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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 1,1.1898/​1899

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No. 3 (Décembre 1898)
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La verrerie de Venise
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https://doi.org/10.11588/diglit.34201#0137

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L’ART DÉCORATIF <C^-

mesurer, forment tout leur bagage. Avec cela,
ils font tout, même les objets les plus com-
pliqués.
Le travail d’un vase ou de tout autre objet
se passe de la manière suivante. Le maestro
plonge la canne dans un pot placé dans le four,
et l’en retire avec une masse de verre tondu
adhérente à l’extrémité. Cette masse doit être
très juste en rapport avec la grandeur de l’objet
à produire; sinon ce dernier sera trop grand
ou trop petit. Le maestro la roule sur une
table, en faisant tourner la canne ; puis, souf-
flant doucement dans celle-ci, il doue un em-
bryon de forme à la masse. Il réchauffe
ensuite celle-ci dans le fourneau pendant quelques
instants. Le soufflage et le réchauffage
sont répétés en alternant, un plus ou moins
grand nombre de fois, chaque soufflage ay-
ant pour résultat une forme se rappro-
chant toujours davantage de la forme défi-
nitive. Tandis que l’artiste principal souffle ainsi
le corps du vase, un autre, son subordonné,
souffle le pied par le même procédé; tête et
pied sont ensuite soudés ensemble d’un tour
de main. Ceci n’est encore que la carcasse du
vase ; il reste à le décorer. Pour cela, le maestro
retire du four des filets de verre coloré, qu’il
étend avec précaution, mais rapidement, sur le
vase qui vient d’être retiré du four; suivant
les mouvements de ses mains, ce sont des filets,
des entrelacs, des feuilles, des fleurs, des ser-
pents . . . bref, tout ce qu’il veut, que l’artiste
modelle sur la surface du verre encore rouge.
Mais ce n’est là le travail que des objets les
plus simples : il en est qui réclament l’attention
de quatre artistes et une ou deux heures de
travail ininterrompu. Dans le même temps, les
portions de la pièce sont réchauffées trente à
quarante fois. Pendant ces réchauffages, elles
sont surveillées par un aide, le forcellante, qui
a charge de les faire tourner dans le four afin
qu’elles ne perdent pas leur forme. D’autres
aides ont pour mission de couper les filets de
verre coloré à longueur, etc. Enfin, la pièce
finie est refroidie, c’est-à-dire introduite dans
des parties du four de plus en plus froides.
Le refroidissement dure quinze à vingt-quatre
heures.
Que de difficultés dans ce travail, par suite
de l’obligation d’en faire chaque portion avec
une inexorable rapidité! On peut employer une
heure, deux, trois s’il le faut pour modeler un
détail quelconque en une matière plastique ;
mais le verre, lui, ne peut attendre. L’artiste
a quelques secondes pour exécuter sa concep-
tion. Heureux encore si l’un des mille accidents
inhérents à la matière ne met pas à néant
l’œuvre près de sa fin.

Les travaux dont je viens de donner une
idée ne sont pourtant que les plus simples de
tous, puisqu’il ne s’est agi, dans ce qui précède,
que des pièces de couleur unie. Le travail des
verres filigranés est autrement difficile, et ses
résultats bien plus aléatoires. Ces verres sont
d’un grand nombre de variétés; il y a le «ri-
torto» à bandes de differentes couleurs sur fond
uni; la «fiamma», où le jeu des couleurs fait
comme briller des flammes; le «reticello» où
les filets entrelacés forment une dentelle de verre;
le «festoncino», le «chalcedonio», etc. Toutes
ces espèces demandent un traitement différent
et plusieurs d’entre elles un travail préparatoire
de plusieurs jours. Pour quelques-unes, la réus-
site est extrêmement hasardeuse; 1’ «aventurina»,
par exemple, dont trois ou quatre maestri sont
seuls à posséder le secret, tire son nom de ce
que la moindre chose suffit à changer le verre
brillant qu’on veut obtenir en une masse terne,
après plusieurs jours de travail et souvent sans
que l’opérateur puisse deviner la cause du
malheur.
Il n’est pas possible de décrire ici, même
sommairement, les manipulations que nécessitent
ces variétés de verre. Mais quelques mots sur
la vie et les mœurs des verriers de Murano
intéresseront sans doute; je les emprunte à une
conférence faite à Londres par M. Giulio Salviati :
«A leur entrée, les artistes disposent chaque
jour d’un certain temps pour étudier, créer et
dessiner de nouvelles formes, méditer et ex-
périmenter de nouvelles couleurs. Naturelle-
ment, les uns sont plus, les autres moins habiles.
Mais tous travaillent ensemble dans la plus grande
harmonie, les plus forts aidant leurs camarades
à développer ou à perfectionner une idée nou-
velle, et l’intérêt, l’anxiété avec lesquels tous
attendent le moment où un vase de formes
ou de couleurs nouvelles sortira du four est
vraiment surprenant. Pas de traces de jalousies
personnelles; tous ont le succès également à
cœur, depuis le plus jeune enfant jusqu’au
plus vieux maestro. Chacun connaît parfaite-
ment la mesure de ses forces, et détermine
immédiatement sa part individuelle au travail
d’un objet nouveau. Ainsi, un objet de dimen-
sions inusitées est à l’instant entrepris par ceux
qui possèdent les poumons les plus forts; un
vase exceptionnellement fragile et délicat, par
les artistes connus pour avoir la main la plus
légère. le ne crois pas qu’il soit possible de
trouver ailleurs une si parfaite entente. Jamais
je n’ai surpris un mot aigre entre eux; tous
s’aident mutuellement, et sont plus heureux
au travail que pendant les vacances que l’exces-
sive chaleur les oblige à prendre en juillet et
août.»

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