LÆ SIFFLET
Pour tout ce qui concerne VAdministration et
la Rédaction, s'adresser à M. Michel ànkzq, 7,
rue Rochechouart.
SiPFLEMEKTS
Il n’a pas plu le jour de la Saint-Médard !
Nous sommet» sauvés, disait-on dimanche soir : nous
avons nos quarante jours de beau temps certain.
..... Quelle illusion !
Ah ! -can’est pas. saint Médard ni même saint Barnabe,
car on dit que saint Éarnabé a les mêmes pouvoirs que
soir collègue, qùi changeront lu température affreuse
que nous avons depuis si longtemps.
Il y en a qui croient que si M. Billion n’était plus di-
recteur de F Ambigu ; que si Sarah Bernhardt pesait
150 kilos -, que si Touroude ne faisait pas des des pièces
insensées, on verrait de suite les beaux jours revenir.
— C’est possible ; mais je n’aurais aucune confîauce
dans ce pronostic.
Je ne crois pas non plus au succès de la pétition que
font signer en ce moment quelques électeurs irrités pour
sommer l’Assemblée de nous ramener le beau temps.
Evidemment, il peut y avoir sur ce sujet un débat
très vif, qui ferait monter d’une façon prodigieuse le
tirage de {'Officiel.
Mais après la discussion, quand nos orateurs auraient
bien péroré, on passerait assurément à l’ordre du jour.
Les gens pieux prétendent que les pèlerinages et les
processions sont les seuls moyens pour avoir un horizon
sans nuages... Je ne demande qu’à en avoir la preuve
pour mettre tous les jours de l’eau de Lourdes dans mon
vin.
Le shah doit arriver très prochainement.
Ah! si j’étais son cicérone, que j’eusse à le piloter
dans Paris, je lui dirais :
Illustre maître, soleil du levant, planète lumineuse,
et autres platitudes du même genre, si tu veux t’amu-
ser à Paris, voici ce qu’il faut faire (on tutoie les souve-
rains en Perse ) : — Vois Raphaël à l’Athénée ; entends
Olympe Audouard à là salle des Conférences; fais plu-
sieurs visites à Mlle Lasseny ; va à l’exposition des re-
fusés ; déjeune ou soupe deux fois par semaine avec
Blanche d’Àntigny ; prends l’impériale de l’omnibus de
la Bastille à la Madeleine avec une correspondance pour
le Père-Lachaise ; loue une avant-scène pour la Renais-
sance ; assiste à une séance de l’Académie française le
vendredi; vois Popincourt au théâtre du Château -
d’Eati ; dîne chez Pétieau à 1 fr. 40, pain à discrétion ;
lis le matin le Constitutionnel et le soir le Pays ; fais
connaissance avec Billion et avec Debreuil, son gracieux
secrétaire ; visite tous les appartements à louer ; quand
tu auras fidèlement rempli ce programme, tu pourras
dire :
Je m'en suis fourré {ter) jusque-la. Et tu ne regret-
teras pas ton argent.
Un journal sérieux... ce n’est pas le Soleil (assuran-
ces contre l’inceUdie, la grêle, etc.,) dit que la ville de
Marseille, n’étant pas assez riche pour nourrir son élé-
phant fiu jardin zoologique, se trouve dans la nécessité
de l’envoyer à Paris.
Voyez-vous une ville comme Marseille qui n’a pas le
moyen de nourrir un éléphant !
Si les Marseillais étaient obligés de faire une pension
alimentaire à Dumaine, ils seraient donc ruinés?
C’est une plaisanterie, car je ne puis croire que la
belle et riche cité phocéenne n’ait plus de ressources.
Il est possible maintenant que les indigents du chef-
lieu des Bouches-du-Rhône n’aient aucun goût pour
les éléphants.
Si cela était, je ne conseillerais pas à Mlle Desclauzas
ni à Mme Gueymard d’aller donner des représentations
dans le pays de la bouillabaise.
Les suicides vont toujours de plus fort en plus fort.
Tout le monde en est consterné!
Vous voyez un de vos amis le soir, il est plein de santé,
le bonheur rayonne sur son visage. Vous vous dites :
quel heureux mortel !
Il a une jolie femme ou une jolie maîtresse, ou l’une
et l’autre tout à la fols, qui lui sont fidèles, qui l’aiment
follement, Ses affaires sont prospères, il est-conservateur,
et abonné au Paris-Journal. .. Toutes les joies enfin !
Eh bien, le lendemain, Vous apprenez que cet heu-
reux mortel s’est donné quarante-sept coups de cou-
teau dans le cœur.
Gomment expliquer ça?
^ Il n’y a pas à. dire, ce n’esi ni par amour, ni par mi-
sère, ni par politique que cet homme s’est détruit !
Je comprends maintenant pourquoi on offre un prix à
Y opuscule le mhux fait et qui expliquera le moyen de
combattre le suicide.
^ Des milliers d’ouvrages ont déjà été adressés mais tous
n’apprennent rien de nouveau ; il n’y a que celui qui dit
qu'on devrait condamner tous les suicidés à mort,
qui a fin peu d’originalité.
Michel Anézo.
LE GRAND PRIX DE CENT MILLE FRANCS
Coquillard est un aubergiste normand qui, en fait de
de maquignonnage, ne connaît que l’art d’élever les
ânes et de s’en faire le plus de mille livres de rente
possible.
Il en a un en ce moment qu’il appelle Antoine, et qui,
pour être un bel âne, est un bel âne.
Coquillard, qui ne tarit pas en en éloges sur lui, qui
le mijote comme une crème au chocolat, en est arrivé à
croire que les chevaux sont tous inférieurs à Antoine.
Pour lui, la race chevaline ne va pas à la hauteur de
son âne.
Un père est toujours faible pour ses enfants.
Cette faiblesse quasi-paternelle n’aurait pas eu le plus
petit inconvénient si l’un des voisins de Coquillard, le
vicomte de Saint-Foin, n’en eût entendu parler.
Le vicomte est gouailleur de sa nature.
Il aime surtout à berner ceux qui ont été, dit-il, les
vassaux de ses ancêtres, — au risque d’en recevoir par-
fois une leçon absolument roturière.
Le vicomte de Saint-Foin et son jockey, Robert
Grick, devinrent tout à coup familiers de l’auberge de
Coquillard.
Quand celui-ci exalta les mérites de son âne, le vi-
comte fit chorus, et Robert Crick, avec son jargon anglais,
surenchérit.
Tout à coup le vicomte de Saint-Foin feignit d’avoir
une idée :
— Pourquoi, dit-il à Coquillard, n’engageriez^vous
pas Antoine pour le prix de cent mille francs ?
— Un âne !
— Oui, mais un âne aussi parfait!... Y a-t-il un seul
pur-sang qui le vaille ?
— Pour ça, non.
— Il les battra tous.
— C’est certain.
— Et vous gagnerez cent mille francs.
— J'en réponds.
— Sans compter les paris.
— Un million au moins, affirma Robert Crick.
Huit jours après, la fièvre aidant, Coquillard était
décidé à aller à Paris faire inscrire son âne Antoine
pour le grand prix de la Ville.
Le vicomte lui proposa ses bons offices, lui donna
son adresse et lui promit d’aplanir toutes les difficultés
qui pourraient s’opposer à l’inscription d’Antoine.
A Paris, en effet, il le devança au Jockey-Club et lui
fit croire que son âne était engagé, mais que, par suite
des exigences du stud-book, il avait dû changer de nom
et s’appeler Boïard.
— Va pour Boïard ! dit Coquillard ; ce qu’il y a de
sûr, c’est que je parierai pour lui.
— Et vous ferez bien.
— Seulement je ne sais pas comment on parie.
— Je vous montrerai. Avez-vous apporté beaucoup
d’argent ?
— Dix mille francs ! Toutes mes économies !.. Ah ! si
Plectrude le savait !
Plectrude, c’était sa femme ; une gaillarde qui lui
aurait mangé le foie si elle s’était douté de son esca-
pade.
Eh bien, Plectrude aurait eu tort.
Le vicomte de Saint-Foin n'avait qu’un but, peu ma-
licieux comme farce, c’était de faire croire à Coquillard
que son âne avait gagné le grand prix de cent mille
francs.
Le bonhomme pariait donc presque à coup sûr.
Pendant la course, il fut facile de l’entraîner dans les
écuries....
Et, au retour...
Coquillard se trouvait avoir gagné trois cent cinquante-
six mille francs.
Aussi, Antoine a changé de nom. Il ne l’appelle plus
que Boïard.
Louis Gille.
FRÉDÉRICK LEMAITRE
Comme aurait pu le dire Victor Hugo : Une nouvelle
langue était créée, il naquit un nouvel interprète.
Si jamais un buste devait se trouver sur le théâtre
reconstruit de la Porte-Saint-Martin, c’était celui de
Frédérick Lemaître, le plus grand artiste, l’acteur le
plus complet de notre siècle.
Sa gloire est d’autant plus pure qu’elle n’émane pas du
Théâtre-Français, cette église de la méthode et du com-
passé.
Loin de moi la pensée de trouver mal à sa place à la
Porte-Saint-Martin le busœ de notre cher maître et ami
Alexandre Dumas père ! Sa place était bien là aussi.
Mais qui donc la méritait mieux que Frédérick ?
Enfin !... le grand comédien des chefs-d’œuvre peut
se passer des sculpteurs ; on se souviendra de lui tant
que battra un cœur français.
Aussi est-ce avec amertume que nous avons appris la
situation précaire à laquelle il est réduit, malgré sa mai-
gre pension de deux mille francs.
Il a soixante-quinze ans, puisqu’il est né deux ans
avant le siècle, en 1798, et à cet âge, quand il s’agit du
théâtre, on se survit à soi-même.
Non-seulement il lui est impossible, malgré ses cou-
rageux efforts, de continuer sa carrière ; mais toute ten-
tative nouvelle n’est qu’une maladresse, en présence
d’une génération oublieuse qui ne voit plus que les dé-
fauts de prononciation de celui que nos pères ont adoré,
et qui a si longtemps vaillamment lutté.
Réfléchissez donc un peu, gommeux que nous a légués
l’Empire.
Votre école, celle de l’insouciance et de la stupidité,
a fait son temps.
Offenbach et Hervé sont tombés dans le troisième
dessous. Nous revenons de plus en plus, instruits par
nos malheurs, aux bonnes pièces solidement charpentées,
morales et dramatiques.
Nous revenons au vrai vaudeville qui ne se bâcle pas
en un jour et qui amuse en peignant la société prise sur
le vif; au vaudeville habilement enchevêtré, spirituel et
gaulois, sans l’effronterie et la grossièreté des opérettes
offenbachiques.
Le drame et le vaudeville, voilà ce qui va régner de
nouveau, fort heureusement pour nous, qui ne sommes
pas encore ramollis.
Et qui donc a créé, qui donc a personnifié le drame
moderne, sinon Frédérick Lemaître?
Ah! Il vous en faudrait un autre aujourd’hui, mais
vous n’en avez pas. De tels artistes sont rares.
Frédérick Lemaître est un compatriote de Touroude.
Il est né au Ilâvre.
Elève du Conservatoire de cette ville, il se présenta
d’abord àl’Odéon, qui s’empressa de le refuser, malgré
l’opinion chaleureuse de Taima, qui pressentait son gé-
nie.
Bah ! Il était jeune, il fit comme Beauvallet père et se
lança dans les théâtres de bas étage.
Un remords prit l’Odéon, en 1826, — il y a quarante-
sept arts \ — il engagea Frédérick. Le malheureux joua \
Narcisse et Théramène...
Heureusement que l’année suivante, il débuta à la
Porte-Saint-Martin dans une pièce bien connue : Trente
ans ou la vie d'un joueur.
C’était fini. La voix populaire l’avait sacré.
Partout il eut des triomphes. Et il eut cette bonne for-
tune de rencontrer à ses côtés Mme Dorval, l’autre in-
carnation du drame moderne.
Evidemment, je n’ai pas la prétention de vous citer '
toutes les pièces dans lesquelles il a joué, — ce serait par
trop long.
L’un de ses succès les plus étranges fut le rôle de Ro-
bert Macaire dans VAuberge des Adrets, cette pièce
qui devait être sérieuse et qui, grâce à lui, devint si
gaie.
A cette époque le drame fégûait partout.
Après une tournée en Angleterre, il entra aux Varié-
tés et y joua Kean, d’Alexqndf# Duïfflqs !
Aux Variétés, on a joué depuis : ja Belle Hélène fie
Grande Duchesse et la Veuve du Mfâe à barbe !
Il avait déjà joué Richard d'Arlihgton et Lucrèce
Borgia.
A l’ouverture du théâtre de la Renaissance, — l’an-
cien ! — il joua Ruy-Blas, son triomphe.
Et alors... la Comédien-Française se décida à en es-
sayer. .. Mais, naturellement, il n’y fut pas apprécié.
Don César de Bazan, la Dame de. Saint-Tropez,
les Mystères de Paris ne peuvent être passés sous si-
lence.
Encore moins le Chiffonnier , de Félix Pyat, le Doc-
teur noir, etc.
Hélas ! Ce fut lui qui joua Tragaldabas, où Vaque-
rie s’était personnifié.
Paillasse fut son dernier grand triomphe.
Après cela, on le retrouve aux Variétés dans le Roi
des drôles, à la Porte-Saint-Martin dans le Vieux
Caporal et Toussaint l'Ouverture... Il ne parle déjà
plus... Il ne lui reste que le geste.
A quoi bon citer le reste, même quand il y a eu des
succès ?
Ce n’est plus Frédérick Lemaître ; il faut être complet
pour le drame, et il ne joue plus que la pantomime.
Il serait digne d’un ministre de la République de lui
épargner les déboires du théâtre et ceux de la vie pri-
vée.
t On a bien agi pour Lamartine ; il est bien plus facile
d’agir bien pour lui !
Allons, vous, indifférents qui allez voir courir au bois
de Boulogne le prix de cent mille francs, un bon mouve-
ment ! Une souscription ! et que ceux qui gagneront des
paris considérables payent pour les autres !
Est-ce donc si difficile ?
Le Guillois.
COUPS SE SiFFLEt
Evidemment, ce qui domine tout dans la semaine,
c’ëst le Grand Prix de cent mille francs.
On ne l’a pas accordé aux circulaires de M. Pru-
dhomme.
Ni aux interruptions de M. Paulin Gillon,.
Ni à V Oubliée, de Touroude,
Ni même à Tabarin.
C’est un pur sang qui les a gagnés.
Eh bien, moi, je les aurais donnés à Piêi'rot Fan-
tomei de l'Athénée ; c’est le seul vrai succès delà se-
maine.
M. Batbie rencontre M. Ernoul et lui dit à brûle-
pourpoint :
— Où se trouve l’homme le plus laid du monde ?
— Parbleu ! répond le ministre de la justice, ce n’est
pas malin, c’est dans l'Univers !
Pour tout ce qui concerne VAdministration et
la Rédaction, s'adresser à M. Michel ànkzq, 7,
rue Rochechouart.
SiPFLEMEKTS
Il n’a pas plu le jour de la Saint-Médard !
Nous sommet» sauvés, disait-on dimanche soir : nous
avons nos quarante jours de beau temps certain.
..... Quelle illusion !
Ah ! -can’est pas. saint Médard ni même saint Barnabe,
car on dit que saint Éarnabé a les mêmes pouvoirs que
soir collègue, qùi changeront lu température affreuse
que nous avons depuis si longtemps.
Il y en a qui croient que si M. Billion n’était plus di-
recteur de F Ambigu ; que si Sarah Bernhardt pesait
150 kilos -, que si Touroude ne faisait pas des des pièces
insensées, on verrait de suite les beaux jours revenir.
— C’est possible ; mais je n’aurais aucune confîauce
dans ce pronostic.
Je ne crois pas non plus au succès de la pétition que
font signer en ce moment quelques électeurs irrités pour
sommer l’Assemblée de nous ramener le beau temps.
Evidemment, il peut y avoir sur ce sujet un débat
très vif, qui ferait monter d’une façon prodigieuse le
tirage de {'Officiel.
Mais après la discussion, quand nos orateurs auraient
bien péroré, on passerait assurément à l’ordre du jour.
Les gens pieux prétendent que les pèlerinages et les
processions sont les seuls moyens pour avoir un horizon
sans nuages... Je ne demande qu’à en avoir la preuve
pour mettre tous les jours de l’eau de Lourdes dans mon
vin.
Le shah doit arriver très prochainement.
Ah! si j’étais son cicérone, que j’eusse à le piloter
dans Paris, je lui dirais :
Illustre maître, soleil du levant, planète lumineuse,
et autres platitudes du même genre, si tu veux t’amu-
ser à Paris, voici ce qu’il faut faire (on tutoie les souve-
rains en Perse ) : — Vois Raphaël à l’Athénée ; entends
Olympe Audouard à là salle des Conférences; fais plu-
sieurs visites à Mlle Lasseny ; va à l’exposition des re-
fusés ; déjeune ou soupe deux fois par semaine avec
Blanche d’Àntigny ; prends l’impériale de l’omnibus de
la Bastille à la Madeleine avec une correspondance pour
le Père-Lachaise ; loue une avant-scène pour la Renais-
sance ; assiste à une séance de l’Académie française le
vendredi; vois Popincourt au théâtre du Château -
d’Eati ; dîne chez Pétieau à 1 fr. 40, pain à discrétion ;
lis le matin le Constitutionnel et le soir le Pays ; fais
connaissance avec Billion et avec Debreuil, son gracieux
secrétaire ; visite tous les appartements à louer ; quand
tu auras fidèlement rempli ce programme, tu pourras
dire :
Je m'en suis fourré {ter) jusque-la. Et tu ne regret-
teras pas ton argent.
Un journal sérieux... ce n’est pas le Soleil (assuran-
ces contre l’inceUdie, la grêle, etc.,) dit que la ville de
Marseille, n’étant pas assez riche pour nourrir son élé-
phant fiu jardin zoologique, se trouve dans la nécessité
de l’envoyer à Paris.
Voyez-vous une ville comme Marseille qui n’a pas le
moyen de nourrir un éléphant !
Si les Marseillais étaient obligés de faire une pension
alimentaire à Dumaine, ils seraient donc ruinés?
C’est une plaisanterie, car je ne puis croire que la
belle et riche cité phocéenne n’ait plus de ressources.
Il est possible maintenant que les indigents du chef-
lieu des Bouches-du-Rhône n’aient aucun goût pour
les éléphants.
Si cela était, je ne conseillerais pas à Mlle Desclauzas
ni à Mme Gueymard d’aller donner des représentations
dans le pays de la bouillabaise.
Les suicides vont toujours de plus fort en plus fort.
Tout le monde en est consterné!
Vous voyez un de vos amis le soir, il est plein de santé,
le bonheur rayonne sur son visage. Vous vous dites :
quel heureux mortel !
Il a une jolie femme ou une jolie maîtresse, ou l’une
et l’autre tout à la fols, qui lui sont fidèles, qui l’aiment
follement, Ses affaires sont prospères, il est-conservateur,
et abonné au Paris-Journal. .. Toutes les joies enfin !
Eh bien, le lendemain, Vous apprenez que cet heu-
reux mortel s’est donné quarante-sept coups de cou-
teau dans le cœur.
Gomment expliquer ça?
^ Il n’y a pas à. dire, ce n’esi ni par amour, ni par mi-
sère, ni par politique que cet homme s’est détruit !
Je comprends maintenant pourquoi on offre un prix à
Y opuscule le mhux fait et qui expliquera le moyen de
combattre le suicide.
^ Des milliers d’ouvrages ont déjà été adressés mais tous
n’apprennent rien de nouveau ; il n’y a que celui qui dit
qu'on devrait condamner tous les suicidés à mort,
qui a fin peu d’originalité.
Michel Anézo.
LE GRAND PRIX DE CENT MILLE FRANCS
Coquillard est un aubergiste normand qui, en fait de
de maquignonnage, ne connaît que l’art d’élever les
ânes et de s’en faire le plus de mille livres de rente
possible.
Il en a un en ce moment qu’il appelle Antoine, et qui,
pour être un bel âne, est un bel âne.
Coquillard, qui ne tarit pas en en éloges sur lui, qui
le mijote comme une crème au chocolat, en est arrivé à
croire que les chevaux sont tous inférieurs à Antoine.
Pour lui, la race chevaline ne va pas à la hauteur de
son âne.
Un père est toujours faible pour ses enfants.
Cette faiblesse quasi-paternelle n’aurait pas eu le plus
petit inconvénient si l’un des voisins de Coquillard, le
vicomte de Saint-Foin, n’en eût entendu parler.
Le vicomte est gouailleur de sa nature.
Il aime surtout à berner ceux qui ont été, dit-il, les
vassaux de ses ancêtres, — au risque d’en recevoir par-
fois une leçon absolument roturière.
Le vicomte de Saint-Foin et son jockey, Robert
Grick, devinrent tout à coup familiers de l’auberge de
Coquillard.
Quand celui-ci exalta les mérites de son âne, le vi-
comte fit chorus, et Robert Crick, avec son jargon anglais,
surenchérit.
Tout à coup le vicomte de Saint-Foin feignit d’avoir
une idée :
— Pourquoi, dit-il à Coquillard, n’engageriez^vous
pas Antoine pour le prix de cent mille francs ?
— Un âne !
— Oui, mais un âne aussi parfait!... Y a-t-il un seul
pur-sang qui le vaille ?
— Pour ça, non.
— Il les battra tous.
— C’est certain.
— Et vous gagnerez cent mille francs.
— J'en réponds.
— Sans compter les paris.
— Un million au moins, affirma Robert Crick.
Huit jours après, la fièvre aidant, Coquillard était
décidé à aller à Paris faire inscrire son âne Antoine
pour le grand prix de la Ville.
Le vicomte lui proposa ses bons offices, lui donna
son adresse et lui promit d’aplanir toutes les difficultés
qui pourraient s’opposer à l’inscription d’Antoine.
A Paris, en effet, il le devança au Jockey-Club et lui
fit croire que son âne était engagé, mais que, par suite
des exigences du stud-book, il avait dû changer de nom
et s’appeler Boïard.
— Va pour Boïard ! dit Coquillard ; ce qu’il y a de
sûr, c’est que je parierai pour lui.
— Et vous ferez bien.
— Seulement je ne sais pas comment on parie.
— Je vous montrerai. Avez-vous apporté beaucoup
d’argent ?
— Dix mille francs ! Toutes mes économies !.. Ah ! si
Plectrude le savait !
Plectrude, c’était sa femme ; une gaillarde qui lui
aurait mangé le foie si elle s’était douté de son esca-
pade.
Eh bien, Plectrude aurait eu tort.
Le vicomte de Saint-Foin n'avait qu’un but, peu ma-
licieux comme farce, c’était de faire croire à Coquillard
que son âne avait gagné le grand prix de cent mille
francs.
Le bonhomme pariait donc presque à coup sûr.
Pendant la course, il fut facile de l’entraîner dans les
écuries....
Et, au retour...
Coquillard se trouvait avoir gagné trois cent cinquante-
six mille francs.
Aussi, Antoine a changé de nom. Il ne l’appelle plus
que Boïard.
Louis Gille.
FRÉDÉRICK LEMAITRE
Comme aurait pu le dire Victor Hugo : Une nouvelle
langue était créée, il naquit un nouvel interprète.
Si jamais un buste devait se trouver sur le théâtre
reconstruit de la Porte-Saint-Martin, c’était celui de
Frédérick Lemaître, le plus grand artiste, l’acteur le
plus complet de notre siècle.
Sa gloire est d’autant plus pure qu’elle n’émane pas du
Théâtre-Français, cette église de la méthode et du com-
passé.
Loin de moi la pensée de trouver mal à sa place à la
Porte-Saint-Martin le busœ de notre cher maître et ami
Alexandre Dumas père ! Sa place était bien là aussi.
Mais qui donc la méritait mieux que Frédérick ?
Enfin !... le grand comédien des chefs-d’œuvre peut
se passer des sculpteurs ; on se souviendra de lui tant
que battra un cœur français.
Aussi est-ce avec amertume que nous avons appris la
situation précaire à laquelle il est réduit, malgré sa mai-
gre pension de deux mille francs.
Il a soixante-quinze ans, puisqu’il est né deux ans
avant le siècle, en 1798, et à cet âge, quand il s’agit du
théâtre, on se survit à soi-même.
Non-seulement il lui est impossible, malgré ses cou-
rageux efforts, de continuer sa carrière ; mais toute ten-
tative nouvelle n’est qu’une maladresse, en présence
d’une génération oublieuse qui ne voit plus que les dé-
fauts de prononciation de celui que nos pères ont adoré,
et qui a si longtemps vaillamment lutté.
Réfléchissez donc un peu, gommeux que nous a légués
l’Empire.
Votre école, celle de l’insouciance et de la stupidité,
a fait son temps.
Offenbach et Hervé sont tombés dans le troisième
dessous. Nous revenons de plus en plus, instruits par
nos malheurs, aux bonnes pièces solidement charpentées,
morales et dramatiques.
Nous revenons au vrai vaudeville qui ne se bâcle pas
en un jour et qui amuse en peignant la société prise sur
le vif; au vaudeville habilement enchevêtré, spirituel et
gaulois, sans l’effronterie et la grossièreté des opérettes
offenbachiques.
Le drame et le vaudeville, voilà ce qui va régner de
nouveau, fort heureusement pour nous, qui ne sommes
pas encore ramollis.
Et qui donc a créé, qui donc a personnifié le drame
moderne, sinon Frédérick Lemaître?
Ah! Il vous en faudrait un autre aujourd’hui, mais
vous n’en avez pas. De tels artistes sont rares.
Frédérick Lemaître est un compatriote de Touroude.
Il est né au Ilâvre.
Elève du Conservatoire de cette ville, il se présenta
d’abord àl’Odéon, qui s’empressa de le refuser, malgré
l’opinion chaleureuse de Taima, qui pressentait son gé-
nie.
Bah ! Il était jeune, il fit comme Beauvallet père et se
lança dans les théâtres de bas étage.
Un remords prit l’Odéon, en 1826, — il y a quarante-
sept arts \ — il engagea Frédérick. Le malheureux joua \
Narcisse et Théramène...
Heureusement que l’année suivante, il débuta à la
Porte-Saint-Martin dans une pièce bien connue : Trente
ans ou la vie d'un joueur.
C’était fini. La voix populaire l’avait sacré.
Partout il eut des triomphes. Et il eut cette bonne for-
tune de rencontrer à ses côtés Mme Dorval, l’autre in-
carnation du drame moderne.
Evidemment, je n’ai pas la prétention de vous citer '
toutes les pièces dans lesquelles il a joué, — ce serait par
trop long.
L’un de ses succès les plus étranges fut le rôle de Ro-
bert Macaire dans VAuberge des Adrets, cette pièce
qui devait être sérieuse et qui, grâce à lui, devint si
gaie.
A cette époque le drame fégûait partout.
Après une tournée en Angleterre, il entra aux Varié-
tés et y joua Kean, d’Alexqndf# Duïfflqs !
Aux Variétés, on a joué depuis : ja Belle Hélène fie
Grande Duchesse et la Veuve du Mfâe à barbe !
Il avait déjà joué Richard d'Arlihgton et Lucrèce
Borgia.
A l’ouverture du théâtre de la Renaissance, — l’an-
cien ! — il joua Ruy-Blas, son triomphe.
Et alors... la Comédien-Française se décida à en es-
sayer. .. Mais, naturellement, il n’y fut pas apprécié.
Don César de Bazan, la Dame de. Saint-Tropez,
les Mystères de Paris ne peuvent être passés sous si-
lence.
Encore moins le Chiffonnier , de Félix Pyat, le Doc-
teur noir, etc.
Hélas ! Ce fut lui qui joua Tragaldabas, où Vaque-
rie s’était personnifié.
Paillasse fut son dernier grand triomphe.
Après cela, on le retrouve aux Variétés dans le Roi
des drôles, à la Porte-Saint-Martin dans le Vieux
Caporal et Toussaint l'Ouverture... Il ne parle déjà
plus... Il ne lui reste que le geste.
A quoi bon citer le reste, même quand il y a eu des
succès ?
Ce n’est plus Frédérick Lemaître ; il faut être complet
pour le drame, et il ne joue plus que la pantomime.
Il serait digne d’un ministre de la République de lui
épargner les déboires du théâtre et ceux de la vie pri-
vée.
t On a bien agi pour Lamartine ; il est bien plus facile
d’agir bien pour lui !
Allons, vous, indifférents qui allez voir courir au bois
de Boulogne le prix de cent mille francs, un bon mouve-
ment ! Une souscription ! et que ceux qui gagneront des
paris considérables payent pour les autres !
Est-ce donc si difficile ?
Le Guillois.
COUPS SE SiFFLEt
Evidemment, ce qui domine tout dans la semaine,
c’ëst le Grand Prix de cent mille francs.
On ne l’a pas accordé aux circulaires de M. Pru-
dhomme.
Ni aux interruptions de M. Paulin Gillon,.
Ni à V Oubliée, de Touroude,
Ni même à Tabarin.
C’est un pur sang qui les a gagnés.
Eh bien, moi, je les aurais donnés à Piêi'rot Fan-
tomei de l'Athénée ; c’est le seul vrai succès delà se-
maine.
M. Batbie rencontre M. Ernoul et lui dit à brûle-
pourpoint :
— Où se trouve l’homme le plus laid du monde ?
— Parbleu ! répond le ministre de la justice, ce n’est
pas malin, c’est dans l'Univers !