DE LA
SCIENCE DU LANGAGE
DE SON ÉTAT ACTUEL
I
La méthode comparative est un des plus précieux legs que nous ait
transmis le xvme siècle. Son application rigoureuse, qui est l’œuvre
de notre temps, a ramené l’intérêt sur des sujets épuisés, et ouvert
des champs nouveaux à l’activité des esprits.
Comme tout ce qui tient à l’humanité, les sciences ont eu d’hum-
bles commencements : la géométrie et la botanique sont nées, ainsi que
J’indique leur nom, de l’arpentage des terres et de la recherche du
fourrage; l’astronomie, des observations du paysan et du marin qui
cherchaient à prévoir le retour des saisons. De même la grammaire
a surgi en Occident de la nécessité où les Grecs se virent d’enseigner
leur langue aux Romains, et en Orient de la sollicitude des brah-
manes pour maintenir purs les textes des Yédas.
Ces simples germes attendaient pour s’épanouir le rayon d’une
curiosité supérieure, car il n’y a de science digne de ce nom que du
jour où l’objet est étudié pour lui-même et sans souci d’application
immédiate. L’intelligence prit cet essor à partir d’Aristote, mais elle
se renferma d’abord dans l’étude de l’objet isolé, le décomposant
par l’analyse et le recomposant par la synthèse, sans songer à ses
rapports avec le reste du monde. Cependant rien n’est isolé dans la
nature; la création est un ensemble où tout se tient. On ne com-
prend donc qu’à demi l’objet qu’on ne connaît qu’en lui-même ; on ne
saurait lui assigner sa vraie place par rapport au tout, et même les
détails échappent souvent s’ils ne sont étudiés que sur un seul point.
SCIENCE DU LANGAGE
DE SON ÉTAT ACTUEL
I
La méthode comparative est un des plus précieux legs que nous ait
transmis le xvme siècle. Son application rigoureuse, qui est l’œuvre
de notre temps, a ramené l’intérêt sur des sujets épuisés, et ouvert
des champs nouveaux à l’activité des esprits.
Comme tout ce qui tient à l’humanité, les sciences ont eu d’hum-
bles commencements : la géométrie et la botanique sont nées, ainsi que
J’indique leur nom, de l’arpentage des terres et de la recherche du
fourrage; l’astronomie, des observations du paysan et du marin qui
cherchaient à prévoir le retour des saisons. De même la grammaire
a surgi en Occident de la nécessité où les Grecs se virent d’enseigner
leur langue aux Romains, et en Orient de la sollicitude des brah-
manes pour maintenir purs les textes des Yédas.
Ces simples germes attendaient pour s’épanouir le rayon d’une
curiosité supérieure, car il n’y a de science digne de ce nom que du
jour où l’objet est étudié pour lui-même et sans souci d’application
immédiate. L’intelligence prit cet essor à partir d’Aristote, mais elle
se renferma d’abord dans l’étude de l’objet isolé, le décomposant
par l’analyse et le recomposant par la synthèse, sans songer à ses
rapports avec le reste du monde. Cependant rien n’est isolé dans la
nature; la création est un ensemble où tout se tient. On ne com-
prend donc qu’à demi l’objet qu’on ne connaît qu’en lui-même ; on ne
saurait lui assigner sa vraie place par rapport au tout, et même les
détails échappent souvent s’ils ne sont étudiés que sur un seul point.