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LA CONDITION DES FÉAUX
été générale qu'aux premiers temps de la vie de société en Égypte. D'après les textes
historiques et religieux, on peut supposer qu'il a existé une époque en Égypte où, du
haut en bas de la population, dans la famille et dans la société, il n'y avait que des féaux
rigoureusement hiérarchisés, les fils attachés à leurs pères, ceux-ci attachés à des sei-
gneurs, ceux-là attachés à leurs rois qui, eux-mêmes, étaient attachés aux dieux. Mais, à
l'époque historique, ce bel ordre est désorganisé; ce qui avait été l'expression d'une
condition sociale générale n'est plus qu'une tradition de la vie primitive, ou qu'un
moyen de gouvernement. Comme partout, les institutions de la famille ont disparu les
premières : il est presque impossible de reconstituer la condition des féaux vis-à-vis du
père sans le secours des maximes morales et des développements littéraires du papyrus
Prisse; les textes historiques et biographiques sont insuffisants et montrent que, dès
l'Ancien Empire, le sens fort du mot « féal vis-à-vis de son père » est déjà usé1. Par
contre, jusque vers la fin de la période thébaine, il est aisé de se représenter la condi-
tion des féaux vis-à-vis cle leur seigneur ou vis-à-vis du roi; sous le premier empire
thébain, on peut saisir toute la valeur pratique, toute l'importance historique de la
a recommandation vis-à-vis du roi ». Enfin, les traditions religieuses ayant plus de
vitalité encore que les institutions politiques, il est manifeste que la conception de la
« féauté vis-à-vis des dieux » n'a perdu cle sa force qu'aux dernières époques et n'a
disparu qu'avec la société et la religion égyptiennes.
Telle a été, autant que j'ai pu la suivre dans des textes qui se répartissent sur un
espace de 4,000 ans, l'évolution de cette idée de la féauté vis-à-vis d'un seigneur.
Il faut noter que ce que nous avons trouvé en Égypte est en accord avec ce qui a été
observé chez les peuples jusqu'ici mieux connus. L'autorité souveraine du père de
famille a été aussi, Fustel de Coulanges l'a démontré, le point de départ de la vie sociale
et politique en Grèce et à Rome. La recommandation à un seigneur se retrouve au
moyen âge dans les principautés d'Europe, avec les mêmes bénéfices et les mêmes obli-
gations. A l'influence des princes locaux les rois ont opposé, en Europe comme en
Égypte, une politique de rattachement des sujets à leur personne2. Sans exagérer les
rapprochements entre des civilisations si différentes, il est utile d'avoir présentes à
l'esprit ces similitudes historiques pour mieux comprendre quelle signification pouvait
avoir, dans une société fortement hiérarchisée comme celle de l'Egypte, la « recom-
mandation à un seigneur ».
Paris, juin 1896.
A/WVNA
/VW\AA
1. L'Inscription d'Ouni (1. 50) nous donne déjà, au temps de Pépi II,__ Il II °
A î Q * ^ SUiS l aimé ^e mon Père' le lou(-' C^e ma m^re w> au weu de la formule (
» l\JS /www p V "°
LU ^ H?* « je suis le féal de mon père ».
2. J'ai étudié, en ce qui concerne l'administration judiciaire, les effets de cette politique de rattachement
personnel au roi, dans un mémoire intitulé : L'Appel au roi en Égypte au temps des Pharaons et des Ptolà-
mées. (Extrait des Actes du X' Congrès des Orientalistes, session de Genève, 1894.)
LA CONDITION DES FÉAUX
été générale qu'aux premiers temps de la vie de société en Égypte. D'après les textes
historiques et religieux, on peut supposer qu'il a existé une époque en Égypte où, du
haut en bas de la population, dans la famille et dans la société, il n'y avait que des féaux
rigoureusement hiérarchisés, les fils attachés à leurs pères, ceux-ci attachés à des sei-
gneurs, ceux-là attachés à leurs rois qui, eux-mêmes, étaient attachés aux dieux. Mais, à
l'époque historique, ce bel ordre est désorganisé; ce qui avait été l'expression d'une
condition sociale générale n'est plus qu'une tradition de la vie primitive, ou qu'un
moyen de gouvernement. Comme partout, les institutions de la famille ont disparu les
premières : il est presque impossible de reconstituer la condition des féaux vis-à-vis du
père sans le secours des maximes morales et des développements littéraires du papyrus
Prisse; les textes historiques et biographiques sont insuffisants et montrent que, dès
l'Ancien Empire, le sens fort du mot « féal vis-à-vis de son père » est déjà usé1. Par
contre, jusque vers la fin de la période thébaine, il est aisé de se représenter la condi-
tion des féaux vis-à-vis cle leur seigneur ou vis-à-vis du roi; sous le premier empire
thébain, on peut saisir toute la valeur pratique, toute l'importance historique de la
a recommandation vis-à-vis du roi ». Enfin, les traditions religieuses ayant plus de
vitalité encore que les institutions politiques, il est manifeste que la conception de la
« féauté vis-à-vis des dieux » n'a perdu cle sa force qu'aux dernières époques et n'a
disparu qu'avec la société et la religion égyptiennes.
Telle a été, autant que j'ai pu la suivre dans des textes qui se répartissent sur un
espace de 4,000 ans, l'évolution de cette idée de la féauté vis-à-vis d'un seigneur.
Il faut noter que ce que nous avons trouvé en Égypte est en accord avec ce qui a été
observé chez les peuples jusqu'ici mieux connus. L'autorité souveraine du père de
famille a été aussi, Fustel de Coulanges l'a démontré, le point de départ de la vie sociale
et politique en Grèce et à Rome. La recommandation à un seigneur se retrouve au
moyen âge dans les principautés d'Europe, avec les mêmes bénéfices et les mêmes obli-
gations. A l'influence des princes locaux les rois ont opposé, en Europe comme en
Égypte, une politique de rattachement des sujets à leur personne2. Sans exagérer les
rapprochements entre des civilisations si différentes, il est utile d'avoir présentes à
l'esprit ces similitudes historiques pour mieux comprendre quelle signification pouvait
avoir, dans une société fortement hiérarchisée comme celle de l'Egypte, la « recom-
mandation à un seigneur ».
Paris, juin 1896.
A/WVNA
/VW\AA
1. L'Inscription d'Ouni (1. 50) nous donne déjà, au temps de Pépi II,__ Il II °
A î Q * ^ SUiS l aimé ^e mon Père' le lou(-' C^e ma m^re w> au weu de la formule (
» l\JS /www p V "°
LU ^ H?* « je suis le féal de mon père ».
2. J'ai étudié, en ce qui concerne l'administration judiciaire, les effets de cette politique de rattachement
personnel au roi, dans un mémoire intitulé : L'Appel au roi en Égypte au temps des Pharaons et des Ptolà-
mées. (Extrait des Actes du X' Congrès des Orientalistes, session de Genève, 1894.)