L'EXPOSITION REMBRANDT
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et comment peut-on assez féliciter les organisateurs de pareille entreprise,
d'avoir su grouper autour des chefs-d'œuvre demeurés en Hollande un tel
nombre d'œuvres maîtresses, quelques-unes de premier ordre, et ramener
pour un moment au pays natal tant d'ouvrages depuis longtemps disper-
sés, certains presque ignorés? Si les difficultés étaient grandes, le succès le
plus complet a dépassé les prévisions. C'est bien la première fois, croyons-
nous, que pour des œuvres de peinture on vit se déplacer et accourir une
semblable légion d'admirateurs, et le privilège n'est plus maintenant aux
seules solennités musicales de provoquer des pèlerinages et d'attirer ensemble
au même endroit une telle foule et une telle élite. Et ce succès a été gran-
dissant tant qu'a duré l'Exposition. Pour tout visiteur, si préparé fut-il, l'im-
pression était identique, une admiration profonde, inattendue. On croyait
connaître Rembrandt, et dans cette exposition d'ouvrages généralement
assez inédits, il s'est montré plus complètement, sa renommée s'est accrue,
et le souvenir de cette fête d'art n'est pas près de s'éteindre.
Mais aussi pour Rembrandt cette manifestation venait à son heure, après
un demi-siècle d'études suivies sur la vie et les œuvres du maître; c'est la
dernière étape d'une réhabilitation progressive, et le triomphe définitif, par
cette réunion de toiles où éclatent la splendeur et la variété de ce génie, désor-
mais incontesté.
Un se ligure mal aujourd'hui, en présence de cette commune admiration,
de cet unanime enthousiasme devant les œuvres réunies à Amsterdam,
combien la postérité fut pendant longtemps et à tous égards dure et injuste
pour Rembrandt. Depuis que de son vivant il s'enfonce dans l'obscurité,
oublié par ses contemporains, et jusqu'aux dernières années du siècle, sa
peinture est peu regardée, et partant peu comprise, le goût public s'en désin-
téresse, la critique la méprise ; sa vie mal connue est plus maltraitée encore ;
de toutes pièces on fabrique un Rembrandt légendaire, avare, âpre au gain,
dur à ses élèves, s'en allant voyager à Venise, en Angleterre, personnage peu
sympathique, plus mystérieux et plus sombre que ceux de ses tableaux, — tel
enfin qu'il nous apparaît à travers les contes ridicules d'IIoubraken, de Des-
camps, de Dargenville et autres anciens auteurs, glosant à l'envi sur ce thème
facile. Oubliant l'essentiel, n'interrogeant ni les œuvres, ni les documents
certains, trop longtemps on ignora tout à la fois l'homme et l'artiste. Au
contraire, et c'est l'honneur de la critique de ces dernières années d'avoir
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et comment peut-on assez féliciter les organisateurs de pareille entreprise,
d'avoir su grouper autour des chefs-d'œuvre demeurés en Hollande un tel
nombre d'œuvres maîtresses, quelques-unes de premier ordre, et ramener
pour un moment au pays natal tant d'ouvrages depuis longtemps disper-
sés, certains presque ignorés? Si les difficultés étaient grandes, le succès le
plus complet a dépassé les prévisions. C'est bien la première fois, croyons-
nous, que pour des œuvres de peinture on vit se déplacer et accourir une
semblable légion d'admirateurs, et le privilège n'est plus maintenant aux
seules solennités musicales de provoquer des pèlerinages et d'attirer ensemble
au même endroit une telle foule et une telle élite. Et ce succès a été gran-
dissant tant qu'a duré l'Exposition. Pour tout visiteur, si préparé fut-il, l'im-
pression était identique, une admiration profonde, inattendue. On croyait
connaître Rembrandt, et dans cette exposition d'ouvrages généralement
assez inédits, il s'est montré plus complètement, sa renommée s'est accrue,
et le souvenir de cette fête d'art n'est pas près de s'éteindre.
Mais aussi pour Rembrandt cette manifestation venait à son heure, après
un demi-siècle d'études suivies sur la vie et les œuvres du maître; c'est la
dernière étape d'une réhabilitation progressive, et le triomphe définitif, par
cette réunion de toiles où éclatent la splendeur et la variété de ce génie, désor-
mais incontesté.
Un se ligure mal aujourd'hui, en présence de cette commune admiration,
de cet unanime enthousiasme devant les œuvres réunies à Amsterdam,
combien la postérité fut pendant longtemps et à tous égards dure et injuste
pour Rembrandt. Depuis que de son vivant il s'enfonce dans l'obscurité,
oublié par ses contemporains, et jusqu'aux dernières années du siècle, sa
peinture est peu regardée, et partant peu comprise, le goût public s'en désin-
téresse, la critique la méprise ; sa vie mal connue est plus maltraitée encore ;
de toutes pièces on fabrique un Rembrandt légendaire, avare, âpre au gain,
dur à ses élèves, s'en allant voyager à Venise, en Angleterre, personnage peu
sympathique, plus mystérieux et plus sombre que ceux de ses tableaux, — tel
enfin qu'il nous apparaît à travers les contes ridicules d'IIoubraken, de Des-
camps, de Dargenville et autres anciens auteurs, glosant à l'envi sur ce thème
facile. Oubliant l'essentiel, n'interrogeant ni les œuvres, ni les documents
certains, trop longtemps on ignora tout à la fois l'homme et l'artiste. Au
contraire, et c'est l'honneur de la critique de ces dernières années d'avoir