N° 11.
15 Juin 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : M. Ad. SIRET.
membre de l'academie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. France : Le salon de Paris, artistes
belges. — Les Beaux-Arts en Lorraine. — Du
Bas-Relief. — Les grandes eaux-fortes de Rem-
brandt. ■— Chronique générale. — Cabinet de la
curiosité. — Dictionnaire des peintres. — An-
nonces.
France.
LE SALON DE PARIS.
peinture. —• 3" article.
ARTISTES BELGES.
Nous avons cette année au Palais des Champs-
Elysées plusieurs salles exclusivement remplies
par les artistes étrangers. De tous les résultats
que l'on était en droit d'attendre du classe-
ment systématique, aucun ne l'emporte sur
l'avantage très réel de pouvoir comparer, d'un
coup d'œil le style des maîtres européens à
celui des français. Italiens, russes, espagnols,
suédois, norwégieus, danois, hollandais, fla-
mands sont réunis côte à côte dans la même
partie du palais. Il y a bien à souhaiter que
l'on fasse mieux les choses en 1881 qu'elles
n'ont pu être faites en 1880. Nous voudrions
pour que la critique eût toute sa liberté d'al-
lure qu'on prît soin d'achever le groupement
des œuvres par nationalités. Pourquoi M. Mo
reno qui est espagnol est-il séparé de MM.
Palmaroli, Ribeiro, Lira, Caranova, ses com-
patriotes? M. Pasini et M. de Blaas, italiens
l'un et l'autre, gagneraient au rapprochement
de leurs toiles sur le même panneau. Nous en
dirons autant de M. Hugo Salmson et de
M. Alfred Wahlberg, deux suédois d'origine.
Toutefois, ces artistes devenus parisiens, ont
assez peu gardé la trace des premiers ensei-
gnements reçus à Stockholm, Mais où nous
avons regretté la dispersion dans trois ou quatre
salles des œuvres de même provenance, c'est
en présence de vos nationaux. Il faut chercher
longtemps le panneau de M. Jean Van Beers,
Soir d'été, avant de le découvrir. Il est pour-
tant en belle place, sur la cimaise, dans l'angle
d'un salon. Ce n'est que justice. L'œuvre est
personnelle, originale et d'un caractère éclec-
tique. Je ne sais ce qu'il faut louer de préfé-
rence dans cette toile, ou du sentiment poétique
qui plane sur la verte colline, les grands
chênes, l'horizon, la lutte indécise de l'ombre
et de la lumière, ou de la note réaliste que
jette le costume élégant de la jeune fdle assise
sur un banc de jardin, tournant le dos à la
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : o FRANCS.
étranger : 12 fr.
statue mutilée d'un joueur de flûte et ayant
commandé à son équipage de stationner à cent
pas sur la pelouse. M. Van Beers est un habile.
11 désarme ceux qui trouveraient à redire à la
composition de son sujet. Comment blâmer
la convention voulue de cette rêverie calculée,
où rien ne trahit l'abandon, lorsque, d'autre
part, le soleil couchant baigne de ses ondes
dorées, l'arbre, le gazon, le marbre antique
traités avec autant de goût que de savoir.
M. Van Beers nous permettra de lui dire :
sur la frontière où il s'est placé en composant
cette toile, il séduit, mais lorsqu'il voudra
franchement faire une œuvre dé style, une
dans le plan, dans les accessoires, il s'impo-
sera de haute lutte.
Nous n'avons pas à donner le même conseil
à M. Emile Delpérée. Vous connaissez le su-
jet de son tableau : Les députés gantois venant
faire amende honorable sont obligés d'attendre
à la porte de Charles le Téméraire, à Bru-
xelles. Un vent de haîne souffle sur les groupes
muets que M. Delperée a disposés avec un
art puissant, debout, dans la neige, devant
une porte fermée. L'artiste a parfaitement
compris qu'il ajouterait à l'humiliation de
ses compatriotes en indiquant la demeure
du terrible duc de Bourgogne sous un aspect
des plus modestes. Le vainqueur est campé
dans une masure, et c'est devant la porte mal
jointe de cette cabane qui n'est pas même gar-
dée par un soldat, que les notables, les magis-
trats de Gand doivent stationner avec l'éten-
dard de la ville.
L'un d'eux, moins patient que ses pairs,
s'est approché jusqu'au seuil, mais le vaincu
n'a pas d'audace. Le bon plaisir du maître est
sa loi. Il le sait. Ce qu'il pense de l'affront
supporté, ce qu'il médite d'infliger à son tour
à l'heure de la revanche, vous le pouvez lire
comme moi sur les traits des personnages de
M. Delpérée. Certes l'artiste a peint une com-
position magistrale, mais il a fait plus encore :
il a honoré sa patrie. Les quelques députés
gantois dont il évoque le souvenir avec tant
de dignité sont un peuple. L'art historique,
est plein d'enseignements lorsqu'il est traité
comme vient de le faire M. Delpérée.
Je salue du resard le vieux Saule de M. AI-
fred de Knyff, mais je lui préfère les Bœufs
dans une prairie marécageuse de M. Xavier
de Cock. Quelles bêtes magnifiques que les
ruminants de M. de Cock ! Ils vous remettent
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
en mémoire le début de la chanson de Pierre
Dupont :
J'ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux...
Les bords de FEpte par M. César de Kock
est un paysage d'une grande vérité, sagement
conçu et peint par une main de raffiné. Il en
faut dire autant de la Chaumière de mad. Ma-
rie Collart. Il y a dans sa composition le cadre
d'une idylle. On suit volontiers M. Adolphe
Hamesse à travers les allées vierges du Bois
de la Cambre. Corot, Brascassat, Paul Huet,
les grands amoureux de la forêt de Fontaine-
bleau, dont les toiles sont toujours présentes
à notre esprit n'ont pas épuisé les spectacles
de la nature sur ce coin de terre privilégié.
M. Henri Langerock en fournit la preuve, son
Coin de la forêt de Fontainebleau est une page
exquise. Jour de pluie, par M. Denduyts re-
tient un grand nombre de visiteurs.
Avec M. Verwée, nous revenons aux fleuves.
Il a peint l'Embouchure de l'Escaut en vrai
descendant des Vernet. C'est bien Anvers que
M. Mois a su voir, c'est bien l'immensité, l'air
vif, le balancement majestueux de la vague au-
tour des bateaux marchands que nous retrou-
vons dans le tableau du maître,avec le bruisse-
ment de la fourmilière humaine au second
plan. M. Mois a été moins heureux lorsqu'il a
tenté de peindre le Quai Henri IV à Paris. Il
ne nous semble pas qu'il ait fait dans cette toile
une part suffisante a l'agitation bruyante et
toujours fiévreuse des quais parisiens.
Rentrons au gite. Le foyer nous attend.
Voici dans son cabinet de travail nous dirions
volontiers dans son laboratoire l'Amateur
érudit de M. Van Hove. Le type vaut la peine
d'être popularisé par le burin. L'Ecole de
musique de madame Ronner est un tableau
de genre composé avec esprit et d'une facture
toute virile. Quand à la Visite à l'atelier de
M. Oyens (David), on peut difficilement ima-
giner une scène plus amusante et plus vraie.
Combien les marchands d'œuvres d'art sont
excusables vraiment lorsqu'ils troquent une
copie contre un original chez les financiers
grotesques dont M. Oyens no;is présente un
type d'après nature au premier plan de
son tableau. Assis devant la toile du maître
dont il visite l'atelier, il s'est armé d'une
loupe pour mieux juger de l'effet. Oh ! lé
fin connaisseur ! Et dire que nous l'avons
15 Juin 1880.
Vingt-deuxième Année.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : M. Ad. SIRET.
membre de l'academie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. France : Le salon de Paris, artistes
belges. — Les Beaux-Arts en Lorraine. — Du
Bas-Relief. — Les grandes eaux-fortes de Rem-
brandt. ■— Chronique générale. — Cabinet de la
curiosité. — Dictionnaire des peintres. — An-
nonces.
France.
LE SALON DE PARIS.
peinture. —• 3" article.
ARTISTES BELGES.
Nous avons cette année au Palais des Champs-
Elysées plusieurs salles exclusivement remplies
par les artistes étrangers. De tous les résultats
que l'on était en droit d'attendre du classe-
ment systématique, aucun ne l'emporte sur
l'avantage très réel de pouvoir comparer, d'un
coup d'œil le style des maîtres européens à
celui des français. Italiens, russes, espagnols,
suédois, norwégieus, danois, hollandais, fla-
mands sont réunis côte à côte dans la même
partie du palais. Il y a bien à souhaiter que
l'on fasse mieux les choses en 1881 qu'elles
n'ont pu être faites en 1880. Nous voudrions
pour que la critique eût toute sa liberté d'al-
lure qu'on prît soin d'achever le groupement
des œuvres par nationalités. Pourquoi M. Mo
reno qui est espagnol est-il séparé de MM.
Palmaroli, Ribeiro, Lira, Caranova, ses com-
patriotes? M. Pasini et M. de Blaas, italiens
l'un et l'autre, gagneraient au rapprochement
de leurs toiles sur le même panneau. Nous en
dirons autant de M. Hugo Salmson et de
M. Alfred Wahlberg, deux suédois d'origine.
Toutefois, ces artistes devenus parisiens, ont
assez peu gardé la trace des premiers ensei-
gnements reçus à Stockholm, Mais où nous
avons regretté la dispersion dans trois ou quatre
salles des œuvres de même provenance, c'est
en présence de vos nationaux. Il faut chercher
longtemps le panneau de M. Jean Van Beers,
Soir d'été, avant de le découvrir. Il est pour-
tant en belle place, sur la cimaise, dans l'angle
d'un salon. Ce n'est que justice. L'œuvre est
personnelle, originale et d'un caractère éclec-
tique. Je ne sais ce qu'il faut louer de préfé-
rence dans cette toile, ou du sentiment poétique
qui plane sur la verte colline, les grands
chênes, l'horizon, la lutte indécise de l'ombre
et de la lumière, ou de la note réaliste que
jette le costume élégant de la jeune fdle assise
sur un banc de jardin, tournant le dos à la
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : o FRANCS.
étranger : 12 fr.
statue mutilée d'un joueur de flûte et ayant
commandé à son équipage de stationner à cent
pas sur la pelouse. M. Van Beers est un habile.
11 désarme ceux qui trouveraient à redire à la
composition de son sujet. Comment blâmer
la convention voulue de cette rêverie calculée,
où rien ne trahit l'abandon, lorsque, d'autre
part, le soleil couchant baigne de ses ondes
dorées, l'arbre, le gazon, le marbre antique
traités avec autant de goût que de savoir.
M. Van Beers nous permettra de lui dire :
sur la frontière où il s'est placé en composant
cette toile, il séduit, mais lorsqu'il voudra
franchement faire une œuvre dé style, une
dans le plan, dans les accessoires, il s'impo-
sera de haute lutte.
Nous n'avons pas à donner le même conseil
à M. Emile Delpérée. Vous connaissez le su-
jet de son tableau : Les députés gantois venant
faire amende honorable sont obligés d'attendre
à la porte de Charles le Téméraire, à Bru-
xelles. Un vent de haîne souffle sur les groupes
muets que M. Delperée a disposés avec un
art puissant, debout, dans la neige, devant
une porte fermée. L'artiste a parfaitement
compris qu'il ajouterait à l'humiliation de
ses compatriotes en indiquant la demeure
du terrible duc de Bourgogne sous un aspect
des plus modestes. Le vainqueur est campé
dans une masure, et c'est devant la porte mal
jointe de cette cabane qui n'est pas même gar-
dée par un soldat, que les notables, les magis-
trats de Gand doivent stationner avec l'éten-
dard de la ville.
L'un d'eux, moins patient que ses pairs,
s'est approché jusqu'au seuil, mais le vaincu
n'a pas d'audace. Le bon plaisir du maître est
sa loi. Il le sait. Ce qu'il pense de l'affront
supporté, ce qu'il médite d'infliger à son tour
à l'heure de la revanche, vous le pouvez lire
comme moi sur les traits des personnages de
M. Delpérée. Certes l'artiste a peint une com-
position magistrale, mais il a fait plus encore :
il a honoré sa patrie. Les quelques députés
gantois dont il évoque le souvenir avec tant
de dignité sont un peuple. L'art historique,
est plein d'enseignements lorsqu'il est traité
comme vient de le faire M. Delpérée.
Je salue du resard le vieux Saule de M. AI-
fred de Knyff, mais je lui préfère les Bœufs
dans une prairie marécageuse de M. Xavier
de Cock. Quelles bêtes magnifiques que les
ruminants de M. de Cock ! Ils vous remettent
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
en mémoire le début de la chanson de Pierre
Dupont :
J'ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs marqués de roux...
Les bords de FEpte par M. César de Kock
est un paysage d'une grande vérité, sagement
conçu et peint par une main de raffiné. Il en
faut dire autant de la Chaumière de mad. Ma-
rie Collart. Il y a dans sa composition le cadre
d'une idylle. On suit volontiers M. Adolphe
Hamesse à travers les allées vierges du Bois
de la Cambre. Corot, Brascassat, Paul Huet,
les grands amoureux de la forêt de Fontaine-
bleau, dont les toiles sont toujours présentes
à notre esprit n'ont pas épuisé les spectacles
de la nature sur ce coin de terre privilégié.
M. Henri Langerock en fournit la preuve, son
Coin de la forêt de Fontainebleau est une page
exquise. Jour de pluie, par M. Denduyts re-
tient un grand nombre de visiteurs.
Avec M. Verwée, nous revenons aux fleuves.
Il a peint l'Embouchure de l'Escaut en vrai
descendant des Vernet. C'est bien Anvers que
M. Mois a su voir, c'est bien l'immensité, l'air
vif, le balancement majestueux de la vague au-
tour des bateaux marchands que nous retrou-
vons dans le tableau du maître,avec le bruisse-
ment de la fourmilière humaine au second
plan. M. Mois a été moins heureux lorsqu'il a
tenté de peindre le Quai Henri IV à Paris. Il
ne nous semble pas qu'il ait fait dans cette toile
une part suffisante a l'agitation bruyante et
toujours fiévreuse des quais parisiens.
Rentrons au gite. Le foyer nous attend.
Voici dans son cabinet de travail nous dirions
volontiers dans son laboratoire l'Amateur
érudit de M. Van Hove. Le type vaut la peine
d'être popularisé par le burin. L'Ecole de
musique de madame Ronner est un tableau
de genre composé avec esprit et d'une facture
toute virile. Quand à la Visite à l'atelier de
M. Oyens (David), on peut difficilement ima-
giner une scène plus amusante et plus vraie.
Combien les marchands d'œuvres d'art sont
excusables vraiment lorsqu'ils troquent une
copie contre un original chez les financiers
grotesques dont M. Oyens no;is présente un
type d'après nature au premier plan de
son tableau. Assis devant la toile du maître
dont il visite l'atelier, il s'est armé d'une
loupe pour mieux juger de l'effet. Oh ! lé
fin connaisseur ! Et dire que nous l'avons