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L'ART.
jours sur soi un cahier de papier et du crayon de mine.
Cela étant, il doit dessiner, promptement et légèrement, ce
qu'il voit d'extraordinaire, et pour en retenir les couleurs
il doit marquer les principaux endroits par des caractères
qui seront expliqués au bas du papier, etc., etc. »
Joseph Vernet employait une méthode analogue, mais
bien plus perfectionnée, dont un de ses amis, M. Pitra, lui
attribue l'invention dans une lettre adressée à Grimm
quelques jours après la mort du peintre. Voici comment
s'exprime l'auteur de cette lettre : « Un jour, Vernet
avait peint le ciel le plus pur, et ses reflets sur tous
les objets de son tableau lui avaient paru de la plus
grande vérité. Il revint le lendemain à la même place, le
ciel était sans nuage comme la veille, l'air aussi pur et son
tableau ne lui offrait pas cette vérité de ton et de lumière
qui l'avait rendu si heureux la veille; tous les objets de
son tableau lui offraient une teinte différente de celle qu'il
croyait avoir si bien saisie. C'est alors que, convaincu de
cette variété des couleurs de l'atmosphère si fugitive et si
dépendante de celle des vents, il imagina des tablettes
Une Famille de paysans.
Tableau inachevé de J. F. Millet.
qu'il portait continuellement sur lui et sur lesquelles il
peignait non seulement les teintes différentes de l'azur du
ciel, mais les tons et les accidents de lumière que la diffé-
rence de couleur du ciel reportait sur les objets 1..... »
En somme, ce que cherchaient de Piles, Vernet et
Millet, c'était un procédé propre à enregistrer, que l'on me
passe le mot, des effets très fugitifs, et c'était par amour
i. On trouvera de curieux détails sur le système de notation de
Joseph Vernet dans un article publié peu de temps après sa mort,
dans le Moniteur Universel. Les tablettes de Vernet portaient une
échelle de tons dont chacun était désigné par une lettre de l'alphabet
qui partout où elle était placée exprimait la teinte correspondante
sur l'échelle.
de la vérité, par sincérité comme nous dirions aujourd'hui,
que ces artistes se trouvaient amenés à la recherche des
modes de notation les plus rapides. Ces croquis faits en
quelques minutes, mais synthétisant en quelque sorte une
impression rapidement entrevue, nous ont valu les superbes
pastels de Millet, bien plus vrai* que s'ils eussent été
exécutés d'après nature.
D'ailleurs toutes les méthodes sont bonnes et ils sont
nombreux les chefs-d'œuvre qui ont été entièrement ou à
peu près entièrement peints devant la nature, mais une
pareille méthode n'allait guère au tempérament artis-
tique de Millet qui, d'après un renseignement donné par
L'ART.
jours sur soi un cahier de papier et du crayon de mine.
Cela étant, il doit dessiner, promptement et légèrement, ce
qu'il voit d'extraordinaire, et pour en retenir les couleurs
il doit marquer les principaux endroits par des caractères
qui seront expliqués au bas du papier, etc., etc. »
Joseph Vernet employait une méthode analogue, mais
bien plus perfectionnée, dont un de ses amis, M. Pitra, lui
attribue l'invention dans une lettre adressée à Grimm
quelques jours après la mort du peintre. Voici comment
s'exprime l'auteur de cette lettre : « Un jour, Vernet
avait peint le ciel le plus pur, et ses reflets sur tous
les objets de son tableau lui avaient paru de la plus
grande vérité. Il revint le lendemain à la même place, le
ciel était sans nuage comme la veille, l'air aussi pur et son
tableau ne lui offrait pas cette vérité de ton et de lumière
qui l'avait rendu si heureux la veille; tous les objets de
son tableau lui offraient une teinte différente de celle qu'il
croyait avoir si bien saisie. C'est alors que, convaincu de
cette variété des couleurs de l'atmosphère si fugitive et si
dépendante de celle des vents, il imagina des tablettes
Une Famille de paysans.
Tableau inachevé de J. F. Millet.
qu'il portait continuellement sur lui et sur lesquelles il
peignait non seulement les teintes différentes de l'azur du
ciel, mais les tons et les accidents de lumière que la diffé-
rence de couleur du ciel reportait sur les objets 1..... »
En somme, ce que cherchaient de Piles, Vernet et
Millet, c'était un procédé propre à enregistrer, que l'on me
passe le mot, des effets très fugitifs, et c'était par amour
i. On trouvera de curieux détails sur le système de notation de
Joseph Vernet dans un article publié peu de temps après sa mort,
dans le Moniteur Universel. Les tablettes de Vernet portaient une
échelle de tons dont chacun était désigné par une lettre de l'alphabet
qui partout où elle était placée exprimait la teinte correspondante
sur l'échelle.
de la vérité, par sincérité comme nous dirions aujourd'hui,
que ces artistes se trouvaient amenés à la recherche des
modes de notation les plus rapides. Ces croquis faits en
quelques minutes, mais synthétisant en quelque sorte une
impression rapidement entrevue, nous ont valu les superbes
pastels de Millet, bien plus vrai* que s'ils eussent été
exécutés d'après nature.
D'ailleurs toutes les méthodes sont bonnes et ils sont
nombreux les chefs-d'œuvre qui ont été entièrement ou à
peu près entièrement peints devant la nature, mais une
pareille méthode n'allait guère au tempérament artis-
tique de Millet qui, d'après un renseignement donné par