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REVUE ARCHÉOLOGIQUE
à une source cananéenne. Ce n’est pas que notre Lévitique soit un livre très
ancien; M. D., comme l’école critique, l’estime post-exilien. Mais il rappelle à
propos cette phrase très juste de MM. Hubert et Mauss (1909) : « Si nous
croyons que la critique biblique peut constituer l’histoire des textes, nous
refusons de confondre cette histoire avec celle des faits. » Optimél Un livre
relativement récent peut nous instruire de coutumes extrêmement anciennes ;
toute la science du folk-lore, des contes populaires, ne postule-t-elle pas cette
vérité ? Entre les sacrifices préexiliques et postexiliques, il n’y a pas l’opposition
fondamentale que l’école critique a cru découvrir. Non seulement le rituel
sacrificiel des Israélites est en grande partie d’origine cananéenne, mais le dieu
cananéen Béthel fut la forme ancienne de Yahvé, et les légendes d’Abraham,
d’Isaac et de Jacob sont cananéennes. « Tant par sa civilisation que par son
culte, l’ancien peuple Israélite rentre dans l’histoire générale des populations
syriennes et se développe au milieu d’elles. » Cette manière de voir, fondée sur
des études de détail qui doivent être suivies avec beaucoup d’attention, est de
celles que l’esprit historique est, a priori, tenté de croire justes, car elle élimine
une forme scientifique du miracle telle que le serait le monothéisme primitif et
exclusif des Hébreux *.
S. R.
Charles Guignebèrt. Le problème de Jésus. Paris, Flammarion, 1921; in-8,
192 p. — Il faut savoir gré à l’auteur — esprit et plume également lucides —
d’avoir extrait tout ce qui est caractéristique (je ne dis pas raisonnable) des
livres publiés en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne contre la réalité
historique de Jésus (Robertson, Jessen, Kalthoff, Drews, B. Smith, etc.)
M. Guignebert a fait suivre cet exposé, où il s’occupe à bon droit des argu-
ments plutôt que des écrivains, d’une critique et d’une conclusion. Dans celle-ci
(p. 157), il estime que les quatre grandes Épîtres pauliniennes et, dans une cer-
taine mesure, les Actes « exigent que Jésus ait réellement vécu. » En l’état de
nos connaissances, cette conclusion s’impose, et bien qu’il plaise à M. G. de
m’appeler « radical », c’est aussi celle que j’ai formulée dans un petit livre
qu’il connaît bien, mais n’allègue pas (Orpheus, p. 339).
Dans le détail, il y aurait à reprendre. P. 111, l’assimilation de Barabbas à
Karabas est attribuée à Drews (1910), alors qu’elle est de Frazer (Golden
Bough, 2e éd., 1900, t. III, p. .193). P. x et ailleurs, M. G. ignore un texte
formel de Voltaire suivant lequel la thèse des « mythiques » aurait pris nais-
sance dans l’entourage de Bolingbroke (1678-1751). Voici ce texte, au sujet
duquel j’ai vainement sollicité des précisions dans Notes and Queries (20 déc.
1913, p. 490) : « J’ai vu quelques disciples de Bolingbroke qui niaient l’exis-
tence de Jésus » (éd. de Kehl, t. XXXIII, p. 273). M. G. aurait dù aussi rap-
porter la question de Napoléon à Wieland (1808), inspirée sans doute par la
1. Pour M. Dussaud, Moïse n’est pas du tout le législateur des Hébreux, mais
seulement un grand chef à la manière de Josué, dont les victoires firent la for-
tune de son dieu Yahvé (page 68). Nous voilà loin de M. Navijle,
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à une source cananéenne. Ce n’est pas que notre Lévitique soit un livre très
ancien; M. D., comme l’école critique, l’estime post-exilien. Mais il rappelle à
propos cette phrase très juste de MM. Hubert et Mauss (1909) : « Si nous
croyons que la critique biblique peut constituer l’histoire des textes, nous
refusons de confondre cette histoire avec celle des faits. » Optimél Un livre
relativement récent peut nous instruire de coutumes extrêmement anciennes ;
toute la science du folk-lore, des contes populaires, ne postule-t-elle pas cette
vérité ? Entre les sacrifices préexiliques et postexiliques, il n’y a pas l’opposition
fondamentale que l’école critique a cru découvrir. Non seulement le rituel
sacrificiel des Israélites est en grande partie d’origine cananéenne, mais le dieu
cananéen Béthel fut la forme ancienne de Yahvé, et les légendes d’Abraham,
d’Isaac et de Jacob sont cananéennes. « Tant par sa civilisation que par son
culte, l’ancien peuple Israélite rentre dans l’histoire générale des populations
syriennes et se développe au milieu d’elles. » Cette manière de voir, fondée sur
des études de détail qui doivent être suivies avec beaucoup d’attention, est de
celles que l’esprit historique est, a priori, tenté de croire justes, car elle élimine
une forme scientifique du miracle telle que le serait le monothéisme primitif et
exclusif des Hébreux *.
S. R.
Charles Guignebèrt. Le problème de Jésus. Paris, Flammarion, 1921; in-8,
192 p. — Il faut savoir gré à l’auteur — esprit et plume également lucides —
d’avoir extrait tout ce qui est caractéristique (je ne dis pas raisonnable) des
livres publiés en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne contre la réalité
historique de Jésus (Robertson, Jessen, Kalthoff, Drews, B. Smith, etc.)
M. Guignebert a fait suivre cet exposé, où il s’occupe à bon droit des argu-
ments plutôt que des écrivains, d’une critique et d’une conclusion. Dans celle-ci
(p. 157), il estime que les quatre grandes Épîtres pauliniennes et, dans une cer-
taine mesure, les Actes « exigent que Jésus ait réellement vécu. » En l’état de
nos connaissances, cette conclusion s’impose, et bien qu’il plaise à M. G. de
m’appeler « radical », c’est aussi celle que j’ai formulée dans un petit livre
qu’il connaît bien, mais n’allègue pas (Orpheus, p. 339).
Dans le détail, il y aurait à reprendre. P. 111, l’assimilation de Barabbas à
Karabas est attribuée à Drews (1910), alors qu’elle est de Frazer (Golden
Bough, 2e éd., 1900, t. III, p. .193). P. x et ailleurs, M. G. ignore un texte
formel de Voltaire suivant lequel la thèse des « mythiques » aurait pris nais-
sance dans l’entourage de Bolingbroke (1678-1751). Voici ce texte, au sujet
duquel j’ai vainement sollicité des précisions dans Notes and Queries (20 déc.
1913, p. 490) : « J’ai vu quelques disciples de Bolingbroke qui niaient l’exis-
tence de Jésus » (éd. de Kehl, t. XXXIII, p. 273). M. G. aurait dù aussi rap-
porter la question de Napoléon à Wieland (1808), inspirée sans doute par la
1. Pour M. Dussaud, Moïse n’est pas du tout le législateur des Hébreux, mais
seulement un grand chef à la manière de Josué, dont les victoires firent la for-
tune de son dieu Yahvé (page 68). Nous voilà loin de M. Navijle,