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longs ou brefs, dans l'accentuation ou la hiérarchie des éléments
l'équivalent d'une phrase musicale et d'une symphonie.
C'est le temps où l'on décore édifices, lieux publics et maisons
de figures ternes et plates. On « stylise », mot affreux! On con-
fond une fois de plus le shéma et la synthèse; on compose de
vastes décorations symétriques, et l'on ne sait plus peindre un
« morceau ». Hodler n'a cessé de peindre des « morceaux ».
Il construit rigoureusement ces femmes osseuses ou musclées
dont le vêtement bleu accuse plus qu'il ne dissimule le corps
élancé ou trapu. Elles sont bien les filles, les sœurs, les femmes
des héros de Marignan, de Morgarten et de Morat. La structure
intérieure livre son mécanisme; l'os soulève la peau et inscrit
ses accents brefs et durs comme un rocher soulève et perce
enfin la terre. Mêmes lois ici et là. La montagne qui surgit
dans le ciel est sœur par la grandeur de ces femmes monu-
mentales; l'arbre tient au sol comme la femme y tient; ils s'élè-
vent tous trois dans l'espace selon un rythme qui est au fond
le même, et leur épanouissement est pareil. Cependant tout est
défini, tout est réalisé : la femme, le rocher, l'arbre, et le nuage
et l'eau. Il connaît leur nature première; il sait la place que
chacun occupe dans l'espace — dans l'espace qu'il leur a rigou-
reusement assigné.
Comme les dieux antiques, il unit en lui des forces antagonistes,
et en les harmonisant il crée un nouvel équilibre. Il s'apparente
aux mosaïstes de Saint Marc; il se rapproche de Giotto; mais les
primitifs allemands ont le droit de reconnaître en lui l'héritier de
Dürer et d'Holbein.
La matière et l'esprit qui la meut lui sont obéissants. Il est
maître d'un univers dont il ordonne le rythme, il y dicte ses lois;
il est dieu. Et voici que le miracle s'accomplit : ce dieu va devenir
un homme.
Jusqu'ici ce fut le règne orgueilleux de l'Esprit. Nous l'avons
vu naître, évoluer, grandir. Ses formes embryonnaires se sont
longs ou brefs, dans l'accentuation ou la hiérarchie des éléments
l'équivalent d'une phrase musicale et d'une symphonie.
C'est le temps où l'on décore édifices, lieux publics et maisons
de figures ternes et plates. On « stylise », mot affreux! On con-
fond une fois de plus le shéma et la synthèse; on compose de
vastes décorations symétriques, et l'on ne sait plus peindre un
« morceau ». Hodler n'a cessé de peindre des « morceaux ».
Il construit rigoureusement ces femmes osseuses ou musclées
dont le vêtement bleu accuse plus qu'il ne dissimule le corps
élancé ou trapu. Elles sont bien les filles, les sœurs, les femmes
des héros de Marignan, de Morgarten et de Morat. La structure
intérieure livre son mécanisme; l'os soulève la peau et inscrit
ses accents brefs et durs comme un rocher soulève et perce
enfin la terre. Mêmes lois ici et là. La montagne qui surgit
dans le ciel est sœur par la grandeur de ces femmes monu-
mentales; l'arbre tient au sol comme la femme y tient; ils s'élè-
vent tous trois dans l'espace selon un rythme qui est au fond
le même, et leur épanouissement est pareil. Cependant tout est
défini, tout est réalisé : la femme, le rocher, l'arbre, et le nuage
et l'eau. Il connaît leur nature première; il sait la place que
chacun occupe dans l'espace — dans l'espace qu'il leur a rigou-
reusement assigné.
Comme les dieux antiques, il unit en lui des forces antagonistes,
et en les harmonisant il crée un nouvel équilibre. Il s'apparente
aux mosaïstes de Saint Marc; il se rapproche de Giotto; mais les
primitifs allemands ont le droit de reconnaître en lui l'héritier de
Dürer et d'Holbein.
La matière et l'esprit qui la meut lui sont obéissants. Il est
maître d'un univers dont il ordonne le rythme, il y dicte ses lois;
il est dieu. Et voici que le miracle s'accomplit : ce dieu va devenir
un homme.
Jusqu'ici ce fut le règne orgueilleux de l'Esprit. Nous l'avons
vu naître, évoluer, grandir. Ses formes embryonnaires se sont