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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 2)

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Audebrand, Philibert: Ce que deviennent les statues
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https://doi.org/10.11588/diglit.25873#0204

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174

L’ART.

— J’en dis, répondit le chantre de la Chute d’un Ange,
que vous êtes orfèvre, mon cher sculpteur. Laissons là
les statues !

Et comme cela se passait à l’époque des Ateliers natio-
naux, c’est-à-dire dans un temps où l’argent n’affluait guère
au Trésor, Lamartine ajouta d’une voix grave :

— Pour le moment, nous n’avons pas un liard à don-
ner à vos brillantes superfluités, mais ce que vous venez
de dire pourra sans doute se réaliser au xxe siècle. Atten-

e xxe siècle, il est à nos portes. Encore
onze années et nous y serons arrivés. Autre
chose : l’amour des statues nous tient de
plus en plus au cœur. Bien mieux, ce
n’est plus uniquement à Paris, c'est aussi
en province et jusque dans la plus humble
des bourgades qu’on semble vouloir adop-
ter aujourd’hui la méthode d’enseigne-
ment imaginée par Auguste Préault. La
France se couvre d’idoles patriotiques.
Mais cette prédilection pour les formes
humaines que divinise le ciseau de l’artiste
n’est assurément pas une chose nouvelle. En 1829, c’est-à-
dire à l’époque où il était ambassadeur du roi Charles X
auprès du Saint-Siège, Chateaubriand prenait plaisir à se
promener à pied, à travers les rues de Rome, cherchant
à se figurer par la pensée quel coup d’œil avait pu pré-
senter, il y a dix-huit siècles, la ville par excellence. Suivant
le secrétaire qui l’accompagnait, il s’imaginait parcourir
un merveilleux Musée. « Ce devait être grandiose, disait
René, un peuple de vivants marchant, tout le jour, côte à
côte, auprès d’un peuple de statues. » Rien de plus vrai :
avant l’invasion des Barbares, les deux rives du Tibre
voyaient se dresser une nation de dieux et d’ancêtres.
Immobiles sur leurs piédestaux, ces héros semblaient être
des sentinelles gardant la patrie. Muets, ils racontaient
avec une religieuse éloquence le passé à leurs petits-fils.
On ne voyait pas moins de vingt-sept mille de ces images
augustes. Spectacle bien fait pour anoblir l’esprit! Les
Quirites se modelaient sur leurs grands hommes.

u train dont vont aujourd’hui les
choses, on est en droit de suppo-
ser que Paris ne tardera guère à
ressembler, sous ce rapport, à la
Rome de marbre. Depuis dix ans,
il ne se passe pas de semaine qu’on
n’ait à s’occuper de l’inauguration
d’un demi-dieu. Je ne blâme pas;
je constate. On ne pourra bientôt
plus faire cent pas sans avoir à
faire une pieuse station devant un
fétiche en marbre ou en bronze, et il n’y a pas de mal à
ça, au contraire. Mais précisément voilà que cette sura-
bondance d’immortalité décernée par les contemporains
fait trébucher le penseur. Sans avoir au fond de la pensée
autant de mélancolie que Chassebœuf de Volney, l’auteur
des Ruines, on est pourtant amené à se faire comme lui
une question inquiète ; on se dit donc : « Ces monu-
ments, faits pour vivre toujours, combien de temps dure-
ront-ils ? »

Ah ! je n’ignore pas qu’en définitive rien ne résiste à
l’action du temps. Tempus edax rerum, a dit Horace. Je sais
aussi le mot inexorable du panthéiste Spinosa : « Ici-bas,
tout ce qui a une forme est destiné à disparaître. » Mais,
après tout, il y a des degrés dans la pérennité et l’on nous
fait voir au Louvre, dans le musée égyptien, des divinités
de granit rose qui datent de la cinquante-troisième dynas-

dez donc !

tie, laquelle passe pour avoir précédé Sésostris d’environ
dix mille trois cents ans. Ainsi donc, un morceau d’art
qui remonte aux rois pasteurs et qui a déjà vécu à peu
près vingt mille ans, s’il n’est pas précisément éternel, me
paraît bien être voisin de ce que nous appelons immorta-
lité parmi les hommes et il faut convenir que ce serait déjà
bien joli si nos rapsodes glorieux, si nos illustres généraux
pouvaient se flatter de parcourir l’équivalent d’un pareil
cycle. Oui, mais quelle est la compagnie d’assurances sur
la vie qui osât inscrire dans ses polices la durée de ce laps
de temps? Vingt mille ans de gloire sans démolition!

Au fait, à propos de cette délicate question de la lon-
gévité des statues, mettons-nous à interroger l’histoire.

’après une récente statistique
publiée par l’Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres, les
statues disséminées sur le globe
forment une population d’envi-
ron 33,584 individus des deux
sexes. Il y en a en glaise, en
bois sculpté, en marbre, en
étain, en argent et en bronze.
Mais combien ont disparu !
Quelle effroyable quantité a été
brisée au milieu des secousses sociales, pulvérisée, jetée
au fond des mers et dispersée à tous les vents du ciel
comme s’il se fut agi de brins de paille! Tenez, à com-
mencer parla statue de Dagon, de laquelle il est dit dans
la Bible : « qu’elle tomba la face contre terre et se rompit
bras et jambes en voyant entrer l’Arche d’Alliance dans le
temple des Philistins », à combien de douleurs et de
vexations les malheureuses statues n’ont-elles pas été
dévouées !

l y a, d’abord, la statue de Nabo qui fut brûlée
vive avec Sodome, le même jour et à la même
heure que la brave et digne femme de Loth fut
changée en statue de sel. Un tremblement de
terre renversa et détruisit la statue d’Apollon,
vulgairement nommée Colosse de Rhodes, et
neuf cents chameaux en promenèrent les débris
par le monde, sans qu’on sache où ils sont défi-
nitivement restés. Le colosse de Néron, qui a
donné son nom au Colisée, avait cent vingt
coudées de hauteur, ce qui ne l’empêchait pas
de n’être qu’un nain auprès du géant de Rhodes dont il
vient d’être parlé. Il n’en reste plus qu’un orteil, dont
deux bons amis qui se rencontrent se servent en guise de
banc pour s’asseoir et pour tailler à leur aise une bavette
sur l’inconstance des choses humaines.

ul n’ignore que les An-
glais de distinction ont la
prétention d’être d’intré-
pides conservateurs d’an-
tiques. Lord Elgin a laissé
des disciples et de nom-
breux imitateurs, lesquels
ne voyagent point sans
valise et rapportent par
fragments les chefs-
d’œuvre de la sculpture
des anciens. 'Ceux-là vous disent donc, sans broncher :
« Nous avons chez nous la Grèce de Périclès en petits
morceaux », et c’est très vrai. Voilà comment ils possèdent
l’Hercule de Phidias; mais attendez! Ce dieu a perdu
tête, cou, poitrine, bras, cuisses et jambes. Du reste, c’est
 
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