— 18 —
Les catalogues nous feront sans doute l'his-
torique de cette collection qui aura sa place
dans le monde de la curiosité, bornons-nous
aux œuvres à signaler comme nous le pour-
rons dans ce rapide et émouvant pèlerinage.
Une Naissance de Vénus, par M. Coypel,
nous saisit tout d'abord. C'est d'un bel en-
semble, et fort gracieux, coloris doux; dessin
un peu sec. Quelques naiades sont char-
mantes et supérieures à Vénus, un peu fade
et courte en jambes. — Un Willem Van de
Velde très beau, ouvert, frais, lumineux : à
Scheveningue. — Jean Van Croos, peintre
peu connu d'après Siret, et qui mériterait de
l'être davantage, car la Vue de ville qui est
ici, est prodigieuse d'effet sans beaucoup d'ef-
forts; coloris" d'une clarté superbe. —-Van
der Meer, de Delft, un Géographe très in-
tense comme lumière. — Fr. Boucher, un
Paysage de très grande allure, mais qu'on
s'étonne de voir sortir des mains d'un artiste
dont ce n'était pas la spécialité. N'y a-t-il pas
erreur dans cette attribution? — Une Tête
de taureau, de J. Beeldemaeker. Belle tête,
vraiment, et quel naturel! — Pastorale, de
Huet, très gracieuse, très souple, d'un coloris
charmant quoique faible et d'un dessin pi-
quant. — Salomon Ruisdael, Bords de la
Meuse. Ce merveilleux tableau est connu ; les
curieux savent son histoire et sa nouvelle
apparition fera événement à n'en pas douter.
Inutile que je vous dise ce qu'il y a de vérité,
de local, de senti dans cette page émouvante.
— Paul Potter. Le Coup de vent; encore une
merveille qui a ses papiers et ses aventures.
Où ira-t-il cette fois? Quel est le musée où
s'arrêtera enfin sa course aventureuse qui
dure depuis plus de deux siècles?—La Halte
de Nicolas Berchem. Bien conservée et où
les roux et les noirs ne sont pas trop accusés.
Rappelons-nous qu'en 1744, un de ses ta-
bleaux se vendait 479 livres et qu'à l'heure
qu'il est ce ne serait pas se compromettre que
de pousser jusqu'à 20,000 fr.et plus.—Portrait
du graveur Schmidt, par Maurice Quantin
Latour. Ah ! la merveilleuse chose que ce bijou
et que d'appétits vient se grouper tout à 1 en-
tour. — Jean Steen : Concert de famille.
Une des perles de ce riche écrin. Œuvre su-
perbe qui surpasse les plus superbes de ma
connaissance. Attendez-vous à des péripéties
homériques autour de ce cadre vertigineux
d'un éclat, d'une force, d'une solidité que je
n'ai rencontrés dans aucun autre tableau de
cet auteur. Quelle grâce nonchalante dans ce
cavalier bon enfant et bien nourri qui fait sa
partie de guitare sur le banc à gauche et
quelle malice dans ce gamin qui racle au
moyen d'une longue pipe les cordes d'un vio-
loncelle ! Et puis quelle ampleur dans tout
cela et quelle pâte! — Drouais. Portrait de
femme, très franc d'allure, d'une coloration
un peu maniérée mais fraîche. Joli spécimen
du talent d'un maître qui peignit les beautés
de son temps. — Une étude de Rubens poul-
ie plafond de Whitehall sera encore une des
attractions de cette vente prodigieuse. Le talent
du grand maître se révèle ici avec une puis-
sance qui n'a jamais peut-être égalée ailleurs.
Comme dessin c'est plus fort que tout ce
qu'on connaît de lui sinon comme noblesse
du moins comme science, jet et exécution.—
Le Cheval blanc de Wouwerman (Ph.), autre
perle dont vont s'amouracher les amateurs ;
d'une finesse, d'une ténuité, d'une transpa-
rence opaline et surtout d'un modelé élégant
et nerveux qui justifie les convoitises des
Spartman de l'art. — Adrien van de Velde
est plus lourd évidemment dans son Abreu-
voir, mais quelle finesse dans le ciel et quelle
vie effective dans ses bestiaux ; de plus comme
tout s'agence sous ce pinceau rude et puis-
sant ! — Le portrait de Tocqué par Nattoir ;
la Colombe de Shall sont intéressants. Ce
dernier se révèle pour la première fois à nous
comme peintre de figures et très vraisembla-
blement comme élève de Greuze, mais plus
maniéré. — hePaysage de Wynandts avec ses
petites touches sablées en pleine lumière est
adorable. — Le Fyt et Glauber est un peu
prétentieux dans son allure et n'était l'exécu-
tion, l'œuvre passerait sans émotion. — Le
portrait de Drouais nous montre une figure
d'homme sur un corps de femme.— Combien
je préfère cette suave marquise de Noailles,
de Lagrenée, arrangée un tantinet en préten-
tieuse mythologique. La chair de la marquise
est d'une grande fraîcheur de coloris et il y a
beaucoup de grâce dans le modelé des bras et
des mains. — La Lucrèce de Rembrandt,
qu'à première vue j'avais prise pour un van
den Eeckhout, offre un effet de lumière très
accentué et très piquant. Sous ce rapport
c'est très solide et cela préoccupe plus que
l'acte de cette Lucrèce hollandaise prête à se
percer le sein d'une façon bourgeoise qui pa-
raît l'étonner elle-même. — Le portrait de
Théodore de Keyser est une œuvre magistrale
un peu vide peut-être, mais quelle admirable
peinture que celle de cette tête presque stu-
pide qu'il a su rendre intéressante; quelle
poésie dans cette sobriété de détails et comme
il sort de là une atmosphère sereine et austère.
Une œuvre de ce genre peint toute une nation
et je ne connais aucun livre qui me parle de
la vie hollandaise comme ce morceau superbe
et profond. — Les cinq sens de David Te-
niers, cinq pièces précieuses de deux person-
nes chacune. Je ne saurais dire laquelle de
ces cinq pierres fines est la plus pure. Le
peintre anversois, le plus étonnant peut-être
de cette prodigieuse pléiade d'artistes flamands,
aimait ce sujet qu'il a traité plusieurs fois et
de différentes façons. La série qui s'offre ici
est une œuvre d'unité en cinq tableaux ; c'est
une même donnée interprétée par une com-
position homogène et traitée dans cette ma-
nière libre et claire que vous savez. La couleur
y a plus d'esprit que les personnages et le
toutvous a des apparences presque effroyables
de vie. On dirait que ces gens-là vont sortir
de leur cadre et venir vous dire que David
Teniers est un bien grand peintre.
A peine ai-je commencé de fouler le par-
quet de ce palais enchanté que je m'aperçois
que, même sur le ton bref et rapide que j'ai
pris, je remplirais de longues colonnes de
notre journal, s'il fallait simplement catalo-
guer les choses d'un véritable relief. Je me
voyais donc forcé de couper court lorsque
M. B., mon aimable conducteur, m'apprit
que. vraisemblablement la vente annoncée
pour le ir mars ne saura avoir lieu au jour
fixé. Je pourrai donc, dans votre prochain
numéro, continuer ma promenade dans cette
forêt de surprises et de merveilles pour l'ap-
préciation desquelles un vocabulaire nou-
veau serait bien accueilli. La banalité des ex-
pressions admises ne m'a jamais tant frappé
qu'aujourd'hui. Soyez donc indulgent et son-
gez que la matière est rude pour un travail-
leur qui n'a point un outil à la hauteur de
sa bonne volonté. ,
On me dit que le journal Y Art, de Paris,
consacre à ces merveilles une série d'articles
spéciaux. Je doute qu'il puisse arriver à
éclairer et à convaincre suffisamment de la
réalité des choses étonnantes du palais que je
quitte pour jeter ceci à la poste.
J. MONARI.
COMPTE RENDU DU SALON DE PAU
de 1880.
I.
L'exposition de Pau qui devait s'ouvrir
dans les premiers jours de janvier, ne l'a été
que le 22. Pourquoi ce relard, me demande-
rez-vous? En véritable chroniqueur, j'ai dû
sonder ce mystère, et, grâce à un ami com-
plaisant, il y en a toujours en pareille circon-
stance, j'ai appris qce l'exposition, comme
tout le commun des mortels, n'est pas à l'abri
des tracasseries humaines. Une haine, une
vengeance, une jalousie de petite ville, a été la
cause de ce retard. L'ex-secrétaire de la com-
mission ayant été remplacé depuis deux ans
par M. Roussille, homme doué d'un tempéra-
ment d'artiste, par conséquent vif et intelli-
gent, n'a pas trouvé de moyens plus ingénieux
dans sa féconde imagination, que de monter
une cabale contre la commission et d'écrire
aux artistes pour les engager à ne pas envoyer
leurs œuvres au salon Pallois. Triste ven-
geance ! ce coup d'épée de don Quichotte n'a
servi qu'à faire augmenter le nombre des œu-
vres envoyées et je puis affirmer que le salon
de Pau est de heaucoup plus remarquable que
celui de l'année dernière.
Comme installation, l'exposition laisse énor-
mément à désirer ; les belles toiles sont géné-
ralement mal éclairées, surtout lorsqu'elles
sont d'une grande dimension, tandis que les
petites obtiennent toujours les meilleures pla-
ces. La commission devrait demander au con-
seil municipal un endroit pour son exposition
annuelle, artistes et amateurs y gagneraient.
Il faut espérer qu'à force de réclamations réi-
térées on écoutera ces légitimes murmures.
L'ouverture du salon du Vieux-Château s'est
faite sans aucune pompe, je dirai même avec
une espèce de froid que les murs du Vieux-
Castel rendaient plus froids encore. Ce ne sont
pas les ouvertures de nos expositions de Bel-
gique, pays artistique par excellence, et qui
le sera toujours. Le préfet de Pau, qui est
nouveau, était en deuil ; celui de l'année der-
nière l'était aussi et n'a pu assister à la céré-
monie : c'est égal, la capitale du Bearn n'a pas
de chance avec ces préfets. Les recruterait-
elle parmi les croque-morts ?
II.
Ce qui est difficile dans un compte rendu,
c'est de commencer sans froisser les artistes,
surtout lorsqu'il y a parmi eux des artistes
exposantes ; celle fois le vieil adage « Honneur
aux dames» trouve ici sa place; honneur donc
à Mademoiselle Louise Abbema qui nous olfre
deux charmantes toiles parmi lesquelles une
étude qu'elle intitule Sona ou une Bohémienne
de Moscou; c'est une toile à effet obscur, une
véritable étude d'atelier. En nous présentant
cette toile, elle a voulu nous montrer la diffé-
rence qui existe entre son étude et sa manière
de terminer un tableau. Si telle a été la pen-
sée de l'artiste, elle y a réussi, car son œuvre
intitulé Gardénia est hérissée de grandes diffi-
cultés. En effet, superposer des tons blancs sur
blanc n'est pas chose facile. Une jeune fille en
robe blanche est entourée de gardénias qu'elle
cueille; les fleurs sont aussi fraîches que la
Les catalogues nous feront sans doute l'his-
torique de cette collection qui aura sa place
dans le monde de la curiosité, bornons-nous
aux œuvres à signaler comme nous le pour-
rons dans ce rapide et émouvant pèlerinage.
Une Naissance de Vénus, par M. Coypel,
nous saisit tout d'abord. C'est d'un bel en-
semble, et fort gracieux, coloris doux; dessin
un peu sec. Quelques naiades sont char-
mantes et supérieures à Vénus, un peu fade
et courte en jambes. — Un Willem Van de
Velde très beau, ouvert, frais, lumineux : à
Scheveningue. — Jean Van Croos, peintre
peu connu d'après Siret, et qui mériterait de
l'être davantage, car la Vue de ville qui est
ici, est prodigieuse d'effet sans beaucoup d'ef-
forts; coloris" d'une clarté superbe. —-Van
der Meer, de Delft, un Géographe très in-
tense comme lumière. — Fr. Boucher, un
Paysage de très grande allure, mais qu'on
s'étonne de voir sortir des mains d'un artiste
dont ce n'était pas la spécialité. N'y a-t-il pas
erreur dans cette attribution? — Une Tête
de taureau, de J. Beeldemaeker. Belle tête,
vraiment, et quel naturel! — Pastorale, de
Huet, très gracieuse, très souple, d'un coloris
charmant quoique faible et d'un dessin pi-
quant. — Salomon Ruisdael, Bords de la
Meuse. Ce merveilleux tableau est connu ; les
curieux savent son histoire et sa nouvelle
apparition fera événement à n'en pas douter.
Inutile que je vous dise ce qu'il y a de vérité,
de local, de senti dans cette page émouvante.
— Paul Potter. Le Coup de vent; encore une
merveille qui a ses papiers et ses aventures.
Où ira-t-il cette fois? Quel est le musée où
s'arrêtera enfin sa course aventureuse qui
dure depuis plus de deux siècles?—La Halte
de Nicolas Berchem. Bien conservée et où
les roux et les noirs ne sont pas trop accusés.
Rappelons-nous qu'en 1744, un de ses ta-
bleaux se vendait 479 livres et qu'à l'heure
qu'il est ce ne serait pas se compromettre que
de pousser jusqu'à 20,000 fr.et plus.—Portrait
du graveur Schmidt, par Maurice Quantin
Latour. Ah ! la merveilleuse chose que ce bijou
et que d'appétits vient se grouper tout à 1 en-
tour. — Jean Steen : Concert de famille.
Une des perles de ce riche écrin. Œuvre su-
perbe qui surpasse les plus superbes de ma
connaissance. Attendez-vous à des péripéties
homériques autour de ce cadre vertigineux
d'un éclat, d'une force, d'une solidité que je
n'ai rencontrés dans aucun autre tableau de
cet auteur. Quelle grâce nonchalante dans ce
cavalier bon enfant et bien nourri qui fait sa
partie de guitare sur le banc à gauche et
quelle malice dans ce gamin qui racle au
moyen d'une longue pipe les cordes d'un vio-
loncelle ! Et puis quelle ampleur dans tout
cela et quelle pâte! — Drouais. Portrait de
femme, très franc d'allure, d'une coloration
un peu maniérée mais fraîche. Joli spécimen
du talent d'un maître qui peignit les beautés
de son temps. — Une étude de Rubens poul-
ie plafond de Whitehall sera encore une des
attractions de cette vente prodigieuse. Le talent
du grand maître se révèle ici avec une puis-
sance qui n'a jamais peut-être égalée ailleurs.
Comme dessin c'est plus fort que tout ce
qu'on connaît de lui sinon comme noblesse
du moins comme science, jet et exécution.—
Le Cheval blanc de Wouwerman (Ph.), autre
perle dont vont s'amouracher les amateurs ;
d'une finesse, d'une ténuité, d'une transpa-
rence opaline et surtout d'un modelé élégant
et nerveux qui justifie les convoitises des
Spartman de l'art. — Adrien van de Velde
est plus lourd évidemment dans son Abreu-
voir, mais quelle finesse dans le ciel et quelle
vie effective dans ses bestiaux ; de plus comme
tout s'agence sous ce pinceau rude et puis-
sant ! — Le portrait de Tocqué par Nattoir ;
la Colombe de Shall sont intéressants. Ce
dernier se révèle pour la première fois à nous
comme peintre de figures et très vraisembla-
blement comme élève de Greuze, mais plus
maniéré. — hePaysage de Wynandts avec ses
petites touches sablées en pleine lumière est
adorable. — Le Fyt et Glauber est un peu
prétentieux dans son allure et n'était l'exécu-
tion, l'œuvre passerait sans émotion. — Le
portrait de Drouais nous montre une figure
d'homme sur un corps de femme.— Combien
je préfère cette suave marquise de Noailles,
de Lagrenée, arrangée un tantinet en préten-
tieuse mythologique. La chair de la marquise
est d'une grande fraîcheur de coloris et il y a
beaucoup de grâce dans le modelé des bras et
des mains. — La Lucrèce de Rembrandt,
qu'à première vue j'avais prise pour un van
den Eeckhout, offre un effet de lumière très
accentué et très piquant. Sous ce rapport
c'est très solide et cela préoccupe plus que
l'acte de cette Lucrèce hollandaise prête à se
percer le sein d'une façon bourgeoise qui pa-
raît l'étonner elle-même. — Le portrait de
Théodore de Keyser est une œuvre magistrale
un peu vide peut-être, mais quelle admirable
peinture que celle de cette tête presque stu-
pide qu'il a su rendre intéressante; quelle
poésie dans cette sobriété de détails et comme
il sort de là une atmosphère sereine et austère.
Une œuvre de ce genre peint toute une nation
et je ne connais aucun livre qui me parle de
la vie hollandaise comme ce morceau superbe
et profond. — Les cinq sens de David Te-
niers, cinq pièces précieuses de deux person-
nes chacune. Je ne saurais dire laquelle de
ces cinq pierres fines est la plus pure. Le
peintre anversois, le plus étonnant peut-être
de cette prodigieuse pléiade d'artistes flamands,
aimait ce sujet qu'il a traité plusieurs fois et
de différentes façons. La série qui s'offre ici
est une œuvre d'unité en cinq tableaux ; c'est
une même donnée interprétée par une com-
position homogène et traitée dans cette ma-
nière libre et claire que vous savez. La couleur
y a plus d'esprit que les personnages et le
toutvous a des apparences presque effroyables
de vie. On dirait que ces gens-là vont sortir
de leur cadre et venir vous dire que David
Teniers est un bien grand peintre.
A peine ai-je commencé de fouler le par-
quet de ce palais enchanté que je m'aperçois
que, même sur le ton bref et rapide que j'ai
pris, je remplirais de longues colonnes de
notre journal, s'il fallait simplement catalo-
guer les choses d'un véritable relief. Je me
voyais donc forcé de couper court lorsque
M. B., mon aimable conducteur, m'apprit
que. vraisemblablement la vente annoncée
pour le ir mars ne saura avoir lieu au jour
fixé. Je pourrai donc, dans votre prochain
numéro, continuer ma promenade dans cette
forêt de surprises et de merveilles pour l'ap-
préciation desquelles un vocabulaire nou-
veau serait bien accueilli. La banalité des ex-
pressions admises ne m'a jamais tant frappé
qu'aujourd'hui. Soyez donc indulgent et son-
gez que la matière est rude pour un travail-
leur qui n'a point un outil à la hauteur de
sa bonne volonté. ,
On me dit que le journal Y Art, de Paris,
consacre à ces merveilles une série d'articles
spéciaux. Je doute qu'il puisse arriver à
éclairer et à convaincre suffisamment de la
réalité des choses étonnantes du palais que je
quitte pour jeter ceci à la poste.
J. MONARI.
COMPTE RENDU DU SALON DE PAU
de 1880.
I.
L'exposition de Pau qui devait s'ouvrir
dans les premiers jours de janvier, ne l'a été
que le 22. Pourquoi ce relard, me demande-
rez-vous? En véritable chroniqueur, j'ai dû
sonder ce mystère, et, grâce à un ami com-
plaisant, il y en a toujours en pareille circon-
stance, j'ai appris qce l'exposition, comme
tout le commun des mortels, n'est pas à l'abri
des tracasseries humaines. Une haine, une
vengeance, une jalousie de petite ville, a été la
cause de ce retard. L'ex-secrétaire de la com-
mission ayant été remplacé depuis deux ans
par M. Roussille, homme doué d'un tempéra-
ment d'artiste, par conséquent vif et intelli-
gent, n'a pas trouvé de moyens plus ingénieux
dans sa féconde imagination, que de monter
une cabale contre la commission et d'écrire
aux artistes pour les engager à ne pas envoyer
leurs œuvres au salon Pallois. Triste ven-
geance ! ce coup d'épée de don Quichotte n'a
servi qu'à faire augmenter le nombre des œu-
vres envoyées et je puis affirmer que le salon
de Pau est de heaucoup plus remarquable que
celui de l'année dernière.
Comme installation, l'exposition laisse énor-
mément à désirer ; les belles toiles sont géné-
ralement mal éclairées, surtout lorsqu'elles
sont d'une grande dimension, tandis que les
petites obtiennent toujours les meilleures pla-
ces. La commission devrait demander au con-
seil municipal un endroit pour son exposition
annuelle, artistes et amateurs y gagneraient.
Il faut espérer qu'à force de réclamations réi-
térées on écoutera ces légitimes murmures.
L'ouverture du salon du Vieux-Château s'est
faite sans aucune pompe, je dirai même avec
une espèce de froid que les murs du Vieux-
Castel rendaient plus froids encore. Ce ne sont
pas les ouvertures de nos expositions de Bel-
gique, pays artistique par excellence, et qui
le sera toujours. Le préfet de Pau, qui est
nouveau, était en deuil ; celui de l'année der-
nière l'était aussi et n'a pu assister à la céré-
monie : c'est égal, la capitale du Bearn n'a pas
de chance avec ces préfets. Les recruterait-
elle parmi les croque-morts ?
II.
Ce qui est difficile dans un compte rendu,
c'est de commencer sans froisser les artistes,
surtout lorsqu'il y a parmi eux des artistes
exposantes ; celle fois le vieil adage « Honneur
aux dames» trouve ici sa place; honneur donc
à Mademoiselle Louise Abbema qui nous olfre
deux charmantes toiles parmi lesquelles une
étude qu'elle intitule Sona ou une Bohémienne
de Moscou; c'est une toile à effet obscur, une
véritable étude d'atelier. En nous présentant
cette toile, elle a voulu nous montrer la diffé-
rence qui existe entre son étude et sa manière
de terminer un tableau. Si telle a été la pen-
sée de l'artiste, elle y a réussi, car son œuvre
intitulé Gardénia est hérissée de grandes diffi-
cultés. En effet, superposer des tons blancs sur
blanc n'est pas chose facile. Une jeune fille en
robe blanche est entourée de gardénias qu'elle
cueille; les fleurs sont aussi fraîches que la