L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867 ILLUSTRÉE.
I63
l'horizon de Paris : ce globe tourne unifor-
mément sur lui-même en 24 heures, c'est le
symbole de la mesure du temps.
Un catalogue spécial fournira l'inventaire
exact de tous les objets exposés : bien que
tous n'aient pas encore été installés, on peut
dès à présent se faire une idée assez nette
des systèmes suivis dans les diverses con-
trées.
Ainsi supposons qu'on soit arrivé par
l'entrée du pont d'Iéna : on trouve, en com-
mençant par la gauche, l'exposition des
poids, mesures et monnaies de la France, où
l'on peut remarquer à côté du mètre étalon,
la roulette en fer feuillard des ingénieurs, la
chaîne d'arpenteur, la canne d'arpenteur et
les différents mètres en buis, ivoire ou ba-
leine usités dans les corps de métiers. Mais
toutes ces mesures ne diffèrent que par la
forme ou la matière, tandis que la longueur
est toujours la même, comme on s'en aperçoit
aisément.
On remarque ensuite dans la vitrine des
Pays-Bas les mesures spécialement construites
pour le jaugeage des tonneaux; dans celle de
la Prusse des séries de poids sphériques; dans
celle de l'Autriche, parmi les monnaies, le
thalerde Marie-Thérèse, que l'on continue à
frapper pour le commerce de l'Orient. Les
pays allemands et Scandinaves offrent en
général de nombreuses séries de mesures de
capacité en bois, en métal, en verre. Chez les
Turcs, ce sont les poids qui sont le plus lar-
gement représentés.
Après quelques vitrines destinées aux pays
de l'extrême Orient, vient l'exposition amé-
ricaine, et enlîn celle de la Grande-Bretagne,
où, à côté des mesures actuellement en
usage, on a placé des étalons qui donnent
leur transformation en mesures métriques,
le système métrique décimal ayant été
légalisé récemment par acte des Parle-
ments.
Telles sont les principales dispositions de
ce pavillon où le bruit public s'obstine à in-
staller les diamants de la couronne Pour tOi.it
esprit sérieux et éclairé, la vue des objets ex-
posés dans ce pavillon est autrement instruc-
tive que la contemplation du Régent, et du
Kuh-i-noor : et quelque accumulation de
pierres précieuses qu'on fît dans cette en-
ceinte, jamais on n'en pourrait amasser pour
une somme égale à celle que les peuples éco-
nomiseraient si, renonçant à la routine et au
préjugé, ils savaient s'entendre pour adopter
tous un système métrique uniforme et sup-
primer ainsi les mille et une difficultés qui
naissent de la diversité des mesures.
Pour arriver plus sûrement à un résultat
si enviable, on a pensé qu'il convenait d'in-
viter tous les hommes compétents à des con-
férences internationales qui auront lieu vers
Ila fin de juin. Préparer des programmes de
discussion pour ces conférences, et fixer avec
netteté les principaux points qui donmi êti
Sciai. Espérons qu'elle pourra être
menée à lionne lin, et que ses programmes
réuniront l'adhésion des hommes éclairés
pour obtenir ensuite, par la force des choses,
l'homologation des gouvernements.
Disons en terminant que celte intéressante
et significative exposition «les monnaies, sur
laquelle .M. Michel Chevalier nous a promis
de revenir, aurait probablement échoué, si
M. «le Chancourtoïs n'avait persisté à l'ame-
ner à réalisation malgré les difficultés de
tonte sorte qu'il a rencontrées. L'appel
adressé aux commissions étrangères serait
peut-être resté sans réponse, si les sollicita-
tions réitérées de MM. les commissaires n'a-
vaient activé les adhésions et les envois des
gouvernements intéressés. Jl a fallu tout im-
proviser, pour ainsi dire : la maison Haret,
accablée de travaux, a dû fournir instanta-
nément la maçonnerie, la charpente et la
menuiserie : la serrurerie a été fournie dans
les mêmes conditions de rapidité par M. Hac-
quier : le mouvement très-ingénieux d'hor-
logerie qui marque la mesure du temps est
de M. Borrel.
Tous les hommes compétents de l'Europe
sont convoqués au congrès dont cette exposi-
lion va être l'occasion. Les séances se tien-
dront probablement dans la grande salle de
la porte Suffren, préparée pour les réunions
du Jury et des Commissions. Les réso-
lutions de ce congrès peuvent avoir pour
l'avenir des relations internationales d'in-
calculables conséquences.
ii
Les Costumes populaires de la Russie.
Mon cher Ducuing,
Vous me demandez quelques lignes pour
accompagner les dessins des costumes russes
que vous venez de faire graver pour les lec-
teurs de ['Exposition illustrée, d'après les cos-
tumes originaux groupés dans une des sec-
tions du Palais du Champ de Mars. Ètes-vous
bien sûr qu'un peu de prose ajoute quelque
intérêt à ces charmants croquis? Ils sont par
eux-mêmes trop fidèles, et les types qu'ils
représentent sont trop curieux pour qu'il
soit vraiment besoin d'expliquer quelque
chose à. vos lecteurs, d'arrêter leur attention
sur la forme, la composition, l'utilité de ces
vêtements, qui sont à eux seuls une page de
géographie.
On m'a assuré qu'on avait ri, à la lecture
du programme de l'Exposition universelle,
de l'idée d'exposer des costumes. Je ne sais si
les rieurs rient encore, mais je sais bien que
le public examineavec intérêt les « produits »
de la classe 92 (10e groupe), et qu'il comprend
parfaitement le but à la fois scientifique et
économique de cette exhibition. Quant aux
artistes, ils applaudissent des deus mains.
L'envahissement de Y Opéra-Comique les dé-
solait, et ils rêvaient aux moyens d'arrêter
une autre invasion : celle du mauvais goût,
qui supprime les costumes originaux des di-
verses contrées de l'Europe, pour soumettre
leurs habitants au grotesque chapeau que
porte Paris, et aux pantalons et redingotes
que fabrique à la vapeur la Belle Jardi-
nière.
L'exhibition des types originaux conservés
par l'esprit local en France, par l'esprit de
race dans certaines contrées, sera-t-elle un
des moyens recherchés par les artistes? Je
n'ose l'affirmer. Mais ce que j'affirmerai, c'est
que les « produits » de la classe 92 seront
comme une solennelle protestation contre le
mauvais goût moderne, — et si nous passons
outre, si nous ne troublons pas le triomphe
des tailleurs du boulevard, — nos maîtres ! —
nous nous serons bel et bien proclamés à la
face du monde entier, — des sots et des gro-
tesques!
Les artistes n'en demandent pas davantage.
Quant aux économistes, je ne les questionne
pas sur ce qu'ils en pensent. Je me suis
brouillé avec eux, depuis le jour où le hasard
— c'est bien le hasard — m'a fait membre
du comité d'admission de la classe 92, puis'
secrétaire de ce comité, puis, enfin, membre
du jury international, pour toutes les exhibi-
tions de costumes originaux et populaires.
Tout sensible que j'étais jusqu'alors aux élé-
gances de certains costumes étrangers, je
raisonnais un peu, moi aussi, comme ces
grands savants qui veulent soumettre le monde
entier à une même loi, et j'admirais les co-
lonnes de chiffres rangés en bataille par les
professeurs d'économie sociale et politique.
Maintenant, c'est fini. Je fais l'école buisson-
nière, et sans demander à un peuple comment
il vit et comment il peut vivre, je m'arrête
chez lui, et j'admire son goût, ses costumes,
ses élégances, ses fantaisies, les caprices de
sa coquetterie, les ressources de sa misère et
les habiletés de son génie natif.
C'est en Russie, surtout, que j'ai beaucoup
vécu dans ces derniers temps. Vous l'avez su
sans doute, et c'est pourquoi vous êtes venu
me demander mes impressions. Elles sont
très-vives. Que nous voilà loin de la fabrique
moderne, et combien il faudra, Dieu soit
loué 1 de générations de commis-voyageurs
avant de déguiser ces Cosaques, ces Petits
Rnssiens, ces habitants du Caucase, ou ces
malheureux pionniers de la Sibérie, avec
les atours ridicules de l'Occident!
On les reconnaît, ces peuples dont l'histoire
nous est à peine connue; ce sont bien eux.
Et que d'études à faire sur ces vêtements cou-
pés, taillés, choisis, composés sur un patron
qui n'est point le caprice, niais qui est la
nature ! Il y aurait là tout un livre de science
ethnographique à composer, rien qu'à ana-
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l'horizon de Paris : ce globe tourne unifor-
mément sur lui-même en 24 heures, c'est le
symbole de la mesure du temps.
Un catalogue spécial fournira l'inventaire
exact de tous les objets exposés : bien que
tous n'aient pas encore été installés, on peut
dès à présent se faire une idée assez nette
des systèmes suivis dans les diverses con-
trées.
Ainsi supposons qu'on soit arrivé par
l'entrée du pont d'Iéna : on trouve, en com-
mençant par la gauche, l'exposition des
poids, mesures et monnaies de la France, où
l'on peut remarquer à côté du mètre étalon,
la roulette en fer feuillard des ingénieurs, la
chaîne d'arpenteur, la canne d'arpenteur et
les différents mètres en buis, ivoire ou ba-
leine usités dans les corps de métiers. Mais
toutes ces mesures ne diffèrent que par la
forme ou la matière, tandis que la longueur
est toujours la même, comme on s'en aperçoit
aisément.
On remarque ensuite dans la vitrine des
Pays-Bas les mesures spécialement construites
pour le jaugeage des tonneaux; dans celle de
la Prusse des séries de poids sphériques; dans
celle de l'Autriche, parmi les monnaies, le
thalerde Marie-Thérèse, que l'on continue à
frapper pour le commerce de l'Orient. Les
pays allemands et Scandinaves offrent en
général de nombreuses séries de mesures de
capacité en bois, en métal, en verre. Chez les
Turcs, ce sont les poids qui sont le plus lar-
gement représentés.
Après quelques vitrines destinées aux pays
de l'extrême Orient, vient l'exposition amé-
ricaine, et enlîn celle de la Grande-Bretagne,
où, à côté des mesures actuellement en
usage, on a placé des étalons qui donnent
leur transformation en mesures métriques,
le système métrique décimal ayant été
légalisé récemment par acte des Parle-
ments.
Telles sont les principales dispositions de
ce pavillon où le bruit public s'obstine à in-
staller les diamants de la couronne Pour tOi.it
esprit sérieux et éclairé, la vue des objets ex-
posés dans ce pavillon est autrement instruc-
tive que la contemplation du Régent, et du
Kuh-i-noor : et quelque accumulation de
pierres précieuses qu'on fît dans cette en-
ceinte, jamais on n'en pourrait amasser pour
une somme égale à celle que les peuples éco-
nomiseraient si, renonçant à la routine et au
préjugé, ils savaient s'entendre pour adopter
tous un système métrique uniforme et sup-
primer ainsi les mille et une difficultés qui
naissent de la diversité des mesures.
Pour arriver plus sûrement à un résultat
si enviable, on a pensé qu'il convenait d'in-
viter tous les hommes compétents à des con-
férences internationales qui auront lieu vers
Ila fin de juin. Préparer des programmes de
discussion pour ces conférences, et fixer avec
netteté les principaux points qui donmi êti
Sciai. Espérons qu'elle pourra être
menée à lionne lin, et que ses programmes
réuniront l'adhésion des hommes éclairés
pour obtenir ensuite, par la force des choses,
l'homologation des gouvernements.
Disons en terminant que celte intéressante
et significative exposition «les monnaies, sur
laquelle .M. Michel Chevalier nous a promis
de revenir, aurait probablement échoué, si
M. «le Chancourtoïs n'avait persisté à l'ame-
ner à réalisation malgré les difficultés de
tonte sorte qu'il a rencontrées. L'appel
adressé aux commissions étrangères serait
peut-être resté sans réponse, si les sollicita-
tions réitérées de MM. les commissaires n'a-
vaient activé les adhésions et les envois des
gouvernements intéressés. Jl a fallu tout im-
proviser, pour ainsi dire : la maison Haret,
accablée de travaux, a dû fournir instanta-
nément la maçonnerie, la charpente et la
menuiserie : la serrurerie a été fournie dans
les mêmes conditions de rapidité par M. Hac-
quier : le mouvement très-ingénieux d'hor-
logerie qui marque la mesure du temps est
de M. Borrel.
Tous les hommes compétents de l'Europe
sont convoqués au congrès dont cette exposi-
lion va être l'occasion. Les séances se tien-
dront probablement dans la grande salle de
la porte Suffren, préparée pour les réunions
du Jury et des Commissions. Les réso-
lutions de ce congrès peuvent avoir pour
l'avenir des relations internationales d'in-
calculables conséquences.
ii
Les Costumes populaires de la Russie.
Mon cher Ducuing,
Vous me demandez quelques lignes pour
accompagner les dessins des costumes russes
que vous venez de faire graver pour les lec-
teurs de ['Exposition illustrée, d'après les cos-
tumes originaux groupés dans une des sec-
tions du Palais du Champ de Mars. Ètes-vous
bien sûr qu'un peu de prose ajoute quelque
intérêt à ces charmants croquis? Ils sont par
eux-mêmes trop fidèles, et les types qu'ils
représentent sont trop curieux pour qu'il
soit vraiment besoin d'expliquer quelque
chose à. vos lecteurs, d'arrêter leur attention
sur la forme, la composition, l'utilité de ces
vêtements, qui sont à eux seuls une page de
géographie.
On m'a assuré qu'on avait ri, à la lecture
du programme de l'Exposition universelle,
de l'idée d'exposer des costumes. Je ne sais si
les rieurs rient encore, mais je sais bien que
le public examineavec intérêt les « produits »
de la classe 92 (10e groupe), et qu'il comprend
parfaitement le but à la fois scientifique et
économique de cette exhibition. Quant aux
artistes, ils applaudissent des deus mains.
L'envahissement de Y Opéra-Comique les dé-
solait, et ils rêvaient aux moyens d'arrêter
une autre invasion : celle du mauvais goût,
qui supprime les costumes originaux des di-
verses contrées de l'Europe, pour soumettre
leurs habitants au grotesque chapeau que
porte Paris, et aux pantalons et redingotes
que fabrique à la vapeur la Belle Jardi-
nière.
L'exhibition des types originaux conservés
par l'esprit local en France, par l'esprit de
race dans certaines contrées, sera-t-elle un
des moyens recherchés par les artistes? Je
n'ose l'affirmer. Mais ce que j'affirmerai, c'est
que les « produits » de la classe 92 seront
comme une solennelle protestation contre le
mauvais goût moderne, — et si nous passons
outre, si nous ne troublons pas le triomphe
des tailleurs du boulevard, — nos maîtres ! —
nous nous serons bel et bien proclamés à la
face du monde entier, — des sots et des gro-
tesques!
Les artistes n'en demandent pas davantage.
Quant aux économistes, je ne les questionne
pas sur ce qu'ils en pensent. Je me suis
brouillé avec eux, depuis le jour où le hasard
— c'est bien le hasard — m'a fait membre
du comité d'admission de la classe 92, puis'
secrétaire de ce comité, puis, enfin, membre
du jury international, pour toutes les exhibi-
tions de costumes originaux et populaires.
Tout sensible que j'étais jusqu'alors aux élé-
gances de certains costumes étrangers, je
raisonnais un peu, moi aussi, comme ces
grands savants qui veulent soumettre le monde
entier à une même loi, et j'admirais les co-
lonnes de chiffres rangés en bataille par les
professeurs d'économie sociale et politique.
Maintenant, c'est fini. Je fais l'école buisson-
nière, et sans demander à un peuple comment
il vit et comment il peut vivre, je m'arrête
chez lui, et j'admire son goût, ses costumes,
ses élégances, ses fantaisies, les caprices de
sa coquetterie, les ressources de sa misère et
les habiletés de son génie natif.
C'est en Russie, surtout, que j'ai beaucoup
vécu dans ces derniers temps. Vous l'avez su
sans doute, et c'est pourquoi vous êtes venu
me demander mes impressions. Elles sont
très-vives. Que nous voilà loin de la fabrique
moderne, et combien il faudra, Dieu soit
loué 1 de générations de commis-voyageurs
avant de déguiser ces Cosaques, ces Petits
Rnssiens, ces habitants du Caucase, ou ces
malheureux pionniers de la Sibérie, avec
les atours ridicules de l'Occident!
On les reconnaît, ces peuples dont l'histoire
nous est à peine connue; ce sont bien eux.
Et que d'études à faire sur ces vêtements cou-
pés, taillés, choisis, composés sur un patron
qui n'est point le caprice, niais qui est la
nature ! Il y aurait là tout un livre de science
ethnographique à composer, rien qu'à ana-