len, est le représentant le plus
ÜRER, je le crois b
mystérieux de la mystérieuse âme allemande. Com-
ment expliquer la contradiction perpétuelle qui, en
même temps, nous la livre et nous la dérobe? La voici,
dans la science et Fart. Elle ne parvient à la synthèse
qu’en entassant, dans les cadres d’une toile comme
dans l’existence d’un esprit, un énorme et confus amas
de minutieuses analyses. Elle accumule les détails sans
s occuper de 1 ensemble, ou du moins sans les voir avec netteté, mais construit tout
de même un ensemble imposant à son insu, précisément à cause de la patiente ac-
cumulation des détails. Elle n’aperçoit pas dans l’univers les lignes harmoniques
qui en révèlent la splendeur aux Grecs, aux Italiens ou aux Français, mais, après
I avoir absorbé par ses mille rumeurs errantes, elle le restitue quand même, selon
ces lignes harmoniques, par le moyen du son qui se trouve être, en même temps,
le plus mathématique et le plus imprécis de tous. Plus ouvrière qu’artiste, plus
savante que philosophe, elle travaille à même le concret avec le nez toujours baissé
et des yeux grossissants de myope, cependant que la musique de l’abstrait chan-
tonne dans sa tête invinciblement.
Et c’est en effet parce qu elle est myope qu elle chante, et qu elle chante si bien.
II y a, dans le monde extérieur qu elle scrute avec tant de passion, avec tant de
patience, trop de faits contradictoires pour quelle 1 embrasse d’un seul coup.
Alors elle ferme les yeux, elle cesse de 1 interroger, elle écoute les battements d un
coeur que cent mille sensations, cent mille images, cent mille sentiments emmaga-
sinés peu à peu ont nourri de siècle en siècle, et elle se met à chanter. Et la volonté
triomphe du pessimisme en dominant par le moyen du rythme, et en exprimant
par le moyen de la musique, la contradiction fondamentale qui empêchait de choisir.
Durer est musicien. Sa peinture n’est pas plastique, moins encore que la pein-
ture d’Holbein, moins surtout que la peinture de Grünewald ou de Cranach. La
peinture allemande n’est pas plastique, parce qu elle juxtapose et les formes et les
tons au lieu de les harmoniser d’instinct et ne saisit jamais dans l’univers cette
interpénétration silencieuse et continue de tous les éléments qui en révèlent l’unité
au sculpteur égyptien ou hellénique, au peintre d’Italie, de France, d’Espagne ou
des Pays-Bas. La gravure pas davantage, et celle de Durer moins encore que celle
de Cranach ou d’Holbein. L’impuissance du choix s’y révèle dans chaque planche
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