UNION DU RÉEL ET DE L'IDÉAL
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jeu des mobiles plus nobles : mais l'idéal païen
n'était pas capable d'atteindre à l'oubli complet de
soi. Un instant, le héros chancelant songe à proposer
la paix et des présents à son adversaire. Hésitation
passagère, faiblesse qu'on peut appeler heureuse,
parce qu'elle nous révèle les luttes intimes et les an-
goisses du guerrier.11 n'est pas malséant que la nature
frémisse devant un grand péril dont elle a mesuré
toute l'étendue, quand, enfin, le héros, comme c'est
le cas d'Hector, domine ces révoltes momentanées
et s'avance sans fléchir à la rencontre de la mort:
« Je ne te fuirai plus, fils de Pélée, comme aupara-
vant... maintenant mon cœur me pousse à te résister
en face : tue ou sois tuél. » Ce n'est pas le courage,
tout d'une pièce, sans émotion ni combat intérieur,
comme l'affichera l'école stoïque. Mais l'humanité ne
comprend rien à cette froide impassibilité et à cet
étalage de force chimérique : elle réserve ses sympa-
thies pour l'héroïsme imitable et admirable, réel
et idéal, d'Hector et de ses pareils. Un dernier trait
achève de nous rendre Hector attachant : c'est sa
bonté. Il est doux jusque dans les reproches qu'il
doit adresser à Pâris l'efféminé. Sur le champ de
bataille, il n'a pas pour ses adversaires vaincus, l'i-
ronie cruelle qui est familière aux guerriers de ce
temps. Avant d'en venir aux mains avec Achille, il
lui propose un échange de bons offices et s'engage,
s'il le tue, à rendre sa dépouille aux Achéens« sans
la défigurer hideusement. » C'est Hélène qui fait le
plus bel éloge de sa délicatesse : « Voilà déjà la
vingtième année que j'ai quitté ma patrie pour venir
i Iliade, XXII, 2:;0-253.
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jeu des mobiles plus nobles : mais l'idéal païen
n'était pas capable d'atteindre à l'oubli complet de
soi. Un instant, le héros chancelant songe à proposer
la paix et des présents à son adversaire. Hésitation
passagère, faiblesse qu'on peut appeler heureuse,
parce qu'elle nous révèle les luttes intimes et les an-
goisses du guerrier.11 n'est pas malséant que la nature
frémisse devant un grand péril dont elle a mesuré
toute l'étendue, quand, enfin, le héros, comme c'est
le cas d'Hector, domine ces révoltes momentanées
et s'avance sans fléchir à la rencontre de la mort:
« Je ne te fuirai plus, fils de Pélée, comme aupara-
vant... maintenant mon cœur me pousse à te résister
en face : tue ou sois tuél. » Ce n'est pas le courage,
tout d'une pièce, sans émotion ni combat intérieur,
comme l'affichera l'école stoïque. Mais l'humanité ne
comprend rien à cette froide impassibilité et à cet
étalage de force chimérique : elle réserve ses sympa-
thies pour l'héroïsme imitable et admirable, réel
et idéal, d'Hector et de ses pareils. Un dernier trait
achève de nous rendre Hector attachant : c'est sa
bonté. Il est doux jusque dans les reproches qu'il
doit adresser à Pâris l'efféminé. Sur le champ de
bataille, il n'a pas pour ses adversaires vaincus, l'i-
ronie cruelle qui est familière aux guerriers de ce
temps. Avant d'en venir aux mains avec Achille, il
lui propose un échange de bons offices et s'engage,
s'il le tue, à rendre sa dépouille aux Achéens« sans
la défigurer hideusement. » C'est Hélène qui fait le
plus bel éloge de sa délicatesse : « Voilà déjà la
vingtième année que j'ai quitté ma patrie pour venir
i Iliade, XXII, 2:;0-253.