L'ART DECORATIF
pourtant rien de divin sur cette figuration
macabre. Le tombeau de Juies Stegg, par
M. Schnegg, procède, heureusement, d'une
autre inspiration. Dans la stèle fruste, por-
tant une inscription sommaire, s'encastre le
buste du défunt. M. Le Duc n'a pas conçu
avec autant de simplicité son monument à
O. de Penne, qu'il a illustré d'un cor, d'une
palette, de pinceaux, d'une cravache, de deux
chiens attristés. Pour en finir avec un sujet
auquel je ne saurais m'attarder davantage
sans manquer moi-même à la discrétion
athénienne, je cite la figure suavement éplo-
rée de M. Escoula et le ((grand deuil» de
M. de Saint-Marceaux, visage de femme
noble et pensif, dans le ruissellement du
crêpe, d'une distinction hautement intellec-
tuelle, digne du sculpteur qui retrouva pré-
cisément les pudeurs et le symbolisme déli-
cat de l'art grec dans son (( Génie gardant
le secret de la tombe».
Sous la coupole, dans un isolement
auguste, se lient le buste de a Vieux mineur »
de Constantin Meunier. C'est une face grave,
passive, aux muscles affaissés, aux yeux de
tristesse, aux lèvres scellées par la résigna-
tion. C'est un masque creusé de rides sans
nombre, grimoire farouche oh se lit l'his-
toire d'une existence de privations et de
peines, bien mieux de toute une classe
soriale, implacablement opprimée. Les lami-
neurs, les puddleurs, les marteleurs, les
herscheurs, mélancoliques cyclopes, que
Constantin Meunier nous a montrés au mi-
lieu du pays noir, accablés par un horri-
ble destin, les débardeurs, les portefaix, les
laboureurs et les faucheurs qu'il nous a fait
voir asservis désespérément à la glèbe, tous
les damnés de l'enfer moderne revivent en
cette œuvre puissante. Elle apparaît vénéra-
ble et symbolique. Elle personnifie la dou-
loureuse majesté du labeur des hommes.
Elle domine l'assemblée des tourments et
des maux. Car l'exemple du maître de Lou-
vain a fait surgir une génération de sculp-
teurs avides d'exprimer leur sympathie, leur
admiration, leur débordante pitié pour les
déshérités d'ici-bas. C'est ainsi que M. Fal-
ler s'attache à modeler des images du tra-
vail, un mineur, une femme du peuple, un
autre mineur victime du grisou; que M. Witt-
mann fixe, en figurines pittoresques, l'allure
des (( Miséreux » , de (( l'Ouvrier » , de
<<l'Homme des champs »; que M. Tarrit
évoque avec ses " Résignés » la détresse
des déménagements pauvres, que M. Louis-
Paul observe la (( Vieille glaneuse » et que
M. Halou rapproche, dans le marbre fruste,
les têtes mélancoliques de " Deux sœurs,
veuves de pécheurs bretons ». M. Halou
joint à ce double buste de petits plâtres
expressifs, montrant, en leur silhouette et
leurs mouvements précis, " la mère Camus »,
des paysannes allant vendre du beurre à la
ville ou cherchant du pissenlit. M. Berthoud
expose une tête de bretonne " Bigouden »,
jeune, rude et candide, à l'ossature appa-
rente, aux cheveux tirés sous la coiffe hié-
ratique. D'autres envois attestent encore
l'influence de Constantin Meunier: a l'Homme
à la chèvre » et le " Marchand de gui »
de M. Dufresne, " l'Ouvrier sans travail »
deM.Astié,« les Blés», haut-relief plâtre
de M. Toison, le " Besogneux » de M. Ca-
vaillon. Sans doute il n'y a pas là l'ampleur
tragique, la science profonde des créations
du maître; mais par ces œuvres s'accuse et
se continue un courant d'art robuste, géné-
reux, vraiment social, qui suscita, après l'é-
popée humanitaire du grand statuaire belge,
le (( Paysan » de Dalou, le (( Sculpteur »
de Camille Lefèvre, la "Frise du travail»
de Guillot, et le " Froid » de Roger-Bloche,
actuellement au musée du Luxembourg.
Le souci et l'amour du moderne, je l'ai
dit en commençant, règne au Salon de la
Société Nationale. Quand des artistes nous
content la vie des humbles avec des mots
apitoyés ou des accents de revendication
farouche, d'autres nous détaillent les bon-
heurs de la famille, les douceurs de l'inti-
mité, les attitudes, les gestes, les coquette-
ries de l'existence mondaine. Ils apportent à
cette tache les qualités d'esprits et de tempé-
raments divers, observation, sensibilité, iro-
nie, grâce spirituelle, souvent cordiale et
tendre. Voici d'abord les joies familiales.
Dans un bloc de marbre rose, M. Dampt a
taillé un buste d'enfant que caresse une
main longue, attentive, délicieusement ma-
ternelle. Le petit rit aux anges, les yeux
noyés, son doigt mignon contre sa bouche,
molle et candide corolle. Cette chose est
exquise de fraîcheur et de charme. On y
retrouve l'art réfléchi, sincère et délicat de
l'auteur du " Saint-Jean-Baptiste », de la
" Coquette », de tant d'autres purs chefs-
d'œuvre. Un sculpteur extrêmement varié
2 a o
pourtant rien de divin sur cette figuration
macabre. Le tombeau de Juies Stegg, par
M. Schnegg, procède, heureusement, d'une
autre inspiration. Dans la stèle fruste, por-
tant une inscription sommaire, s'encastre le
buste du défunt. M. Le Duc n'a pas conçu
avec autant de simplicité son monument à
O. de Penne, qu'il a illustré d'un cor, d'une
palette, de pinceaux, d'une cravache, de deux
chiens attristés. Pour en finir avec un sujet
auquel je ne saurais m'attarder davantage
sans manquer moi-même à la discrétion
athénienne, je cite la figure suavement éplo-
rée de M. Escoula et le ((grand deuil» de
M. de Saint-Marceaux, visage de femme
noble et pensif, dans le ruissellement du
crêpe, d'une distinction hautement intellec-
tuelle, digne du sculpteur qui retrouva pré-
cisément les pudeurs et le symbolisme déli-
cat de l'art grec dans son (( Génie gardant
le secret de la tombe».
Sous la coupole, dans un isolement
auguste, se lient le buste de a Vieux mineur »
de Constantin Meunier. C'est une face grave,
passive, aux muscles affaissés, aux yeux de
tristesse, aux lèvres scellées par la résigna-
tion. C'est un masque creusé de rides sans
nombre, grimoire farouche oh se lit l'his-
toire d'une existence de privations et de
peines, bien mieux de toute une classe
soriale, implacablement opprimée. Les lami-
neurs, les puddleurs, les marteleurs, les
herscheurs, mélancoliques cyclopes, que
Constantin Meunier nous a montrés au mi-
lieu du pays noir, accablés par un horri-
ble destin, les débardeurs, les portefaix, les
laboureurs et les faucheurs qu'il nous a fait
voir asservis désespérément à la glèbe, tous
les damnés de l'enfer moderne revivent en
cette œuvre puissante. Elle apparaît vénéra-
ble et symbolique. Elle personnifie la dou-
loureuse majesté du labeur des hommes.
Elle domine l'assemblée des tourments et
des maux. Car l'exemple du maître de Lou-
vain a fait surgir une génération de sculp-
teurs avides d'exprimer leur sympathie, leur
admiration, leur débordante pitié pour les
déshérités d'ici-bas. C'est ainsi que M. Fal-
ler s'attache à modeler des images du tra-
vail, un mineur, une femme du peuple, un
autre mineur victime du grisou; que M. Witt-
mann fixe, en figurines pittoresques, l'allure
des (( Miséreux » , de (( l'Ouvrier » , de
<<l'Homme des champs »; que M. Tarrit
évoque avec ses " Résignés » la détresse
des déménagements pauvres, que M. Louis-
Paul observe la (( Vieille glaneuse » et que
M. Halou rapproche, dans le marbre fruste,
les têtes mélancoliques de " Deux sœurs,
veuves de pécheurs bretons ». M. Halou
joint à ce double buste de petits plâtres
expressifs, montrant, en leur silhouette et
leurs mouvements précis, " la mère Camus »,
des paysannes allant vendre du beurre à la
ville ou cherchant du pissenlit. M. Berthoud
expose une tête de bretonne " Bigouden »,
jeune, rude et candide, à l'ossature appa-
rente, aux cheveux tirés sous la coiffe hié-
ratique. D'autres envois attestent encore
l'influence de Constantin Meunier: a l'Homme
à la chèvre » et le " Marchand de gui »
de M. Dufresne, " l'Ouvrier sans travail »
deM.Astié,« les Blés», haut-relief plâtre
de M. Toison, le " Besogneux » de M. Ca-
vaillon. Sans doute il n'y a pas là l'ampleur
tragique, la science profonde des créations
du maître; mais par ces œuvres s'accuse et
se continue un courant d'art robuste, géné-
reux, vraiment social, qui suscita, après l'é-
popée humanitaire du grand statuaire belge,
le (( Paysan » de Dalou, le (( Sculpteur »
de Camille Lefèvre, la "Frise du travail»
de Guillot, et le " Froid » de Roger-Bloche,
actuellement au musée du Luxembourg.
Le souci et l'amour du moderne, je l'ai
dit en commençant, règne au Salon de la
Société Nationale. Quand des artistes nous
content la vie des humbles avec des mots
apitoyés ou des accents de revendication
farouche, d'autres nous détaillent les bon-
heurs de la famille, les douceurs de l'inti-
mité, les attitudes, les gestes, les coquette-
ries de l'existence mondaine. Ils apportent à
cette tache les qualités d'esprits et de tempé-
raments divers, observation, sensibilité, iro-
nie, grâce spirituelle, souvent cordiale et
tendre. Voici d'abord les joies familiales.
Dans un bloc de marbre rose, M. Dampt a
taillé un buste d'enfant que caresse une
main longue, attentive, délicieusement ma-
ternelle. Le petit rit aux anges, les yeux
noyés, son doigt mignon contre sa bouche,
molle et candide corolle. Cette chose est
exquise de fraîcheur et de charme. On y
retrouve l'art réfléchi, sincère et délicat de
l'auteur du " Saint-Jean-Baptiste », de la
" Coquette », de tant d'autres purs chefs-
d'œuvre. Un sculpteur extrêmement varié
2 a o