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Leroi, Paul: Salon de 1875, [10]
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.16675#0258
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230 L'ART.
le plus sincère, animées de figurines croquées avec infiniment d'esprit, et le voilà atteint de l'ophthalmie
du gris, et quel gris! un gris pesamment vaporeux et malpropre, tout souillé de poussière bleuâtre.
Et c'est avec cela qu'il nous a exécuté deux vues du port de Bordeaux (nos 266 et 267) !
J'en suis navré, moi qui le tiens en haute estime; je ne puis me consoler d'un si complet échec.
Il me semble cependant impossible que le grand jour du Salon ne lui ait pas dessillé les yeux; s'il en
est ainsi, j'ai bon espoir : il ne tardera pas à réparer sa défaite actuelle.
M. Charles Daubigny, un fidèle des Salons, n'a pas exposé; on ne saurait trop désirer toujours la
présence d'un tel maître. Son fils Karl, qui lui fait honneur, est exact au rendez-vous annuel; ses pro-
grès sont considérables, et, bien que l'influence paternelle se fasse encore nettement sentir, M. Karl
Daubigny devient de plus en plus quelqu'un; sa Vallée de Portville (n° 572) et l'Embarquement des
huîtres à Cancale (n° 573) sont là pour en témoigner; mais c'est précisément parce qu'il est l'auteur
Les Chaumes (Eure-et-Loir).
Fac-similé d'un dessin de Théophile Chauvel, d'après le tableau d'Alexandre Ségé.
d'œuvres de cette valeur qu'il faut se montrer sévère envers lui à propos de cette débauche du pinceau
et surtout du couteau à palette : Effet de neige au soleil levant (n° 574)? vaste toile vide et nulle. Il est
évident que cela a un certain aspect à très-grande distance, mais cette exécution, simplifiée à l'excès
et qui ne consiste plus qu'à étendre quelques tons avec le couteau, ost inadmissible et blâmable sous
tous rapports. Je tiens à ajouter que des procédés d'un pareil sans-gêne constituent un manque de res-
pect envers son art et envers le public que tout exposant prend pour juge. Puis on se familiarise avec
cette pratique insensée dont on use en se jouant; ce qui était une exception devient bientôt, sans qu'on
le veuille, sans qu'on s'en rende compte, une incurable habitude et on court droit à l'abîme.
Ayez au contraire l'amour et la dignité de votre art, ayez la passion de l'étude, et le succès finit
par vous arriver durable; M. Alexandre Ségé, qui n'est plus jeune, — il est élève de Fiers, — en est
un éloquent exemple. L'an dernier il a été décoré de la Légion d'honneur; Les Chaumes [Eure-et-Loir)
(n° 1837) témoignent de la justice de cette haute récompense. Une grande plaine, quelques chaumières,
un troupeau de moutons par une belle et claire matinée, c'est tout. Cette œuvre si simple suffit à vous
donner une impression vive, élevée, poétique; on dirait un hymne à la nature.
230 L'ART.
le plus sincère, animées de figurines croquées avec infiniment d'esprit, et le voilà atteint de l'ophthalmie
du gris, et quel gris! un gris pesamment vaporeux et malpropre, tout souillé de poussière bleuâtre.
Et c'est avec cela qu'il nous a exécuté deux vues du port de Bordeaux (nos 266 et 267) !
J'en suis navré, moi qui le tiens en haute estime; je ne puis me consoler d'un si complet échec.
Il me semble cependant impossible que le grand jour du Salon ne lui ait pas dessillé les yeux; s'il en
est ainsi, j'ai bon espoir : il ne tardera pas à réparer sa défaite actuelle.
M. Charles Daubigny, un fidèle des Salons, n'a pas exposé; on ne saurait trop désirer toujours la
présence d'un tel maître. Son fils Karl, qui lui fait honneur, est exact au rendez-vous annuel; ses pro-
grès sont considérables, et, bien que l'influence paternelle se fasse encore nettement sentir, M. Karl
Daubigny devient de plus en plus quelqu'un; sa Vallée de Portville (n° 572) et l'Embarquement des
huîtres à Cancale (n° 573) sont là pour en témoigner; mais c'est précisément parce qu'il est l'auteur
Les Chaumes (Eure-et-Loir).
Fac-similé d'un dessin de Théophile Chauvel, d'après le tableau d'Alexandre Ségé.
d'œuvres de cette valeur qu'il faut se montrer sévère envers lui à propos de cette débauche du pinceau
et surtout du couteau à palette : Effet de neige au soleil levant (n° 574)? vaste toile vide et nulle. Il est
évident que cela a un certain aspect à très-grande distance, mais cette exécution, simplifiée à l'excès
et qui ne consiste plus qu'à étendre quelques tons avec le couteau, ost inadmissible et blâmable sous
tous rapports. Je tiens à ajouter que des procédés d'un pareil sans-gêne constituent un manque de res-
pect envers son art et envers le public que tout exposant prend pour juge. Puis on se familiarise avec
cette pratique insensée dont on use en se jouant; ce qui était une exception devient bientôt, sans qu'on
le veuille, sans qu'on s'en rende compte, une incurable habitude et on court droit à l'abîme.
Ayez au contraire l'amour et la dignité de votre art, ayez la passion de l'étude, et le succès finit
par vous arriver durable; M. Alexandre Ségé, qui n'est plus jeune, — il est élève de Fiers, — en est
un éloquent exemple. L'an dernier il a été décoré de la Légion d'honneur; Les Chaumes [Eure-et-Loir)
(n° 1837) témoignent de la justice de cette haute récompense. Une grande plaine, quelques chaumières,
un troupeau de moutons par une belle et claire matinée, c'est tout. Cette œuvre si simple suffit à vous
donner une impression vive, élevée, poétique; on dirait un hymne à la nature.