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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 2)

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Audebrand, Philibert: Ce que deviennent les statues
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https://doi.org/10.11588/diglit.25873#0205

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CE QUE DEVIENNENT LES STATUES.

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un morceau très bien conserve' et qui fait, à Londres,
l’admiration des connaisseurs.

uand apparaissent les Cinabres,
les Teutons, les Huns, les Hé-
rules, les Goths et les Ostrogoths,
les statues de tout genre dispa-
raissent ou bien elles sont effroya-
blement mutilées. Ce n’est que
par exception que quelques-unes
échappent. Pour se convaincre de
cette vérité, il suffit de rappeler la
Vénus de Médicis et la Vénus de
Milo. Ce n’est qu’à grand’peine
que ces deux chastes déesses ont pu être sauvées pour
l’admiration des races futures. M. le comte de Marcellus,
l’inventeur de cette dernière, nous a conté combien il a eu
de mal à amener ce trésor en France. Parmi les Grecs
modernes, devenus barbares, les uns prenaient la Mère de
l’Amour pour une Panagie, c’est-à-dire pour une sainte
Vierge du culte grec, et voulaient la garder afin de la mettre
dans la niche d’une église ; les autres, encore plus grossiers,
criaient que c’était une femme qui avait le mauvais œil et
qui, par conséquent, pouvait leur jeter un sort, et ils par-
laient de la briser en mille pièces. Ce chef-d’œuvre des
chefs-d’œuvre, qui a déjà perdu ses bras, pilé, réduit en
poussière! Par bonheur, Jupiter, roi des dieux et des
hommes, n’a pas permis un tel sacrilège. Mais prenons
garde ! On la guette, notre Vénus! M. de Bismarck avait
parlé de la « conquérir ». C’est pourquoi M. Jules Simon,
ministre de 1871, l’a prudemment fait cacher en terre,
pendant les deux sièges de Paris. C’est ce qui l’a sauvée.

enjamin Constant, dans un livre fa-
meux, d’un très grand style, nous a
fait voir que le droit de conquête 11’est
rien autre chose qu’une des variétés du
vol. En ne prenant les choses qu’au
point de vue de l’art, les conquérants
sont les pires des destructeurs. Il y
avait des merveilles à Persépolis ;
Alexandre le Grand a passé par là avec
son armée et tout a été saccagé pour
être anéanti. Au nom du Sénat et du
Peuple romains, Mummius s’empare de Corinthe et il
l’incendie. Les statues d’or et d’argent, non moins nom-
breuses que les statues de bronze, fondent au milieu de la
belle cité grecque, transformée en fournaise. Là se trou-
vaient des chefs-d’œuvre de Lysippe et de Polyclète. Là,
on adorait à deux genoux la Vénus de Praxitèle. Qu’im-
portait au proconsul? La flamme n’a rien épargné. De
tous les dieux, de toutes les superbes images en fusion est
sortie cette substance que l’on appelle encore aujourd’hui
« le métal de Corinthe » ; mais c’en était fait pour tou-
jours de ces prodiges de la statuaire !

ar forme de réciprocité, Rome devait
à son tour, mais un peu plus tard, subir
ces mêmes outrages qu’elle avait infli-
gés à la Grèce. Quand Genséric prit la
ville, ses hordes la pillèrent. Trois
mille statues, les plus riches, bien en-
tendu, furent renversées ou emportées
par les Barbares, qui les transformèrent
en monnaie. Beccaria a décrit, encore
plus tard : « On a beau effacer des codes
l’horrible loi du talion, remarquez
qu’elle reparaît constamment dans l’histoire. » Genséric
a fait payer aux petits-fils la dette de Mummius.

ême chose est arrivée dans
notre xixe siècle, à propos
des prouesses de Bonaparte,
premier consul, et de Napo-
léon Ier, empereur. Il avait
vaincu l’empereur d’Autri-
che, représenté par Mêlas.
Qui en pâtit ? — François 11,
l’empereur d’Autriche ? —
Point du tout. Ce furent les
statues. Remontez à quatre-
vingt-dix ans en arrière, et vous verrez que le célèbre traité
de paix, conclu à Campo-Formio, ne fut, en fin de compte,
qu’une déclaration de guerre faite à l’Apollon du Belvé-
dère, au Laocoon, aux Gladiateurs, à l’Hercule Farnèse,
aux Chevaux de Venise. En suite de quoi tous ces mor-
ceaux de maîtres, emballés comme des colis, se virent
obligés de franchir les Alpes pour venir prendre place
dans les Musées de Paris. Mais vous savez le revers de la
médaille. A vingt ans delà, à l’époque des deux invasions,
presque toutes ces œuvres et de superbes tableaux durent
repasser les monts, et, pour le coup, Casimir Delavigne,
qui composait en ce moment sa première Messénienne,
plein d’une belle colère patriotiques, s’écria en vers : « Les
étrangers nous dépouillent ! — Eh ! mais, ripostait un
patriote italien, Ugo Foscolo, qui vivait encore; eh mais,
point du tout, mon jeune monsieur? Croyez bien que
c’est le petit brigand de Campo-Formio qui a commencé. »
:— Le petit brigand! L’auteur de Jacopo Ortis ne voulait
pas se servir d’un autre mot quand il parlait de Bonaparte.
Du roi des rois il faisait un voleur de profession. — Qu’en
dira la postérité ?

apoléon Ier, c’est l’homme
des temps modernes pour
lequel les sculpteurs ont
le plus travaillé. Mon
Dieu! c’est le demi-dieu
dont l’image a été le plus
outragée! Je ne parle pas
seulement ici des magni-
fiques ïambes d’Auguste
Barbier : — Allons, fon-
deur, allons, du charbon,
de la houille..., une impérissable satire; je veux et je dois
rappeler que, durant les dix premières années de la Res-
tauration, l’image du vaincu de Waterloo était proscrite
par une ordonnance royale. Quiconque était trouvé pos-
sesseur d’un buste de l’usurpateur était déféré aux tribu-
naux et condamné à l’égal des conspirateurs. Avant ce
temps-là, en 1814, lorsque les Cosaques, les Anglais et les
Prussiens campaient dans Paris, des amis du roi, à la tête
desquels se voyait Mathieu de Montmorency, avaient scié,
place Vendôme, le piédestal de la statue de ce soldat de
la Révolution ; un câble était enroulé autour de son cou
et ils s’étaient mis jusqu’à cinq cents pour faire tomber
l’idole. Nous n’ignorons pas que, quinze ans après, Louis-
Philippe fit remettre en la même place l’équivalent de la
statue; mais, un jour, sous Napoléon III, celle-ci, ayant
été regardée comme trop plébéienne, fut remplacée par
une autre où l’oncle était représenté en costume de César,
et cette autre, nous le savons aussi, devait, pendant les
saturnales de la Commune, être arrachée à son tour, et
cela, le jour où la Colonne serait déboulonnée par Gus-
tave Courbet. Bizarrerie ou justice du temps !

Est-ce que c’était l’art qui se vengeait ?

Winckelmann s’attristait toujours à l’aspect d’une
statue. « Qui sait ce qu’elle a eu à souffrir des hommes? »
 
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