Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Toutain, Jules
Les cités romaines de la Tunisie: essai sur l'histoire de la colonisation romaine dans l'Afrique du Nord — Paris, 1895

DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.16856#0394

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
380

LES CITÉS ROMAINES DE LA TUNISIE.

voudra-t-il dédaigner la nature et détruire le passé : il n'y réus-
sira jamais. Une contrée depuis longtemps habitée n'est pas une
table rase; toute œuvre dont les racines ne s'enfonceront pas au
cœur même du sol, sera artificielle, instable, éphémère; c'est
du passé qu'il faut faire sortir l'avenir, par une élaboration
lente et progressive. Une civilisation ne s'importe pas tout
entière du dehors, comme un ballot de laine, comme un sac de
verroteries.

Rome le comprit. Elle ne demanda à ses sujets que la fidélité
et le dévouement. Elle tint le plus grand compte de la nature,
sans jamais la forcer ni prétendre la violenter ; elle s'inspira du
passé pour modifier le présent et pour préparer l'avenir.

C'est là, dira-t-on peut-être, une politique égoïste et sans
grandeur morale. Rome ne donna rien d'elle-même, et demanda
beaucoup. En pareille matière, les sentiments et les intentions
pèsent peu : les résultats seuls sont importants. L'éducation des
peuples peut-elle d'ailleurs ressembler à celle des enfants, qu'il
faut aimer d'une affection sans cesse active, auxquels il faut se
dévouer chaque jour, à toute heure, à toute minute? Les peuples
sont jaloux de leur indépendance ; ils tiennent à leurs traditions,
à leurs mœurs séculaires. La seule volonté d'un vainqueur ne
pourra pas effacer ces traditions, transformer ces mœurs. Plus
même cette volonté se manifestera, plus elle prétendra s'im-
poser, et moins ses efforts seront heureux. Le fanatisme natio-
nal ou religieux, toujours ombrageux, toujours facile à surex-
citer, entretiendra les rancunes, encouragera les résistances.
Des champs de bataille la guerre envahira les cœurs et les âmes.

Or toute colonisation doit être une œuvre de paix et de con-
corde. Il n'appartient pas moins aux colonisateurs d'assurer
cette paix et cette concorde par leur respect du passé, qu'aux
peuples soumis ou protégés de contribuer à les maintenir par
une inébranlable fidélité. La distance qui les sépare au début
les uns des autres doit être parcourue spontanément. La violence
n'a jamais engendré que la ruine et que la haine.

Le grand œuvre de la colonisation romaine s'est édifié, s'est
épanoui au milieu de la paix générale. Bien que les temps
soient changés, méditons cet exemple. Apprenons du peuple le
plus guerrier qui ait vécu dans l'antiquité, qu'aux luttes mili-
taires doit succéder la collaboration pacifique des ennemis de la
veille, et que toute conquête coloniale est fatalement stérile et
vaine, que ne suivent pas l'union, la fusion, la pénétration
mutuelle des vainqueurs et des vaincus.
 
Annotationen