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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 1,1.1898/​1899

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No. 4 (Janvier 1899)
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M. Félix Aubert
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https://doi.org/10.11588/diglit.34201#0192

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L’ART DÉCORATIF

propre de conserver un art près de se perdre
en le modernisant, déterminèrent M. Aubert à
tenter de faire renaitre leur industrie. Tâche
difficile ! car, pour ne parler que des moyens
de fabrication, il fallait renouveler les dessins
pour les mettre en rapport avec le goût moderne,
dresser de nouvelles ouvrières; il les fallait en
nombre suffisant pour que la production ne fût
pas insignifiante. Si le point de Chantilly se
fait plus vite que la Valenciennes, dont les
meilleures ouvrières font à peine quatre centi-
mètres par jour, et même trente-six centi-
mètres en un an pour certaines variétés ; si
le Calvados a le «point de raccroc», par lequel
les fragments travaillés séparément sont réunis
d’une manière imperceptible à l’œil pour formel-
les grandes pièces, en sorte qu’on peut mettre
un assez grand nombre de mains à un ouvrage
qui, autrement, n’admettrait pas plus de deux
ouvrières, le travail d’une pièce de Chantilly n’en
est pas moins fort long. L’écharpe offerte à
l’impératrice de Russie, dont nous parlions tout-
à-h heure, a pris 3000 journées d’ouvrières pour
trois mètres carrés.
Une autre difficulté, c’était de lutter contre
la mode, qui ne veut plus, pour les dentelles
de prix, que les vieilles pièces authentiques;
car la manie du vieux règne en ceci comme
dans le reste, et c’est à peine si les points mo-
dernes de Bruxelles et de Bruges, les seuls que
la machine a laissé subsister, trouvent grâce
devant elle. Il ne pouvait donc être question
de tenter de faire renaître l’ancienne dentelle
noire de Chantilly; il fallait une innovation.
M. Aubert la trouva. Il résolut de faire des
dentelles polychromes.
C’était une hardiesse sans précédents; mais
c’est ici que son art est apparu dans ce qu’il
a de plus exquis. Des nuances tendres, légères,
immatérielles à l’égal de cette vapeur tissée qu’est
la dentelle pouvaient seules rendre la polychromie
tolérable : M. Aubert en trouva d’une délica-
tesse incomparable. Aucune femme ne con-
temple ces éventails, ces garnitures de toilettes
de bal, sans que la convoitise brille dans ses
yeux — c’est la forme de l’admiration chez la
femme.
Les dentelles de M. Aubert sont faites de
fils de soie choisis, rendus très - résistants par
le mode de moulinage. Ces fils sont teints avec
le plus grand soin en une quinzaine de nuances
sur les indications de l’artiste. La gamme est
complétée par le fil d’or, qui joue un rôle im-
portant dans la bordure et les cordons.
Mais les nuances sont variées à 1 infini par
la combinaison, dans chaque feuille ou chaque
pétale, de deux, trois, quatre et jusqu’à six fils
de nuances différentes, ou l’introduction du fil

d’or parmi eux. De plus, en modifiant petit
à petit la composition des fils d’un grillé, la
nuance de la feuille ou de la pétale que forme
ce grillé se fonce, s’éclaircit, passe à une autre
au gré de l’artiste. A ces ressources déjà si
grandes, M. Aubert en adjoint d’un autre ordre
en variant le réseau non-seulement d’une pièce
à l’autre, mais dans la même pièce si son dessin
le comporte. Ainsi, dans telle pièce, le réseau
sera par places au point d’Alençon et au point
de Vitré; dans d’autres, il sera formé de barettes
alternant avec des grillés formant réseau, etc.
Il y a même des pièces où le réseau est de
trois sortes.
Au point de vue technique, l’invention de
ces dentelles est, comme on voit, un vrai tour
de force. L’auteur, s’emparant d’un seul coup
des procédés de toutes les anciennes sortes de
dentelles, les a fondus en un seul, en y ajou-
tant des ressources infinies tirées d’autres in-
dustries.
Expliqué, tout celà ferait supposer un aspect
beaucoup plus compliqué que celui des anciennes
dentelles; mais quand on le voit, c’est tout le
contraire. M. Aubert, en effet, par sa pratique
constante de tous les genres d’industries textiles
et son aptitude naturelle à se rendre maître
des procédés de chacune, a acquis une habileté
exceptionnelle à saisir le parti qu’on peut tirer
de chaque pratique et les limites dans lesquelles
elle peut être employée. Il sait plier avec une
incroyable facilité son dessin aux exigences de
chaque opération, et les facultés qu’offre chaque
opération aux convenances de son dessin. D’autre
part, esprit simplificateur et doué au plus haut
point des qualités de tact et de mesure, il rejette
d’instinct toute complication, toute confusion,
tout ce qui n’est pas à sa place, et tend en
tout à la clarté dans l’ordre. Le résultat est
qu’avec une variété de moyens infiniment plus
grande que les anciens, il produit un objet in-
finiment plus concis, donc plus immédiatement
compréhensible et plus frappant. L’œil saisit
l’ensemble et tous les détails d’une pièce de
sa dentelle aussitôt qu’il tombe sur elle. On 11’en
peut dire autant de beaucoup des anciennes
dentelles.
Les dessins sont pleins de grâce, et leur
genre tout ce qu’on peut rêver de plus séduisant
pour la femme — et sur la femme. Ceux des
éventails, qui se fabriquent déjà en nombre
appréciable, représentent les fleurs. Il y a les
roses, les œillets, les volubilis, les églantines,
les iris.toutes groupées avec tant de na¬
turel, que c’est à se demander comment c’est
si nouveau !
On est réduit, comme on voit, à répéter
sans cesse les mêmes mots pour qualifier les

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