dans les galeries et les musées sans que l'on
put jusqu'alors leur assigner un état civil plus
ou moins certain. C'est à Héris que revient
cette gloire d'avoir le premier donné à la
vieille école flamande cette renommée dont
elle est entourée aujourd'hui. C'est là un fait
ignoré, ou que l'on feint d'ignorer, et il n'est
que juste, vis-à-vis de l'ingratitude de notre
époque, d'insister sur certaines choses. C'est
à Héris, il faut le répéter bien haut, que re-
vient l'honneur d'avoir placé l'ancienne école
flamande à son véritable rang. Les Waagen,
les Otho, les Passavant, et d'autres ne sont
venus qu'après et, chose curieuse, ceux qui
comme Waagen avaient nié Héris, ont dû
finir par le reconnaître. Il a laissé dans un
livre couronné très remarquable, que tout le
monde pille a satiété, sa définition magistrale
de l'ancien art flamand et de ses origines. Ce
livre est le mémoire qui porte pour titre :
Point de départ et caractère de l'école fla-
mande de peinture sous le règne des ducs de
Bourgogne. Causes de sa splendeur et de sa
décadence (couronné par l'académie royale
en 1855}. Si quelque chose nous étonne c'est
que l'on n'ait point fait de nombreuses édi-
tions de ce livre si utile et si concluant. Les
autres travaux de Héris sont des notices sui-
des grands maîtres hollandais disséminés
malheureusement dans un tas de revues.
Sous le gouvernement hollandais il fut
chargé de nombreuses missions relatives aux
arts, en même temps que les principales gale-
ries publiques et particulières de l'Europe
l'appellaient pour élucider des points obscurs
et mettre en ordre leurs tableaux. En i832
Léopold I le consulta sur la direction à
donner à l'élément artistique. Il fit à ce sujet
un rapport à la suite duquel l'organisation
de l'enseignement des arts dans le pays fut
arrêté sur ses données. C'est encore à peu
près ce qui existe aujourd'hui. En 1848 nou-
veau rapport dans lequel Héris signale im-
pitoyablement les fautes et les erreurs com-
mises. Mais il jouait gros jeu. Indirectement
il touchait à des positions acquises et fortes.
On lui fit voir qu'il n'est pas toujours adroit
de signaler les bévues commises et sentant
venir la disgrâce, il prévint le coup et se
retira du mouvement officiel pour se livrer à
ces chères études. Il ne conserva plus qu'une
seule attache avec le monde officiel, c'était sa
qualité de commissaire expert des musées
royaux, poste qu"il résigna quelques années
avant sa mort alors qu'il ne sortait plus de
chez lui.
Nous publions aujourd'hui le rapport de
1848. C'est une œuvre curieuse qui intéres-
sera le rare groupe d'hommes qui en Belgique
prennent quelque soin de nos destinées artis-
tiques. Nous l'avions gardé pour le publier
dans nos Souvenirs et Correspondances où
nos commentaires ne lui font pas défaut mais
nous ne pouvons résister à la tentation de le
reproduire aujourd'hui. C'est un hommage
rendu à sa perspicacité ; ce n'est pas notre
faute si ce document est une leçon.
Héris était chevalier de l'Ordre de Léo-
pold. Cet honneur lui est échu à 86 ans!
Il reçut cette distinction avec bonheur mais
non sans une sorte d'amertume « Allons, me
disait-il, qu'on prépare ma fosse voici déjà
la croix. »
Sire,
Après l'accueil bienveillant dont il a plu à
Votre Majesté de m'honorer lors de la dernière
audience qu'elle a daigné m'accorder et dans le
but d'obtempérer à ses ordres, j'ai formulé dans
l'intérêt des beaux-arts les quelques observa-
tions qui suivent, heureux si mes conseils peu-
vent être de quelque utilité pour le développe-
ment d'une branche de l'art qui toujours a fait la
gloire de la Belgique et à laquelle Votre Majesté
porte un si vif intérêt.
Une partie du rapport sur la situation de l'art
dans notre pays que j'avais pris la respectueuse
liberté d'adresser à Votr e Majesté en 1832, doit
aujourd'hui subir des modifications, surtout par
rapport à l'art moderne.
A cette époque tout était non-seulement à re-
construire mais à créer. L'action du Gouverne-
ment ou pour mieux dire son appui efficace, alors
que nous n'avions rien, doit aujourd'hui changer
de nature.
Au moyen des distinctions honorifiques et des
encouragements qu'il a reçus, l'art a fait des pro-
grès considérables et de toute cette brillante jeu-
nesse qui s'est lancée dans la carrière, il est sorti
quelques hommes qui feront honneur à l'art
belge, en soutenant l'ancienne réputation de
l'Ecole Flamande, mais je pense que le moment
est venu d'imprimer au mouvement une autre
direction de crainte de voir pousser les choses à
l'exagération; ce qui pourrait avoir pour résultat
la ruine d'une masse d'artistes qui ne s'élèvent
pas au-dessus du médiocre.
Pour se faire une idée de cette exagération on
n'a qu'à se rappeler que la seule Académie d'An-
vers compte en ce moment plus de 1,100 élèves.
Ce n'est plus l'art dans son enfance qu'il s'agit
de stimuler et de protéger, mais il s'agit de se
borner à récompenser les artistes de renommée
que Votre Majesté avait pris sous son patronage,
si on ne veut les voir émigrer et porter leur
talent à l'étranger.
Pour arriver à ce but il importe d'aviser à une
distribution plus équitable et mieux raisonnée
des fonds que la législature alloue annuellement
au département des beaux-arts.
Le Gouvernement devrait cesser de donner
son appui à une foule d'institutions de luxe qui
absorbent le budget.
Les Académies de peinture ne devraient plus
relever que des localités où elles sont établies.
Il devrait en êcre de même de l'Ecole Royale
de gravure établie à Bruxelles.
Il faudrait supprimer cette inutile et illogique
commission des monuments qui coûte si cher par
ses déplacements et plus cher encore par les dé-
gâts qu'elle laisse faire ou qu'elle ordonne même
quelquefois il).
La commission administrative du Musée de-
vrait se montrer plus généreuse, renoncer à un
secrétaire rétribué et surtout aux jetons de pré-
sence et les experts de cet établissement dont je
fais partie devraient également renoncer aux
frais d'expertise.
Il y a une foule d'autres fonctions relatives
aux beaux-arts qui sont payées d'une manière
illégale ou exorbitante, sans qu'il en résulte le
moindre avantage pour l'art. Sire, Votre Majesté
me pardonnera cette digression, elle me semble
permise dans la bouche d'un homme qui depuis
trente ans a mis gratuitement- son expérience
au service de son pays.
Cependant je me hâte de dire que je serai
peiné de voir que qui ce fût se trouvât lésé dans
son intérêt ou olessé dans son amour propre par
la mise à exécution des idées qui viennent d'être
exposées; les changements que je propose doi-
vent se faire à la longue car il n'y a que le temps
qui puisse arriver à supprimer des abus.
Croire que l'institution des Académies de pein-
ture soit un bienfait pour l'art, c'est une vieille
idée enracinée dans la société artistique et sa-
vante : l'homme une fois sorti du sentier que la
nature a ouvert devant lui est perdu, c'est-a-dire
qu'il n'est plus lui, s'il a un maître qui l'a dirigé;
jamais, ou presque jamais il n'est autre chose
que l'écho de celui-ci : il est plagiaire, imita-
teur, copiste, en un mot il ne peut plus être lui :
que Votre Majesté veuille bien remarquer l'in-
fluence des Académies d'Anvers, de Bruxelles et
de Gand. Toutes les productions de chacune de
ces Ecoles ont un caractère de ressemblance qui
saute aux yeux à première vue.
Ensuite il y a des chefs de caste dans ces
trois écoles, pour Anvers c'est Wappers qui est
le grand moteur, puis Dyckmans, Braekeleer et
enfin Leys.
A Bruxelles, Navez, Verboeckhoven.
A Gand, Geirnaert.
Les imitateurs de ces artistes distingués con-
(1) La Commission royale des monuments a été
réorganisée depuis.
stituent le fond perpétuel de nos expositions qui
sont de véritables boutiques.
Les écoles de peinture sont la mort de l'art
dont elles ont de tous temps entravé les dévelop-
pements : Rubens qui a paru avec tant d'éclat
sur le sol de notre belle patrie a peut être été la
cause de la perte d'un grand nombre de pein-
tres, ses contemporains, car, ainsi que je l'ai déjà
dit, tous se sont efforcés de marcher sur les traces
de ce grand homme et tous se sont fourvoyés
dans un labyrinte d'où ils n'ont pu sortir qu'en
restant imitateurs inférieurs, tandis que, s'ils
avaient suivi la route que la nature leur avait
indiquée, ils eussent au moins été des spécia-
lités.
De l'école si nombreuse de Rubens sont sortis
des centaines d'artistes. Cependant il n'y a que
trois de ses élèves qui se soient élevés à sa hau-
teur parce qu'ils ont eu le bon esprit de suivre
une route différente de celle où marchait leur
immortel maître : ce sont Van Dyck qui s'est
fait peintre de portraits de grandeur naturelle,
et qui a porté ce genre à son apogée ; Gonzales
Coques qui a suivi la même voie, mais en petit
et qui s'est parfois élevé à la hauteur de Van
Dyck, et enfin David Teniers qui s'est immor-
talisé en reproduisant sur ses toiles la poésie
rustique de nos campagnards.
Les écoles par leur influence ont produit le
même mal dans les autres branches de l'art,
particulièrement dans notre sculpture qui man-
que de noblesse, de caractère monumental, de
style enfin.
La gravure est la branche de l'art pour laquelle
il a été fait le plus de sacrifices perdus; elfe est
un gouffre qui dévore peut-être 50,000 frs tous
les ans et pourquoi? Pour introduire en Bel-
gique un genre de gravure qui fausse le ca-
ractère essentiel de l'ancienne et immortelle
école flamande : qu'on y songe bien, ce n'est ni
la gravure anglaise, ni la française, ni l'italienne
que demande fart Belge, c'est'de la gravure fla-
mande qu'il faut pour traduire la peinture fla-
mandei; on oublie que de cette école sont sortis
les Edelinck, les Bolswert, les Pontius et tant
d'autres célébrités dans ce genre à côté desquels
les graveurs de nos jours ne sont que des pyg-
mées.
L'existence de l'Ecole Royale de gravure a
peut être coûté un demi million à l'Etat et elle a
produit deux ou trois élèves qui font assez bien,
mais dont le meilleur ne saurait gagner à poste
fixe 5 francs par jour. Déplorable résultat de
tant de dépenses !
Le seul moyen qu'il y ait d'encourager la gra-
vure c'est de faire renaître le goût, la mode des
gravures et dans dix ans on aura des hommes
capables; il n'est pas besoin d'école pour obtenir
ce résultat : en tout cas, Sire, si une institution
de ce genre devait être maintenue, ne serait-il
pas plus rationnel de l'annexer à une Académie
locale, ainsi qu'on l'a déjà fait à Anvers?
Dans mon rapport au gouvernement sur la
création d'une école de gravure en 1836, j'avais
conclu qu'il fallait engager un professeur de
gravure à 6,000 francs d'appointements à charge
de donner chez lui un cours à 25 élèves. Ce mode
n'a point prévalu.
Je conclus donc que les écoles de peinture, de
sculpture et de gravure sont un obstacle au dé-
veloppement de l'art, à celui du génie de l'homme
qui parcourt cette noble carrière, car une fois
entré dans une fausse route, il doit subir cette
fatale influence durant toute sa vie.
Je pense aussi que le gouvernement ne devrait
plus favorier l'art en général autrement que pra
primes et concours ; il en résulterait une protec-
tion plus efficace, une répartition plus juste et
une très grande économie.
Déjà j'ai signalé dans la presse une mesure que
je crois un progrès par rapport à nos expositions
nationales, affaires dans lesquelles l'Etat n aurait
plus à intervenir si ce n'est sous le rapport des
récompenses honorifiques, des primes et des
concours : voici, Sire, en quoi cette mesure con-
siste.
Les artistes nommeraient dorénavant eux-
mêmes les membres composant la commission
administrative des expositions; ils seraient ainsi
jugés et classés par leurs pairs (2).
(2) Cette mesure a été proposée par moi, il y a un
an environ, à M. Arago, membre du gouvernement
provisoire à Paris. Celui-ci fit prendre de suite un
arrêté relatif à son adoption ; il est déplorable que
nous n'ayons pas pris sur nos voisins l'initiative de
cette liberté publique.
put jusqu'alors leur assigner un état civil plus
ou moins certain. C'est à Héris que revient
cette gloire d'avoir le premier donné à la
vieille école flamande cette renommée dont
elle est entourée aujourd'hui. C'est là un fait
ignoré, ou que l'on feint d'ignorer, et il n'est
que juste, vis-à-vis de l'ingratitude de notre
époque, d'insister sur certaines choses. C'est
à Héris, il faut le répéter bien haut, que re-
vient l'honneur d'avoir placé l'ancienne école
flamande à son véritable rang. Les Waagen,
les Otho, les Passavant, et d'autres ne sont
venus qu'après et, chose curieuse, ceux qui
comme Waagen avaient nié Héris, ont dû
finir par le reconnaître. Il a laissé dans un
livre couronné très remarquable, que tout le
monde pille a satiété, sa définition magistrale
de l'ancien art flamand et de ses origines. Ce
livre est le mémoire qui porte pour titre :
Point de départ et caractère de l'école fla-
mande de peinture sous le règne des ducs de
Bourgogne. Causes de sa splendeur et de sa
décadence (couronné par l'académie royale
en 1855}. Si quelque chose nous étonne c'est
que l'on n'ait point fait de nombreuses édi-
tions de ce livre si utile et si concluant. Les
autres travaux de Héris sont des notices sui-
des grands maîtres hollandais disséminés
malheureusement dans un tas de revues.
Sous le gouvernement hollandais il fut
chargé de nombreuses missions relatives aux
arts, en même temps que les principales gale-
ries publiques et particulières de l'Europe
l'appellaient pour élucider des points obscurs
et mettre en ordre leurs tableaux. En i832
Léopold I le consulta sur la direction à
donner à l'élément artistique. Il fit à ce sujet
un rapport à la suite duquel l'organisation
de l'enseignement des arts dans le pays fut
arrêté sur ses données. C'est encore à peu
près ce qui existe aujourd'hui. En 1848 nou-
veau rapport dans lequel Héris signale im-
pitoyablement les fautes et les erreurs com-
mises. Mais il jouait gros jeu. Indirectement
il touchait à des positions acquises et fortes.
On lui fit voir qu'il n'est pas toujours adroit
de signaler les bévues commises et sentant
venir la disgrâce, il prévint le coup et se
retira du mouvement officiel pour se livrer à
ces chères études. Il ne conserva plus qu'une
seule attache avec le monde officiel, c'était sa
qualité de commissaire expert des musées
royaux, poste qu"il résigna quelques années
avant sa mort alors qu'il ne sortait plus de
chez lui.
Nous publions aujourd'hui le rapport de
1848. C'est une œuvre curieuse qui intéres-
sera le rare groupe d'hommes qui en Belgique
prennent quelque soin de nos destinées artis-
tiques. Nous l'avions gardé pour le publier
dans nos Souvenirs et Correspondances où
nos commentaires ne lui font pas défaut mais
nous ne pouvons résister à la tentation de le
reproduire aujourd'hui. C'est un hommage
rendu à sa perspicacité ; ce n'est pas notre
faute si ce document est une leçon.
Héris était chevalier de l'Ordre de Léo-
pold. Cet honneur lui est échu à 86 ans!
Il reçut cette distinction avec bonheur mais
non sans une sorte d'amertume « Allons, me
disait-il, qu'on prépare ma fosse voici déjà
la croix. »
Sire,
Après l'accueil bienveillant dont il a plu à
Votre Majesté de m'honorer lors de la dernière
audience qu'elle a daigné m'accorder et dans le
but d'obtempérer à ses ordres, j'ai formulé dans
l'intérêt des beaux-arts les quelques observa-
tions qui suivent, heureux si mes conseils peu-
vent être de quelque utilité pour le développe-
ment d'une branche de l'art qui toujours a fait la
gloire de la Belgique et à laquelle Votre Majesté
porte un si vif intérêt.
Une partie du rapport sur la situation de l'art
dans notre pays que j'avais pris la respectueuse
liberté d'adresser à Votr e Majesté en 1832, doit
aujourd'hui subir des modifications, surtout par
rapport à l'art moderne.
A cette époque tout était non-seulement à re-
construire mais à créer. L'action du Gouverne-
ment ou pour mieux dire son appui efficace, alors
que nous n'avions rien, doit aujourd'hui changer
de nature.
Au moyen des distinctions honorifiques et des
encouragements qu'il a reçus, l'art a fait des pro-
grès considérables et de toute cette brillante jeu-
nesse qui s'est lancée dans la carrière, il est sorti
quelques hommes qui feront honneur à l'art
belge, en soutenant l'ancienne réputation de
l'Ecole Flamande, mais je pense que le moment
est venu d'imprimer au mouvement une autre
direction de crainte de voir pousser les choses à
l'exagération; ce qui pourrait avoir pour résultat
la ruine d'une masse d'artistes qui ne s'élèvent
pas au-dessus du médiocre.
Pour se faire une idée de cette exagération on
n'a qu'à se rappeler que la seule Académie d'An-
vers compte en ce moment plus de 1,100 élèves.
Ce n'est plus l'art dans son enfance qu'il s'agit
de stimuler et de protéger, mais il s'agit de se
borner à récompenser les artistes de renommée
que Votre Majesté avait pris sous son patronage,
si on ne veut les voir émigrer et porter leur
talent à l'étranger.
Pour arriver à ce but il importe d'aviser à une
distribution plus équitable et mieux raisonnée
des fonds que la législature alloue annuellement
au département des beaux-arts.
Le Gouvernement devrait cesser de donner
son appui à une foule d'institutions de luxe qui
absorbent le budget.
Les Académies de peinture ne devraient plus
relever que des localités où elles sont établies.
Il devrait en êcre de même de l'Ecole Royale
de gravure établie à Bruxelles.
Il faudrait supprimer cette inutile et illogique
commission des monuments qui coûte si cher par
ses déplacements et plus cher encore par les dé-
gâts qu'elle laisse faire ou qu'elle ordonne même
quelquefois il).
La commission administrative du Musée de-
vrait se montrer plus généreuse, renoncer à un
secrétaire rétribué et surtout aux jetons de pré-
sence et les experts de cet établissement dont je
fais partie devraient également renoncer aux
frais d'expertise.
Il y a une foule d'autres fonctions relatives
aux beaux-arts qui sont payées d'une manière
illégale ou exorbitante, sans qu'il en résulte le
moindre avantage pour l'art. Sire, Votre Majesté
me pardonnera cette digression, elle me semble
permise dans la bouche d'un homme qui depuis
trente ans a mis gratuitement- son expérience
au service de son pays.
Cependant je me hâte de dire que je serai
peiné de voir que qui ce fût se trouvât lésé dans
son intérêt ou olessé dans son amour propre par
la mise à exécution des idées qui viennent d'être
exposées; les changements que je propose doi-
vent se faire à la longue car il n'y a que le temps
qui puisse arriver à supprimer des abus.
Croire que l'institution des Académies de pein-
ture soit un bienfait pour l'art, c'est une vieille
idée enracinée dans la société artistique et sa-
vante : l'homme une fois sorti du sentier que la
nature a ouvert devant lui est perdu, c'est-a-dire
qu'il n'est plus lui, s'il a un maître qui l'a dirigé;
jamais, ou presque jamais il n'est autre chose
que l'écho de celui-ci : il est plagiaire, imita-
teur, copiste, en un mot il ne peut plus être lui :
que Votre Majesté veuille bien remarquer l'in-
fluence des Académies d'Anvers, de Bruxelles et
de Gand. Toutes les productions de chacune de
ces Ecoles ont un caractère de ressemblance qui
saute aux yeux à première vue.
Ensuite il y a des chefs de caste dans ces
trois écoles, pour Anvers c'est Wappers qui est
le grand moteur, puis Dyckmans, Braekeleer et
enfin Leys.
A Bruxelles, Navez, Verboeckhoven.
A Gand, Geirnaert.
Les imitateurs de ces artistes distingués con-
(1) La Commission royale des monuments a été
réorganisée depuis.
stituent le fond perpétuel de nos expositions qui
sont de véritables boutiques.
Les écoles de peinture sont la mort de l'art
dont elles ont de tous temps entravé les dévelop-
pements : Rubens qui a paru avec tant d'éclat
sur le sol de notre belle patrie a peut être été la
cause de la perte d'un grand nombre de pein-
tres, ses contemporains, car, ainsi que je l'ai déjà
dit, tous se sont efforcés de marcher sur les traces
de ce grand homme et tous se sont fourvoyés
dans un labyrinte d'où ils n'ont pu sortir qu'en
restant imitateurs inférieurs, tandis que, s'ils
avaient suivi la route que la nature leur avait
indiquée, ils eussent au moins été des spécia-
lités.
De l'école si nombreuse de Rubens sont sortis
des centaines d'artistes. Cependant il n'y a que
trois de ses élèves qui se soient élevés à sa hau-
teur parce qu'ils ont eu le bon esprit de suivre
une route différente de celle où marchait leur
immortel maître : ce sont Van Dyck qui s'est
fait peintre de portraits de grandeur naturelle,
et qui a porté ce genre à son apogée ; Gonzales
Coques qui a suivi la même voie, mais en petit
et qui s'est parfois élevé à la hauteur de Van
Dyck, et enfin David Teniers qui s'est immor-
talisé en reproduisant sur ses toiles la poésie
rustique de nos campagnards.
Les écoles par leur influence ont produit le
même mal dans les autres branches de l'art,
particulièrement dans notre sculpture qui man-
que de noblesse, de caractère monumental, de
style enfin.
La gravure est la branche de l'art pour laquelle
il a été fait le plus de sacrifices perdus; elfe est
un gouffre qui dévore peut-être 50,000 frs tous
les ans et pourquoi? Pour introduire en Bel-
gique un genre de gravure qui fausse le ca-
ractère essentiel de l'ancienne et immortelle
école flamande : qu'on y songe bien, ce n'est ni
la gravure anglaise, ni la française, ni l'italienne
que demande fart Belge, c'est'de la gravure fla-
mande qu'il faut pour traduire la peinture fla-
mandei; on oublie que de cette école sont sortis
les Edelinck, les Bolswert, les Pontius et tant
d'autres célébrités dans ce genre à côté desquels
les graveurs de nos jours ne sont que des pyg-
mées.
L'existence de l'Ecole Royale de gravure a
peut être coûté un demi million à l'Etat et elle a
produit deux ou trois élèves qui font assez bien,
mais dont le meilleur ne saurait gagner à poste
fixe 5 francs par jour. Déplorable résultat de
tant de dépenses !
Le seul moyen qu'il y ait d'encourager la gra-
vure c'est de faire renaître le goût, la mode des
gravures et dans dix ans on aura des hommes
capables; il n'est pas besoin d'école pour obtenir
ce résultat : en tout cas, Sire, si une institution
de ce genre devait être maintenue, ne serait-il
pas plus rationnel de l'annexer à une Académie
locale, ainsi qu'on l'a déjà fait à Anvers?
Dans mon rapport au gouvernement sur la
création d'une école de gravure en 1836, j'avais
conclu qu'il fallait engager un professeur de
gravure à 6,000 francs d'appointements à charge
de donner chez lui un cours à 25 élèves. Ce mode
n'a point prévalu.
Je conclus donc que les écoles de peinture, de
sculpture et de gravure sont un obstacle au dé-
veloppement de l'art, à celui du génie de l'homme
qui parcourt cette noble carrière, car une fois
entré dans une fausse route, il doit subir cette
fatale influence durant toute sa vie.
Je pense aussi que le gouvernement ne devrait
plus favorier l'art en général autrement que pra
primes et concours ; il en résulterait une protec-
tion plus efficace, une répartition plus juste et
une très grande économie.
Déjà j'ai signalé dans la presse une mesure que
je crois un progrès par rapport à nos expositions
nationales, affaires dans lesquelles l'Etat n aurait
plus à intervenir si ce n'est sous le rapport des
récompenses honorifiques, des primes et des
concours : voici, Sire, en quoi cette mesure con-
siste.
Les artistes nommeraient dorénavant eux-
mêmes les membres composant la commission
administrative des expositions; ils seraient ainsi
jugés et classés par leurs pairs (2).
(2) Cette mesure a été proposée par moi, il y a un
an environ, à M. Arago, membre du gouvernement
provisoire à Paris. Celui-ci fit prendre de suite un
arrêté relatif à son adoption ; il est déplorable que
nous n'ayons pas pris sur nos voisins l'initiative de
cette liberté publique.