DES PIERRES GRAVÉES. 89
La ssatterie efl souvent l’écueil de la vertu des Princes , &
presque toujours ils ignorent les douceurs de l’amitié. Le ca-
ractère seul de Trajan suffit pour le délivrer des ssatteurs , &
la candeur de son ame lui assura des amis. Il en méritoit, parce
qu’il aimoit aussi , parce qu’il aimoit en égal , & qu’il remplis-
soit tous les devoirs de l’amitié. Parmi les Romains qui furent
honorés de la bienveillance de ce Prince , Licinius Sura tenoit le
premier rang : il posledoit des richesses immenses, & sa fortune ainsi
que la faveur dont il jouissoit ne manquèrent pas de lui susciter
des jaloux. On cherche à le perdre dans l’esprit du Prince : pour
y réussir plus sûrement, on lui suppose des desseins ambitieux,
& on en avertit l’Empereur ; mais Trajan croit trop à la vertu
pour que le soupçon trouve place en son ame. Un jour il va
souper chez Sura, sans y avoir été invité , renvoie sa garde, se
baigne , se met à table, & donne à son ami les plus grandes
marques de confiance ; le lendemain s’adressant aux ennemis de
Sura : s'il avoit eu dejsein d'attenter à ma vie , leur dit - il, fans
doute il en auroit perdu hier une belle occasion ( 1 ).
Ce trait sublime , plus admirable encore , peut - être , que celui
qu’on raconte d’Alexandre à l’égard de Philippe son médecin ,
prouve assez quel étoit le motif d’une confiance si magnanime.
Trajan ne vouloit devoir sa sûreté qu’au bonheur dont il faisoit jouir
les autres. La pureté de les intentions lui répondoit de tous les
cœurs , & sa conduite irréprochable le mettoit au dessus de la
crainte. On sait le mot de cet Empereur à Saburan , lorsqu’en
lui conférant la dignité de Préfet du Prétoire , il l’arma d’une
épée nue , symbole de cette dignité : Serve7-vous de cette épée
pour moi , fi je fais mon devoir , & contre moi , fi je ne le fais
pas (2). C’efl ainsi que dans les vœux publics qu’on faisoit tous
les ans pour l’éternelle durée de l’Empire & la conservation du
'Prince, il ordonna qu’on ajoutât la formule : s'il gouverne comme
il doit la République , & s'il procure le bien de tous (5).
(1) Dio. Lib. 68. p. 777.
(2) Dio. Lib. 68. p. 778.
Aurel. Vistor.
(3) Plin. Panegyric.
Tome IL
Z
La ssatterie efl souvent l’écueil de la vertu des Princes , &
presque toujours ils ignorent les douceurs de l’amitié. Le ca-
ractère seul de Trajan suffit pour le délivrer des ssatteurs , &
la candeur de son ame lui assura des amis. Il en méritoit, parce
qu’il aimoit aussi , parce qu’il aimoit en égal , & qu’il remplis-
soit tous les devoirs de l’amitié. Parmi les Romains qui furent
honorés de la bienveillance de ce Prince , Licinius Sura tenoit le
premier rang : il posledoit des richesses immenses, & sa fortune ainsi
que la faveur dont il jouissoit ne manquèrent pas de lui susciter
des jaloux. On cherche à le perdre dans l’esprit du Prince : pour
y réussir plus sûrement, on lui suppose des desseins ambitieux,
& on en avertit l’Empereur ; mais Trajan croit trop à la vertu
pour que le soupçon trouve place en son ame. Un jour il va
souper chez Sura, sans y avoir été invité , renvoie sa garde, se
baigne , se met à table, & donne à son ami les plus grandes
marques de confiance ; le lendemain s’adressant aux ennemis de
Sura : s'il avoit eu dejsein d'attenter à ma vie , leur dit - il, fans
doute il en auroit perdu hier une belle occasion ( 1 ).
Ce trait sublime , plus admirable encore , peut - être , que celui
qu’on raconte d’Alexandre à l’égard de Philippe son médecin ,
prouve assez quel étoit le motif d’une confiance si magnanime.
Trajan ne vouloit devoir sa sûreté qu’au bonheur dont il faisoit jouir
les autres. La pureté de les intentions lui répondoit de tous les
cœurs , & sa conduite irréprochable le mettoit au dessus de la
crainte. On sait le mot de cet Empereur à Saburan , lorsqu’en
lui conférant la dignité de Préfet du Prétoire , il l’arma d’une
épée nue , symbole de cette dignité : Serve7-vous de cette épée
pour moi , fi je fais mon devoir , & contre moi , fi je ne le fais
pas (2). C’efl ainsi que dans les vœux publics qu’on faisoit tous
les ans pour l’éternelle durée de l’Empire & la conservation du
'Prince, il ordonna qu’on ajoutât la formule : s'il gouverne comme
il doit la République , & s'il procure le bien de tous (5).
(1) Dio. Lib. 68. p. 777.
(2) Dio. Lib. 68. p. 778.
Aurel. Vistor.
(3) Plin. Panegyric.
Tome IL
Z