Malzeville. — Corr. parisienne
la collection Papin. — Chronique générale.
— Annonces.
Belgique.
LES JARDINS FLAMANDS
A LA FIN DU XVIe SIÈCLE
AU POINT DE VUE DE l’aRT.
(Fin.)
Olivier île Serres, (i) (un nom prédestiné;
il est vrai que l’architecte des jardins du
prince d’Orange qui publia, en 1669,le Jar-
dinier hollandais, s’appelait van der Green)
publia en 1600 son Théâtre d'Agriculture
flui nous donne tous les renseignements
désirables sur l’époque qui nous occupe, où
l’on conçut à la fois d’une façon plus simple
et plus élégante les galeries et les pavillons,
où l’on commença à élever des orangeries
et où la flore d’Europe s’enrichit de végé-
taux exotiques.
Nous n’avons pas l’édition princeps du
livre d’Olivier de Serres, mais celle que
flous possédons est la plus complète ; elle
porte cette énonciation fatidique, « dernière
édition » ; c’était la dix-huitième. Le livre
fle fut plus imprimé depuis, qu’en 1804.
Après la révocation de l’Edit de Nantes,
le calviniste fit tort à l’agronome : on cessa
de lire son œuvre, on préféra la médiocre * *
(i) Olivier de Serres, sieur du Pradel (Olivarius
Serranus Pradellus), gentilhomme huguenot,
agronome et jardiniste célèbre, naquit en 1539
*"1 domaine de Pradel, près Villeneuve de Berg
(Ardèche). Il dut s’exiler dans sa jeunesse, car il
Parle de l’Orangerie de Heidelberg, environnée
d’une cloison mobile de charpenterie à grandes
fenêtres durant ies mauvais temps « où les arbres
sont tenus chaudement par des poêles qu’on y
eschauiïe, » en homme qui l’a visitée. Il épousa
en 1559 Marguerite d’Arcous de Villeneuve de
fierg et fut nommé diacre calviniste de l’église
de Berg, en 1561. Henri IV fit appel à son expé-
rience au moment où Sully voulut introduire en
France les magnaneries. Sa « Ceuillette de la
*oie, «premier opuscule qu’il publia,date de 1599.
'{année suivante vit éditer à Paris son Théâtre
agriculture. Husard compte 19 éditions de ee
dvre réédité en 1804. Le Traité d’architecture
‘‘‘astique qu’il y annonce n’a jamais paru. Olivier
de Serres mourut le 2 Juillet 1619. La devise de
famille était : Sans Dieu rien ne f eut profiter.
Utrus Nevelletus Doschius lui adresse l’appel-
uition de « Sancte Senex. »
Maison rustique de Charles Eslienne complé-
tée par Liébaut. Voici le titre de notre
exemplaire : « Le Théâtre d’agriculture et
» mesnage des champs, par le sieur Olivier
» de Serres, sieur du Pradel, où est repré-
» senté tout ce qui est requis et nécessaire
» pour bien dresser, gouverner,enrichir et
» embellir la maison rustique. Dernière
» édition, revue corrigée de nouveau et
» augmentée de la chasse au loup et de la
» composition et usage de la jauge.A Lyon,
» chez Jean-Baptiste de Ville,rue Mercière,
» à la Science. A1DC. LXXV. Avec permis-
sion. »
C’est le texte du livre de ce gentilhomme
huguenot qui va expliquer les gravures de
son coreligionnaire,l’architecte Hans Vrede-
man, et nous fournir de la sorte une résur-
rection véritable de l’art des Jardins aux
Pays-Bas, à la tin du XVIe siècle.
Androuet du Cerceau, publia à Paris, en
1582 « Le livre d'architecture pour baslir aux
champs et le Livre des plans et parterres des
Jardins de Propreté. » On sait que du Cer-
ceau, qui fut en relations amicales avccVre-
deman De Vriese, ne mil pas toujours dans
les emprunts qu’il fit à son confrère flamand,
toute la délicatesse désirable. Olivier de
Serres qui ne jalouse personne,dit en toute
franchise, que les dessins des parterres de
compartiments qu’il donne, sont de la com-
position du sieur Claude Molet, jardinier de
S. M., et rend pleine justice aux jardiniers
de Leyde et à notre Charles de Lescluse
qu’il salue du nom de « père des fleurs. »
L’art de tracer des dessins végétaux oc-
cupe avant tout Olivier de Serres : ses par-
terres debroderies et de compartiments,ses
dédalus ou labyrinthes, l’absorbent comme
composition, terrains et végétaux appropriés.
Les parterres, (du latin partiri) sont fort
anciens : on fait mention de parterres dans
la description du palais de Scaurus. On dis-
tinguait deux espèces de parterres, ceux
de Broderie et ceux de Compartiment (pom-
per limcnta). Olivier de Serres appelle le
jardinier « l'orfèvre de la terre. » Cette ex-
pression est fort juste, caries compertimenla
sont nés des motifs du style plaleresco im-
portés d’Espagne aux Pays-Bas. Ces com-
partiments de verdure, entrecoupés de sen-
tiers et de plates-bandes, forment la plus
riche et la plus délicate partie de l’orne-
mentation des jardins du XVIe au XVIIIe
siècle.
Les parterres de Compartiment différaient
de ceux de Broderie,en ce que,dans un même
I ensemble, le dessin était symétriquement
répété quatre fois dans une même pièce.
Les parterres de broderie pouvaient cepen-
dant être symétriquement répétés dans les
quatre sens, mais le dessin de chaque pièce
était arbitraire.
La disposition des compartiments déri-
vait toujours de combinaisons géométri-
ques ; une foule de lignes droites, courbes
et d’ornements variés, en composaient les
éléments décoratifs. Ils étaient désignés
par la phraséologie du temps conservée jus-
qu’à la fin du XVIIIe siècle par les noms
techniques suivants : Rinceaux, Fleurons,
Palmelles, Feuilles refendues, Becs de Corbin,
Traits, Mlles, Volutes, Nœuds, Naissances,
Agraffes, Chapelets, Gaines, Culots, Car-
touches, Attaches, Feuilles tronquées, Dents de
Loup ou Trèfles, Panaches, Compartiments,
Guillochis ou Enlrelas, Enroulements, Mas-
sifs et Coquilles de gazon. On peut joindre à
ces motifs les chiffres, devises, écussons,
supports, heaumes et couronnes héraldi-
ques se rapportant aux armoiries du pro-
priétaire.
Les sentiers sablés de tuileau pilé, de
mâchefer, de sable blanc ou jaune, n’é-
taient pas destinés à être foulés parles
pieds des promeneurs ; ils servaient à dé-
tacher les pièces de compartiment ou de
broderie. Olivier de Serres donne à ce pro-
pos des instructions méticuleuses.
« Les terres de couleur seront choisies
» propres à ce service non toutefois de
» mauvaise nature, afin de n’offenser les
t> herbes. Il se trouve de terre naturelle-
» ment rouge,aussi de jaune et de blanche,
» n’ayant autres mauvaises qualités que
» l’infertilité laquelle en cet endroit est
s utile ; pareeque ne produisant aucun
» herbage, le parterre en demeure net au
j soulagement du jardinier... Touchant la
> couleur noire elle se fera avec de l’ar-
» doise brisée. De la verte ne vous en met-
» tez pas en peine, attendu que les herbes
» du parterre n’estans d’autre couleur n’ont
» pas besoin de ce voisinage, mais de celui
» dont la diversité les fait discerner. »
Cette dernière réflexion de l’agronome
français, cette excuse bredouiilée alors qu’il
avait de si bonnes raisons de ne pas mettre
de terre verte sur sa palette de jardinier, ce
souci et ce manque de tonalité quand une
masse de verdure doit forcément se déta-
cher sur les terres de couleur, nous semble
d’une naïveté digne des plus beaux jours
de La Palisse.