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MONUMENS INÉDITS.
§ V.
La mort d'un grand prince, du chef et du vengeur de la Grèce, égorgé par la main
des siens, au moment où, après une si longue absence, il rentrait victorieux dans ses
foyers, était un événement bien fait pour frapper fortement l'imagination d'un peuple. Aussi
voyons-nous cette tradition employée par Homère, à une époque où elle offrait pour ainsi
dire encore un intérêt de circonstance1, et d'une manière qui prouve quelle vive et pro-
fonde impression le sort d'Agamemnon avait laissée dans l'esprit de ses contemporains. Nous
savons, de plus, avec quelle émulation toujours croissante les Tragiques s'étaient emparés
d'un sujet si fécond en émotions de toute nature, et si favorable à l'espèce d'instruction
morale et de terreur religieuse qu'on cherchait au théâtre. L'Agamemnon dTEschyle est
resté le monument littéraire le plus remarquable, à tous égards, de cette époque de l'art
dramatique, qui influa le plus puissamment sur la direction des arts du dessin, et celui-là
même sous l'inspiration duquel on peut présumer que furent produites la plupart des re-
présentations figurées que l'antiquité posséda du sujet en question.
Ici cependant, comme nous avons eu déjà l'occasion de le remarquer par rapport au
sacrifice d'Iphigénie, nous aurions lieu de nous étonner de la rareté des monumens de
l'art relatifs à un trait si célèbre de l'histoire héroïque, s'il n'était malheureusement trop
avéré que nous ne possédons aujourd'hui que la moindre partie des compositions an-
tiques, et s'il n'était aussi très-probable que quelques-unes de ces compositions mêmes
qui nous restent, n'ont pas encore reçu leur véritable explication. Quoi qu'il en soit, il est
certain que, dans l'état actuel de nos connaissances, le sujet de la mort d'Agamemnon ne
s'est encore produit qu'une seule fois dans notre galerie mythologique. La peinture sur la-
quelle s'est si complaisamment exercée l'imagination de Philostrate2, peut à peine être citée
au nombre de ces compositions antiques, dont il nous reste au moins une image ou un
souvenir, à défaut du monument original; tant il est difficile de discerner, dans cette des-
cription, ce qui fut l'œuvre de l'artiste, de ce qui peut n'avoir été que l'invention du
rhéteur. Le superbe bas-relief où Winckelmann crut d'abord reconnaître ce sujet5, est au-
jourd'hui regardé universellement, et avec toute raison, comme appartenant à un autre
acte de la même tragédie, à la vengeance tirée des meurtriers d'Agamemnon par ses en-
fans". Le monument unique qui peut être rapporté avec certitude au sujet qui nous occupe,
est un beau vase grec publié par Millin5, où l'on voit Agamemnon déjà blessé, et renversé
reste , pour détruire l'opinion de Casaubon, sur Athénée, xii , 2,
829, qui a cependant servi de règle aux modernes, c'est à savoir,
que les anciens Grecs et Romains n'ont pas connu les gants.
(1) Homère parle de la mort d'Agamemnon, en plusieurs
endroits de ïOdyssée, iv, 52/1, sqq. xxrv, 20-22, et 96-9-7,
mais sur-tout, xi, 386 sqq.
(2) Philostrat. Imag. 11, 10, 69-70, éd. Jacobs.
(3) Winckelmann, Monum. ined. n. 148.
(4) Visconti, Mus. P. Clem. V, xxii. Je reviendrai ailleurs sur
ce bas-relief et sur les répétitions qu'on en connaît.
(5) Millin, Vases peints, t. I, pi. lviii. Le revers offre une de
ces représentations, si communes sur les vases, d'un homme
assis sur un lit avec une cithariste à ses côtés, qui n'ont, le
plus souvent, aucun rapport direct et nécessaire avec le sujet
principal, mais qui n'en ont pas moins, comme expression
particulière d'un type général, une relation intime et profonde
avec la nature funéraire ou symbolique de la plupart de ces
monumens ; ces idées seront développées en temps et lieu. Millin
a cru voir, sur un autre vase, t. II, pi. xxiv, Cfytemnestre, armée
d'une hache, qui s'avance retenue, à ce qu'il semble, plutôt que
guidée par jEgistlie, pour surprendre Agamemnon endormi; voy.
aussi sa Galer. mythol. clxx, 61 k. La double hache est effectivement
l'arme dont Clytemnestre se sert pour commettre ce crime,
suivant la tradition des Tragiques, Sophocl. El. 97-9, 486;
Eurip. El. 1167. Toutefois, on peut douter, d'après l'action
équivoque d'un pareil groupe, et sur-tout d'après l'intention
du personnage pris pour yEgisthe, que ce soit là le véritable sujet
de la représentation.
MONUMENS INÉDITS.
§ V.
La mort d'un grand prince, du chef et du vengeur de la Grèce, égorgé par la main
des siens, au moment où, après une si longue absence, il rentrait victorieux dans ses
foyers, était un événement bien fait pour frapper fortement l'imagination d'un peuple. Aussi
voyons-nous cette tradition employée par Homère, à une époque où elle offrait pour ainsi
dire encore un intérêt de circonstance1, et d'une manière qui prouve quelle vive et pro-
fonde impression le sort d'Agamemnon avait laissée dans l'esprit de ses contemporains. Nous
savons, de plus, avec quelle émulation toujours croissante les Tragiques s'étaient emparés
d'un sujet si fécond en émotions de toute nature, et si favorable à l'espèce d'instruction
morale et de terreur religieuse qu'on cherchait au théâtre. L'Agamemnon dTEschyle est
resté le monument littéraire le plus remarquable, à tous égards, de cette époque de l'art
dramatique, qui influa le plus puissamment sur la direction des arts du dessin, et celui-là
même sous l'inspiration duquel on peut présumer que furent produites la plupart des re-
présentations figurées que l'antiquité posséda du sujet en question.
Ici cependant, comme nous avons eu déjà l'occasion de le remarquer par rapport au
sacrifice d'Iphigénie, nous aurions lieu de nous étonner de la rareté des monumens de
l'art relatifs à un trait si célèbre de l'histoire héroïque, s'il n'était malheureusement trop
avéré que nous ne possédons aujourd'hui que la moindre partie des compositions an-
tiques, et s'il n'était aussi très-probable que quelques-unes de ces compositions mêmes
qui nous restent, n'ont pas encore reçu leur véritable explication. Quoi qu'il en soit, il est
certain que, dans l'état actuel de nos connaissances, le sujet de la mort d'Agamemnon ne
s'est encore produit qu'une seule fois dans notre galerie mythologique. La peinture sur la-
quelle s'est si complaisamment exercée l'imagination de Philostrate2, peut à peine être citée
au nombre de ces compositions antiques, dont il nous reste au moins une image ou un
souvenir, à défaut du monument original; tant il est difficile de discerner, dans cette des-
cription, ce qui fut l'œuvre de l'artiste, de ce qui peut n'avoir été que l'invention du
rhéteur. Le superbe bas-relief où Winckelmann crut d'abord reconnaître ce sujet5, est au-
jourd'hui regardé universellement, et avec toute raison, comme appartenant à un autre
acte de la même tragédie, à la vengeance tirée des meurtriers d'Agamemnon par ses en-
fans". Le monument unique qui peut être rapporté avec certitude au sujet qui nous occupe,
est un beau vase grec publié par Millin5, où l'on voit Agamemnon déjà blessé, et renversé
reste , pour détruire l'opinion de Casaubon, sur Athénée, xii , 2,
829, qui a cependant servi de règle aux modernes, c'est à savoir,
que les anciens Grecs et Romains n'ont pas connu les gants.
(1) Homère parle de la mort d'Agamemnon, en plusieurs
endroits de ïOdyssée, iv, 52/1, sqq. xxrv, 20-22, et 96-9-7,
mais sur-tout, xi, 386 sqq.
(2) Philostrat. Imag. 11, 10, 69-70, éd. Jacobs.
(3) Winckelmann, Monum. ined. n. 148.
(4) Visconti, Mus. P. Clem. V, xxii. Je reviendrai ailleurs sur
ce bas-relief et sur les répétitions qu'on en connaît.
(5) Millin, Vases peints, t. I, pi. lviii. Le revers offre une de
ces représentations, si communes sur les vases, d'un homme
assis sur un lit avec une cithariste à ses côtés, qui n'ont, le
plus souvent, aucun rapport direct et nécessaire avec le sujet
principal, mais qui n'en ont pas moins, comme expression
particulière d'un type général, une relation intime et profonde
avec la nature funéraire ou symbolique de la plupart de ces
monumens ; ces idées seront développées en temps et lieu. Millin
a cru voir, sur un autre vase, t. II, pi. xxiv, Cfytemnestre, armée
d'une hache, qui s'avance retenue, à ce qu'il semble, plutôt que
guidée par jEgistlie, pour surprendre Agamemnon endormi; voy.
aussi sa Galer. mythol. clxx, 61 k. La double hache est effectivement
l'arme dont Clytemnestre se sert pour commettre ce crime,
suivant la tradition des Tragiques, Sophocl. El. 97-9, 486;
Eurip. El. 1167. Toutefois, on peut douter, d'après l'action
équivoque d'un pareil groupe, et sur-tout d'après l'intention
du personnage pris pour yEgisthe, que ce soit là le véritable sujet
de la représentation.