N° 43
AVR!L 1902
RENÉ MÉNARD
ouTES les fantaisies de l'ima-
gination, ce que l'on appelait
ies mystères de la palette,
à l'époque où le mystère
était un des attraits de la pein-
ture, cèdent la place à l'amour du
vrai absolu et du textuel. La pho-
tographie, quant aux apparences
des corps, l'étude photographique, quant aux
effets de lumière, ont changé la plupart des
manières de voir, de sentir et de peindre.
A l'heure qu'il est, la peinture n'est jamais
assez claire, assez nette, assez formelle, as-
sez crue. Il semble que la reproduction mé-
canique de ce qui est soit aujourd'hui le der-
nier mot de l'expérience et du savoir et quelle
talent consiste à lutter
d'exactitude, de précision,
de force imitative avec tm
instrument. Toute ingé-
rence de la sensibilité est
de trop...)) Ainsi s'ex-
primait, il y a vingt-sept
ans, un peintre de rare
mérite, un critique admi-
rable, le mieux instruit
de l'histoire de notre art,
le plus conscient de ses
vraies destinées. Si Fro-
mentin ressuscitait à pré-
sent et parcourait nos
Salons, il serait sûrement
ravi de sa promenade. Sans
doute, il rencontrerait
bon nombre de ces images
exactes et serviles, plate-
ment concrètes, sans en-
veloppe, sanscomposition,
sans synthèse, qui sont
le triomphe du trompe-
l'œil, qui n'intéressent ni
l'ame, ni la pensée. Mais
il découvrirait aussi, sur-
tout à la Société Nationale,
quelques œuvres graves,
profondes, volontaires, af-
firmant une préoccupation
sérieuse du sentiment, un
PORTRAIT DE LUCIEN SIMON
souci constant de l'interprétation et du style.
Il verrait avec joie les auteurs de ces toiles
revenir aux grandes conceptions, substituer
aux pâtes mates et crayeuses une couleur
forte, sombre et fluide, abandonner la séche-
resse précise du plein soleil pour les poé-
tiques indécisions du couchant ou de l'aube,
pour les mystères du clair-obscur. Il enten-
drait, au long des cimaises, ample, majes-
tueux et sonore, retentir le chant des
rythmes et soupirer les modulations des va-
leurs. La formule naturaliste, en effet, ré-
pugne à certains esprits. La représentation
froide, désintéressée des êtres et des choses
ne les satisfait pas. Noblement avides d'ex-
pression, ils prétendent fixer avec les formes
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AVR!L 1902
RENÉ MÉNARD
ouTES les fantaisies de l'ima-
gination, ce que l'on appelait
ies mystères de la palette,
à l'époque où le mystère
était un des attraits de la pein-
ture, cèdent la place à l'amour du
vrai absolu et du textuel. La pho-
tographie, quant aux apparences
des corps, l'étude photographique, quant aux
effets de lumière, ont changé la plupart des
manières de voir, de sentir et de peindre.
A l'heure qu'il est, la peinture n'est jamais
assez claire, assez nette, assez formelle, as-
sez crue. Il semble que la reproduction mé-
canique de ce qui est soit aujourd'hui le der-
nier mot de l'expérience et du savoir et quelle
talent consiste à lutter
d'exactitude, de précision,
de force imitative avec tm
instrument. Toute ingé-
rence de la sensibilité est
de trop...)) Ainsi s'ex-
primait, il y a vingt-sept
ans, un peintre de rare
mérite, un critique admi-
rable, le mieux instruit
de l'histoire de notre art,
le plus conscient de ses
vraies destinées. Si Fro-
mentin ressuscitait à pré-
sent et parcourait nos
Salons, il serait sûrement
ravi de sa promenade. Sans
doute, il rencontrerait
bon nombre de ces images
exactes et serviles, plate-
ment concrètes, sans en-
veloppe, sanscomposition,
sans synthèse, qui sont
le triomphe du trompe-
l'œil, qui n'intéressent ni
l'ame, ni la pensée. Mais
il découvrirait aussi, sur-
tout à la Société Nationale,
quelques œuvres graves,
profondes, volontaires, af-
firmant une préoccupation
sérieuse du sentiment, un
PORTRAIT DE LUCIEN SIMON
souci constant de l'interprétation et du style.
Il verrait avec joie les auteurs de ces toiles
revenir aux grandes conceptions, substituer
aux pâtes mates et crayeuses une couleur
forte, sombre et fluide, abandonner la séche-
resse précise du plein soleil pour les poé-
tiques indécisions du couchant ou de l'aube,
pour les mystères du clair-obscur. Il enten-
drait, au long des cimaises, ample, majes-
tueux et sonore, retentir le chant des
rythmes et soupirer les modulations des va-
leurs. La formule naturaliste, en effet, ré-
pugne à certains esprits. La représentation
froide, désintéressée des êtres et des choses
ne les satisfait pas. Noblement avides d'ex-
pression, ils prétendent fixer avec les formes
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