2 . INTRODUCTION.
font sur leur ame les débris pompeux que leurs pieds foulent chaque jour; il
se plaît à chercher s'ils ont conservé le foyer des connoissances humaines, s'ils
l'ont alimenté, ou bien si malheureusement ils l'ont laissé éteindre; il veut
savoir si vraiment ils se sont élevés au-dessus de leurs prédécesseurs, ou s'ils
sont restés au-dessous; il observe si leurs mœurs, leurs habitudes, leur po-
lice intérieure, leurs préjugés même, ont contracté quelques nuances du
caractère des peuples dont ils occupent la place: enfin il parvient «à discer-
ner s'ils vivent au milieu de ces monuments comme étrangers ou comme
héritiers.
Considérées sous ces deux points de vue, I'Istrie et la Dalmatie pré-
sentent à l'observateur la scène la plus curieuse : d'un coté le squelette de
l'empire romain; de l'autre, et dans la Dalmatie sur-tout, un peuple pas-
teur, nomade, et peut-être même redescendu par la dégradation à l'état
sauvage; ici les traces fastueuses des maîtres du monde, là l'obscure indi-
gence de quelques tribus ignorées; les colonnes décrépites des palais césa-
riens, la hutte enfumée de l'Haiduck sans vertu; les arcs triomphaux de la
victoire, les armes grossières du Morlaque sans milice; les restes majestueux
des temples de Jupiter, les informes chapelles du christianisme; les bains
spacieux où la volupté romaine délassoit les grâces et la beauté, la paille
infecte où la Dalmatienne avilie repose loin de l'estime conjugale; enfin les
ossements des arts, et le corps difforme de l'ignorance. Tels sont les con-
trastes dont le rapprochement douloureux frappe à chaque pas le voyageur
qui parcourt ces contrées. S'il étudie les ruines, elles lui rappellent des
crimes et des erreurs ; s'il étudie les habitants, il n'apperçoit que des souf-
fiances et la stupidité ; et son cœur gémit en trouvant l'homme de tous
les siècles étranger au bonheur.
Telles sont les réflexions qui durent nécessairement affliger le ci-
toyen Cassas au sein des plaisirs qu'offroient au génie du peintre la dignité
des ruines et le piquant aspect des sites. Mais n'anticipons point sur l'ordre
que nous nous sommes prescrit dans le classement des matières dont la ré-
daction nous est confiée. Pour y mettre quelque méthode, nous donne-
rons d'abord une idée de la situation géographique de ces deux provinces, et
de leur histoire politique depuis qu'elles sont connues. Nous entrerons en-
suite dans quelques détails sur les Uscoques, qui pendant les derniers siècles
ont attiré l'attention de l'Europe sur ces provinces. Nous dirons un mot des Mor-
laques, qui maintenant habitants d'une terre qui ne fut point leur berceau
y conservent encore, à l'ombre de leurs heureuses vallées, l'innocence peut-
être barbare, mais tout au moins sauvage, de leurs aïeux perdus pour nous
dans la nuit des temps. Enfin nous accompagnerons le citoyen Cassas dans la
marche qu'il a suivie en parcourant cette partie de l'Europe; nous ferons con-
noître d'après lui les lieux qu'il a fréquentés; et nous terminerons en donnant
l'explication des desseins qu'il a exécutés avec autant de lumières que de
pou t. Commençons.
font sur leur ame les débris pompeux que leurs pieds foulent chaque jour; il
se plaît à chercher s'ils ont conservé le foyer des connoissances humaines, s'ils
l'ont alimenté, ou bien si malheureusement ils l'ont laissé éteindre; il veut
savoir si vraiment ils se sont élevés au-dessus de leurs prédécesseurs, ou s'ils
sont restés au-dessous; il observe si leurs mœurs, leurs habitudes, leur po-
lice intérieure, leurs préjugés même, ont contracté quelques nuances du
caractère des peuples dont ils occupent la place: enfin il parvient «à discer-
ner s'ils vivent au milieu de ces monuments comme étrangers ou comme
héritiers.
Considérées sous ces deux points de vue, I'Istrie et la Dalmatie pré-
sentent à l'observateur la scène la plus curieuse : d'un coté le squelette de
l'empire romain; de l'autre, et dans la Dalmatie sur-tout, un peuple pas-
teur, nomade, et peut-être même redescendu par la dégradation à l'état
sauvage; ici les traces fastueuses des maîtres du monde, là l'obscure indi-
gence de quelques tribus ignorées; les colonnes décrépites des palais césa-
riens, la hutte enfumée de l'Haiduck sans vertu; les arcs triomphaux de la
victoire, les armes grossières du Morlaque sans milice; les restes majestueux
des temples de Jupiter, les informes chapelles du christianisme; les bains
spacieux où la volupté romaine délassoit les grâces et la beauté, la paille
infecte où la Dalmatienne avilie repose loin de l'estime conjugale; enfin les
ossements des arts, et le corps difforme de l'ignorance. Tels sont les con-
trastes dont le rapprochement douloureux frappe à chaque pas le voyageur
qui parcourt ces contrées. S'il étudie les ruines, elles lui rappellent des
crimes et des erreurs ; s'il étudie les habitants, il n'apperçoit que des souf-
fiances et la stupidité ; et son cœur gémit en trouvant l'homme de tous
les siècles étranger au bonheur.
Telles sont les réflexions qui durent nécessairement affliger le ci-
toyen Cassas au sein des plaisirs qu'offroient au génie du peintre la dignité
des ruines et le piquant aspect des sites. Mais n'anticipons point sur l'ordre
que nous nous sommes prescrit dans le classement des matières dont la ré-
daction nous est confiée. Pour y mettre quelque méthode, nous donne-
rons d'abord une idée de la situation géographique de ces deux provinces, et
de leur histoire politique depuis qu'elles sont connues. Nous entrerons en-
suite dans quelques détails sur les Uscoques, qui pendant les derniers siècles
ont attiré l'attention de l'Europe sur ces provinces. Nous dirons un mot des Mor-
laques, qui maintenant habitants d'une terre qui ne fut point leur berceau
y conservent encore, à l'ombre de leurs heureuses vallées, l'innocence peut-
être barbare, mais tout au moins sauvage, de leurs aïeux perdus pour nous
dans la nuit des temps. Enfin nous accompagnerons le citoyen Cassas dans la
marche qu'il a suivie en parcourant cette partie de l'Europe; nous ferons con-
noître d'après lui les lieux qu'il a fréquentés; et nous terminerons en donnant
l'explication des desseins qu'il a exécutés avec autant de lumières que de
pou t. Commençons.