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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 1,1.1898/​1899

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No. 5 (Février 1899)
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Jossot, Gustave Henri: La décoration caricaturale
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https://doi.org/10.11588/diglit.34201#0242

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L’ART DÉCORATIF

exclusivement à enchâsser dans un cadre doré
un morceau de toile peinte. Aussi la décoration
est-elle considérée comme un métier abandonné
à une tourbe d’ouvriers barbouilleurs qui copient
servilement des fleurs ou des bêtes et prodiguent
leur habilité d’exécution pour arriver à donner
l’illusion du relief. Voilà pourquoi, encore de
nos jours, il n’est pas rare que l’on voie s’épanouir
dans une salle à manger, par exemple, des multi-
tudes de chardons à ce point »bien faits « qu’on
en voudrait manger, ou que l’on voie se promener
paisiblement des lions et des tigres dans une
chambre à coucher.
Ils ne comprennent pas, ces insanes, que la
peinture décorative doit s’harmoniser non-seule-
ment avec les lieux qu’elle a pour mission de
«décorer», mais encore avec l’état d’esprit des
gens qui sont appelés à les fréquenter. Une
salle de billard, une salle à manger, un fumoir,
un café, une brasserie sont des endroits joyeux:
ne mettez pas de la mythologie sur leurs murs.
C’est de ce principe d’une harmonie nécessaire
que je me réclame pour instaurer la décoration
caricaturale, parce que la caricature se plie à
tous les sentiments, à tous les » états d’âme«,
à toutes les dispositions permanentes ou passa-
gères, avec une souplesse merveilleuse. Elle
traduit jusqu’à l’outrance l’enjouement aussi
bien que l’amertume, la noblesse d’une pensée
haute ou la trivialité d’un penchant terre-à-terre.
Nulle forme de l’art ne possède une gamme
aussi riche de nuances morales, qui lui permette,
tout en restant elle-même, de passer en un
instant aux extrémités les plus contraires ou
de juxtaposer, sans blesser le regard, les anti-
thèses les plus inattendues.
Avant toutes choses, que la décoration soit
linéaire, parce que l’abus des reliefs et des pro-
fondeurs dénature les proportions d’une muraille.
Un mur, une cloison, sont, par définition, des
surfaces planes qui doivent rester planes. Or,
si chacune de ces surfaces reçoit une décoration
de nature à en altérer la perspective, la salle
elle-même, qui n’est, en somme, que leur assem-
blage, en sera fâcheusement déformée. L’œil
sera douloureusement impressionné par des loin-

tains ou des trompe-l’œil qui semblent tantôt
porter au loin le mur que l’on sait proche,
tantôt rétrécir une étendue qui perd ainsi le
bénéfice de ses dimensions véritables. Qu’après
cela, la décoration puise, si bon lui semble, ses
éléments dans la nature, je n’y vois nul incon-
vénient, mais qu’elle s’en écarte le plus possible.
Plus le peintre s’efforcera de copier la nature,
plus il fera de la peinture «attrape-nigauds» qui
est l’antipode de la peinture décorative. Un
artiste belge, M. Van de Velde, l’a bien compris,
lui qui, non-seulement ne copie pas la nature,
mais la répudie complètement en un art fait
exclusivement de lignes. Un point d’interro-
gation, une clef de sol, ne sont-ce pas là des
motifs très-décoratifs, malgré qu’ils ne dérivent
de rien? Pourtant n’employer que des lignes,
c’est rejeter, de gaîté de cœur, l’expression et
le mouvement. J’utilise donc la flore, la faune
et même l’homme.
Contrairement aux prétendus peintres-décora-
teurs, je ne me contente pas de copier servile-
ment la figure humaine et de l’encadrer dans
des fioritures: je puise en elle mes éléments
décoratifs. Convaincu que la caricature peut
et doit prétendre à un rôle plus large que celui
qu’elle a tenu jusqu’à ce jour, je l’étends à la
décoration en alliant le grotesque à l’arabesque.
Les sentiments tels que la douleur, le rire, la
surprise, la colère, la frayeur etc. provoquent
des torsions, des convulsions, des déformations
qui me fournissent une infinie diversité de lignes.
Je veux styliser les figures humaines ou ani-
males en un grotesque monstrueux. Si l’on
m’objecte que l’œil peut se fatiguer de ces mon-
struosités, je réponds que je ne traite pas de la
même façon l’ornementation d’un fumoir où
l’on se repose et celle d’une salle de danse où
l’on s’agite; la premier endroit est intime, le
second est envahi par la cohue ; l’un sera décoré
familièrement mais avec sobriété, tandis que la
gaîté de l’autre ira jusqu’à la folie.
J’espère appuyer d’ici peu, par des œuvres,
la conception que ces notes brèves prétendent
à peine indiquer.
JOSSOT

Les dessins inédits intercalés dans le texte sont de M. MAURICE DENIS.


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