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Laborde, Léon Emmanuel Simon Joseph de [Hrsg.]; Laborde, Alexandre Louis Joseph de [Hrsg.]
Voyage de la Syrie — Paris, 1837

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https://doi.org/10.11588/diglit.6093#0174
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est presque noir, el d'une expression dure, peu agréable; mais elles sont grandes, bien faites, et surtout
d'une force herculéenne. On peut les comparer, pour la vie de rudes labeurs quelles mènent, pour la
brutale manière dont on les traite, pour leur conformation même, aux juments arabes, qui ne sont pas
belles, mais fortes, et qui laissent pressentir les bons services qu'elles doivent rendre et les beaux pou-
lains qu'elles donneront.

L'aga de Jéricho, le soir même de notre arrivée, envoie un paysan du village chercher de l'autre côté
du Jourdain le plus puissant des trois cheiks de la tribu des Adouan pour nous mener à Djerash et
à Amman; mais, à peine en route, cet homme, après avoir traversé le Jourdain, a peur de son iso-
lement, et revient. C'est une journée perdue. On envoie un messager plus aguerri, et, en attendant
son retour, nous faisons quelques excursions aux environs de Jéricho.

Nous allons d'abord à la mer Morte. Nos conducteurs nous désignent à droite, sur la montagne, le
tombeau de Moïse, lieu très-vénéré par les Turcs, qui y ont construit une petite mosquée où ils vont en
pèlerinage. On sait que Moïse ne passa pas le Jourdain, et, pour expliquer la violence de ce contre-sens,
on prétend que ce tombeau est élevé sur la place d'un ancien monastère où vécut un moine renommé,
du nom de Moïse. L'explication est aussi puérile que la tradition est absurde; aussi qu'est-il besoin, dans
ce pays, d'excuser les erreurs des Juifs, des chrétiens, des musulmans? C'est par excellence le pays des
traditions, et les plus ridicules côtoient les plus respectables. Un peu plus loin, à notre gauche, nous
laissons les ruines d'un couvent latin dédié à saint Jérôme.

La vue de la mer Morte, quand on s'en approche de ce côté, conserve le caractère solennel qu'elle
présente de loin. L'immobilité reste la même, l'immobilité de la mort, et elle lui a donné son nom. C'est
une glace de plomb fondu dans un cadre d'argent mat; c'est terne, et cependant éblouissant, imposant,
infernal. C'est d'ailleurs là tout ce qu'elle a de surnaturel: le reste s'explique par les lois les plus sim-
ples de la nature. Créée par une perturbation volcanique, tenue en communication avec des bancs de
sel et des puits de bitume, elle acquiert une salure tout à fait exceptionnelle, en dépit de la masse des
eaux que la saison des pluies y déverse de tous côtés et que le Jourdain y apporte continuellement. Cette
salure, qui se répand par l'évaporation sur les rives et y détruit la végétation, ne tue pas les êtres vi-
vants, poissons, oiseaux, gibier, insectes, ni dans ses eaux, ni sur ses bords; mais on les y rencontre clair-
semés, et elle les en éloigne par la difficulté d'y vivre et l'impossibilité de s'y multiplier. On y trouve
donc des poissons, mais ils sont descendus avec les eaux du Jourdain, et, après bien peu de jours, ils y
végètent et y meurent; on y voit des oiseaux, quelques lièvres, des reptiles, des insectes, autant d'ani-
maux fourvoyés et qui mourraient aussi, si, après avoir constaté l'amertume insupportable de l'eau et
l'aridité du rivage, ils ne regagnaient la plaine, la source douce d'Elisée ou le cours du Jourdain.

La rive est couverte de pièces de bois el de débris de végétation que les torrents entraînent dans cette
mer et qu'un léger flux pousse vers le bord. A l'endroit où nous arrivons, la plage est tout à fait nue.
Les eaux, en se retirant, depuis la grande crue de la saison des pluies, ont laissé sur le sol une vaste
nappe de sel blanc très-pur; mais, à quelque distance, au pied des montagnes de Judée, nous apercevons
unbouquet d'arbres et d'arbrisseaux qui forment un point de vue charmant.

Comment s'est formée cette mer intérieure, ce lac salé, la Genèse le dit: le Jourdain traversait deux
plaines fertiles, la plaine de Tibérias et celle de Sittim; une épouvantable éruption volcanique soulève le
sol et l'affaisse dans toute la partie de la vallée qui est de formation secondaire, c'est-à-dire entre le Liban
proprement dit et les chaînes de granit de FAkabah ; aussitôt le Jourdain cesse de couler dans la mer
Rouge, il remplit le vaste gouffre du volcan, et toutes les pentes du terrain, allant désormais vers ce centre,
sont bientôt ravinées par les eaux des pluies, qui y tracent leur direction en ouadis plus ou moins pro-
fondes, ïl ne reste de l'ancien état de choses que le lit du Jourdain, animé par ses eaux au nord de la mer
Morte, et montrant au sud son ancien parcours desséché au milieu des parois granitiques de Ouady-Araba.

L'eau de la mer Morte, comme je l'ai dit, est d'une salure beaucoup plus forte que celle d'aucune
autre mer, et d'un goût si extraordinairement acre et désagréable qu'elle provoque sur-le-champ des
vomissements; la moindre goutte qui touche les yeux tourmente comme une brûlure. Nous avons en-
tendu plus d'une assertion sur la puissance des eaux de la mer Morte de supporter l'homme sans qu'il
sache nager ou sans qu'il ait besoin de faire les mouvements prescrits pour se maintenir sur l'eau. Nous
n'avons rien de plus pressé que de vérifier le fait par nous-mêmes, et aussitôt, habits bas, nous som-
mes à l'eau. Etonné moi-même de la facilité avec laquelle je me soutiens sur la surface de cette mer,
de la difficulté que j'éprouve à plonger, j'invite l'abbé-Des masures à se mettre à l'eau. Le bon abbé, sé-
duit par mon immobilité, croit qu'il va se trouver là couché comme sur un lit d'édredon, et, oubliant
 
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