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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 2)

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Jubinal, Achille: La danse des morts du Locle
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https://doi.org/10.11588/diglit.16675#0223

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200

L'ART.

sentiment de la mort s'exalta. On ne se borna pas à représenter la terrible déesse seule et pour
chacun : on la peignit, on la sculpta pour tous, avec tout son cortège, c'est-à-dire qu'on la montra
s'attaquant successivement au roi, au pape, à l'empereur, emportant dans sa ronde fantastique aussi
bien le joyeux ménétrier que le moine saintement enfermé dans sa cellule. Telle est du moins l'origine
qu'on assigne généralement aux danses des morts.

Toutefois il y eut avant cette époque quelques compositions littéraires qui purent diriger les
esprits vers la réalisation matérielle de la danse macabre. Ainsi, par exemple, il nous est parvenu de
Gautier de Mapes, trouvère du xiis siècle, une pièce de vers latins qui ressemble assez aux légendes des
^danses des morts, et qui est intitulée : Lamentatio et deploratio pro morte et concihum de vivente Deo.
Dans cette pièce un grand nombre de personnages se plaignent d'être soumis à la mort et de ne pou-
voir échapper à son empire ; mais est-ce à dire pour cela, comme l'a écrit un auteur anglais,
M. Francis Douce, qu'il faille croire que des peintures de la danse macabre étaient contemporaines de
Gautier de Mapes? Je ne le pense pas; d'abord, parce qu'il ne nous en est parvenu aucun fragment;
ensuite, parce qu'il faut qu'une idée grandisse peu à peu avant d'arriver à son entier développement.
Or, ici, l'idée dont nous parlons venait à peine de naître.

Je dirai la même chose du Fabliau des trois morts et des trois vifs, qui appartient au siècle suivant.
En y voyant, si nous voulons, le germe de la Danse des morts, il faut bien convenir qu'il y a loin de là
encore à la sculpture et à la peinture, et que nulle part dans les monuments de cette époque on ne
rencontre, tracé par la main des imagiers, un de ces bals d'outre-tombe ou plutôt de ces défiles et
processions que le xv" siècle étala fréquemment avec tant de luxe et de grandeur autour des cloîtres et
des églises.

Je n'appliquerai pas le même raisonnement à une pièce de vers que je trouve dans la collection
des poètes espagnols antérieurs à l'année 1400, publiée par Sanchez. Cette pièce a pour auteur un
juif, qui vivait vers 1360, époque à laquelle il pouvait exister déjà des Danses des morts, aujourd'hui
détruites en France, en Allemagne et même en Espagne, parce que, bien qu'on ne rencontre aucun
monument de ce genre dans la Péninsule, il est difficile de croire que dans un pays aussi sévèrement
religieux, où la peinture s'est toujours complue en des sujets terribles, il n'ait pas existé de Danses des
morts. M. Douce dit d'ailleurs avoir connu une personne qui avait retrouvé sur une muraille de la
cathédrale de Burgos quelques fragments de squelettes, malheureusement défigurés par une couche
de badigeon. Quoi qu'il en soit, la première grande peinture publique que l'on connaisse de la Danse
des morts est celle de Minden, en Westphalie. Elle date de 1383, et, soit qu'on la fasse remonter au
souvenir de la peste noire, qui, de 1346 à 1348, fit périr, tant en Europe qu'en Asie, la cinquième partie
de l'espèce humaine, soit qu'on rapporte seulement son origine à l'épidémie de 1373, qui faisait en
quelque sorte danser les malades en leur donnant une fébrile agitation, toujours est-il que ce fut à
dater de cette époque, mais surtout en Allemagne et en Suisse, qu'on vit se dérouler autour des cime-
tières ces bandes de cadavres osseux figurant la ffiort et entraînant après eux l'humanité. Dans la
plupart de ces singuliers monuments, la mort tient souvent en main un violon, une flûte, un hautbois,
et elle appelle tous les vivants à son bal avec un rire moqueur. La plus ancienne Danse des morts
connue après la fresque de Minden fut celle qui exista jadis au Charnier des Innocents, à Paris, et qui
datait de 1424. Diverses opinions se sont produites à propos de cette danse. Quelques écrivains ont
pensé ( Voje{ de Barante et Dulaure) qu'elle avait pu être une représentation théâtrale en action et
non simplement une peinture; M. de Villeneuve-Bargemont, dans son histoire de René d'Anjou, en
a fait une procession ; M. Paul Lacroix, dans son curieux roman historique intitulé la Danse macabre,
l'a transformée en un lugubre spectacle exécuté à l'aide de quelques squelettes par un certain Macaber
ou Macabre ; mais ce sont là à coup sûr autant d'inexactitudes qui peuvent convenir au romancier sans
satisfaire l'archéologue. En réalité, la danse des morts des Innocents ne fut ni une représentation théâ-
trale, ni même une sculpture, comme on l'a écrit aussi, mais une peinture qui fut achevée six mois
après avoir été commencée. On lit en effet dans le Journal de Paris, sous Charles VI et sous
Charles VII : « L'an 1424 fut faite la danse marâtre {sic), et fut commencée environ le moys d'aoust
et achevée au karesme suivant. » Plus loin on lit également : « En l'an 1429, le cordelier Richart, pres-
chant aux Innocents, estoit monté sur un hault eschaffault qui estoit près de toise et demie de hault,
 
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