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fentence & s'appliquait à la prouver. Né vertueux, ce Prince ne connut
jamais le trouble des grandes pallions, &: dès fon enfance la joie ni la
trifteffe n'altérèrent la férénité de fon vifage. Adopté par Antonin d'après
l'ordre d'Adrien, les honneurs n'enflèrent point fon cœur. Toujours modefte,
toujours fimple, il regardoit comme importunes les marques de fa dignité &
de s'en revêtoit que dans les occafions où publiquement il devoit accom-
pagner l'Empereur. Parvenu à l'Empire, il s'affocia Vérus ; trait fingulier,
qui, s'il annonce fa générofité, montre auffi peut-être fon imprudence , &
l'expérience lui prouva que fon Collègue avoit aumoins nui plus d'une fois
au bien de la République. Quoiqu'il en foit, leur règne commun eut des
commencemens heureux & tranquilles, qui permirent à Marc-Aurèle de fuivre
fon goût pour l'étude de la Philofophie. Un évènement naturellement flatteur
vint même exciter la joie publique : Fauftine donna deux fils jumeaux à fon
époux, Commode & Antoninus Géminus. Britannicus jufqu'alors étoit le feu!
qui fut né l'héritier d'un Empereur vivant. Ne difons pas avec quelques
Cyniques que la naiffance des Princes ne doit pas être une fource de joie:
toujours un bon Sujet doit partager celle de fon Souverain; mais avouons
que très-fouvent ces joies paffagères font démenties par la fuite ; témoin
celle-ci , puifque la mort enleva Antoninus Géminus encore enfant, & que
Commode ne vécut plus long-tems que pour être le fléau du genre-humain.
Marc-Aurèle ne refpiroit que pour le bonheur de fes peuples, qui jouirent
fous lui de leur liberté, & il ne les gênoit que pour les empêcher de mal
faire : encore employoit-il pour réuffir les invitations plutôt que les menaces
& les récompenfes plus volontiers que les châtimens. Plein de déférence
pour le Sénat , il exaltoit fon autorité & s'y foumettoit lui-même ; jaloux
d'en entretenir la fplendeur , il n'y faifoit entrer que des hommes éprou-
vés & connus par une bonne réputation : auffi , dans les affaires prenoit-il
toujours leur avis ; il efl plus jufe, difoit cet Empereur , que je Juive le
fentiment de ces illufires amis , que de prétendre leur faire fuivre aveuglé-
ment ma feule volonté. L'économie fut fa reffource pour ne pas fouler fes
Sujets. Dans une crife violente où fe trouvoient fes finances , loin de
charger fes Provinces de nouveaux impôts , il fit vendre publiquement les
meubles les plus précieux de fon Palais: il étoit beau, fans doute , de voir
les ftatues, les tableaux, la v^iiTelIe d'or & d'argent d'un Empereur, & juf-
qu'aux étoffes d'or & aux vêteniens fplendides de fon époufe, vendus pour
épargner les fueurs de leurs peuples. Avec un pareil Prince on ne craignoit
pas les coneuffionnaires , les Intendans infidèles , les exadeurs. Refferrée