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Le Journal d'Abou Naddara = Abū Naẓẓāra = The Man with the Glasses = garīdat abī naẓẓāra = The Journal of the Man with the Glasses = Journal Oriental Illustré — Paris, 1888

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Issue 8 (15.08.1888)
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https://doi.org/10.11588/diglit.56658#0028
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LA VALLÉE DU NIE VUE DU HAUT DE LA TOUR EIFFEL

luire : Vision d’Abou Naddara


VISION D’ABOU NADDARA

Assalam alek ya cheik Eiffel !
Salut à toi, ô fils intrépide de la France !
En extase ravi, J’admire ton œuvre gigantesque dont la tête ma-
jestueuse fendra bientôt les nues.
Grands ingénieurs de la terre, glorifiez Eiffel, créateur de la
huitième merveille du monde.
La gloire n’appartient qu’au héros doué de génie, qui exécute des
choses impossibles à tout autre.
La gloire est donc ton partage, ô Eiffel!
Soutenu par les anges d’Allah, j’ai atteint le sommet de ta pyra-
mide en fer, d’où je contemple ton pays, cher aux Orientaux.
Que tu sois béni parmi les grands hommes, ô Eiffel!
Car grâce à toi, je revois ma malheureuse patrie, dont les tyrans
m’ont expulsé pour y avoir prôné la liberté.
Oui, du haut de ta Tour immense, dans toute son étendue, s’offre à
mes yeux ma chère vallée du Nil,
Je soupire après toi, ô mon Egypte bien aimée.
Comme la colombe soupire après les lieux où s’ébattent ses douces
compagnes.
Je soupire après vous, ô mes frères! ô enfants opprimés du Nil!
malgré la distance qui nous sépare,
Comme l’homme du désert, qui est décoré de la soif, soupire après
l’eau qu’il a rencontrée et dont l'approche lui est défendue par la pointe
des lances meurtrières.
Je te salue, Ô terre de mes aïeux! que la perfide Albion infeste
et profane!...
A ta vue inespérée, des larmes, tantôt de joie, tantôt de douleur,
jaillissent de mes yeux avides de ta lumière.
Le spectacle que le Soudan m’offre réjouit mon cœur; mais celui,
hélas ! que l'Egypte me donne, afflige mon âme.
Oh! bonheur ineffable! Je vois les Mahdistes, ces lions noirs du dé-
sert, qui portent la terreur et la mort dans les bataillons ennemis.
Enfants d'Egypte, contemplez la mine haute et fière de ces héros;
regardez leurs cicatrices glorieuses, et apprenez à devenir courageux
pour attaquer nos envahisseurs et les chassér de notre pays qu’ils dé-
solent.
Qu'ils succombent ou qu’ils soient vainqueurs, ceux qui combattent
pour la patrie, Allah leur donnera une généreuse récompense.
Où courez-vous, Ô ivres soldats de l’égoïste Angleterre ! ô saute-
relles rouges, qui ravagez l’Egypte et les Indes?...
Marchez-vous sur le Soudan pour venger vos quarante mille frères?
Insensés! le sort fatal de l’élite de vos généraux et de la fleur de
l’état-major vous attend.

Comme eux, vous allez être’la proie des flammes de l’enfer.
Ma prophétie se réalise.
Les vainqueurs des formidables armées de Hicks, de Gordon, de
Graham, de Wolseley et de Baker, vous barrent le chemin et vous
embrochent par leurs lances.
Les hideux esclaves de Satan remplissent leurs paniers de vos ca-
davres immondes pour alimenter les brasiers ardents de l’enfer.
Vous serez abreuvés d’une eau bouillante qui vous déchirera les
entrailles.
Emirs soudanais, chefs valeureux des derviches, votre triomphe
sur les ennemis de nos contrées vous ouvre les portes du séjour
des élus.
Les belles houris du ciel vous préparent la meilleure place au paradis
de Mahomet.
Sont-ce les fellahs de la Haute-Egypte que je revois à la corvée?
Hélas! oui, ils creusent des canaux pour arroser les terres dont ils
furent dépouillés, et cultivent les champs dont ils ne goûteront pas les
fruits.
Affreuse est la misère de ces paysans.
Même le pain noir moisi et -l’oignon sec manquent souvent à leurs
enfants affamés.
Malheur à eux s’ils murmurent contre leurs despotes! Le chat à
neuf queues fermera leur bouche.
Qu’aperçois-je dans les villes principales de la Basse-Egypte?
Des honnêtes citoyens réduits par la misère à tendre la main !
Ah! je vous reconnais, ô mes frères. Le Gouvernement vous a chassés
de ses ministères et de ses administrations pour donner vos emplois, à des
Anglais aussi avides qu'incapables.
Mais hélas! l’obole que la charité vous accorde pour donner du pain
à vos enfants, ne servira qu’à les ensevelir.
O Anglais ! tous les fléaux vous accompagnent.
Après la ruine, la peste des Indes vient décimer les enfants d’Egypte.
Je te revois, ô Alexandrie, gracieuse épouse de la Méditerranée.
Ta vue rappelle à ma mémoire le triste jour où j’ai quitté ma terre
natale.
Navrant est le spectacle que ton port offre à mes yeux !
Jadis, le commerce du monde entier l’animait ; aujourd’hui, l’émigra-
tion européenne. le désole.
Seuls, les navires .britanniques le sillonnent.
Ceux-ci emmènent les insulaires enrichis. Ceux-là débarquent,
leurs compatriotes affamés de nos dépouilles...
Elle est impuissante votre légitime colère, pauvres Egyptiens dé-
sarmés.
 
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