NUMÉRO EXCEPTIONNEL
30 AVRIL 1830
L’ART FRANÇAIS
AU
SALON DE 1890
( Champs-Elysées)
HENNER
Hic gelidi fontes ! Hic mollia prata Lycori !
Ce beau vers virgilien chante toujours dans ma
mémoire devant les toiles de Henner, ou encore cet
autre vers admirable de Victor Hugo :
Chair de la femme, argile idéale, ô merveille !
La double caractéristique de son beau génie est,
en effet, dans cette adoration passionnée de la beauté
féminine et de la Nature, celle-ci n’étant qu’un décor
vivant à la Beauté. Nul 11’a connu, comme ce grand
artiste, l’harmonie mystérieuse du ciel, des eaux qui
le reflètent, des bois rouillés par l’automne, et de
ce
Corps féminin, qui tant est tendre,
Eolly, .souët et pretieulx !
Comme disait Villon encore. Il sait que la
Femme est Pâme des choses, comme elle est l’or-
gueil de tout ce qui existe, que rien n’est fait que
pour Elle et que, sans Elle
.tant d'objets ravissants
Bosquets fleuris et jardins et. fontaines
NUauraient plus rien qui ravissent nos sens !
Car ce sont les pensées des poètes qui fleurissent
toujours autour de la peinture d’Henner. Poète, lui-
même, il l’est dans la plus haute acception créatrice
du mot. Sa formule a l’immortalité des vers où
s’enferme la pensée. Elle en a la vaillance sommaire,
le côté définitif, l’héroïque vertu. Qu’en peut-on
dire comme peintre, sinon qu’il est un maître, un
maître isolé, comme les plus grands, ceux dont la
personnalité inaccessible décourage les disciples.
C’est certainement, dans ce siècle, le plus beau co-
loriste de la chair. Il lui donne cette unité de
ton que bien peu ont atteinte et qui affirme l’indi-
vidualité du modèle, le rendant ainsi vivant une
seconde fois. Dans la prestigieuse façon dont il
passe de l’ombre à la lumière, cette homogénéité
de teint est rigoureusement respectée. Et quelle
gamme admirable il parcourt, sans jamais un mo-
ment de défaillance, une incertitude, une faiblesse!
Il a le secret des tons d’ambre qui donnent de si
belles transparences à la peau, des ors fauves qui
font les chevelures pareilles à des ruissellements de
crinières, des matités liliales que soulève le souffle
invisible des poitrines.
Et des poses tour à tour allanguies et triom-
phantes de la femme, il a une intuition non moins
sûre, une divination pareille. Aucun, pas même le
Corrège dont on a tort de croire qu’il procède, n’a
étendu sur le velours fleuri des gazons, la paresse
de nymphes plus délicieusement languissantes, au
rêve bercé par le murmure lointain des fontaines.
Aucun n’a plus finement dressé, sur le fond mou-
vant d’une draperie sombre, l’orgueil d’une beauté
consciente d’elle-même, tendant sa gorge nue aux
désirs de mystérieux amants. Et l’audace venant à
la maturité impeccable de son talent, aucun 11’a fait
vibrer les chairs, sans en éteindre l’éclat, sous les
morsures de rouges sanglants ou sous la caresse
violente de bleus pris à l’azur du ciel italien.
Ceux, qui lui reprocheraient volontiers de se
trop ressembler à lui-même me font l’effet de gens
qui se lasseraient de voir le pêcher ne produire que
30 AVRIL 1830
L’ART FRANÇAIS
AU
SALON DE 1890
( Champs-Elysées)
HENNER
Hic gelidi fontes ! Hic mollia prata Lycori !
Ce beau vers virgilien chante toujours dans ma
mémoire devant les toiles de Henner, ou encore cet
autre vers admirable de Victor Hugo :
Chair de la femme, argile idéale, ô merveille !
La double caractéristique de son beau génie est,
en effet, dans cette adoration passionnée de la beauté
féminine et de la Nature, celle-ci n’étant qu’un décor
vivant à la Beauté. Nul 11’a connu, comme ce grand
artiste, l’harmonie mystérieuse du ciel, des eaux qui
le reflètent, des bois rouillés par l’automne, et de
ce
Corps féminin, qui tant est tendre,
Eolly, .souët et pretieulx !
Comme disait Villon encore. Il sait que la
Femme est Pâme des choses, comme elle est l’or-
gueil de tout ce qui existe, que rien n’est fait que
pour Elle et que, sans Elle
.tant d'objets ravissants
Bosquets fleuris et jardins et. fontaines
NUauraient plus rien qui ravissent nos sens !
Car ce sont les pensées des poètes qui fleurissent
toujours autour de la peinture d’Henner. Poète, lui-
même, il l’est dans la plus haute acception créatrice
du mot. Sa formule a l’immortalité des vers où
s’enferme la pensée. Elle en a la vaillance sommaire,
le côté définitif, l’héroïque vertu. Qu’en peut-on
dire comme peintre, sinon qu’il est un maître, un
maître isolé, comme les plus grands, ceux dont la
personnalité inaccessible décourage les disciples.
C’est certainement, dans ce siècle, le plus beau co-
loriste de la chair. Il lui donne cette unité de
ton que bien peu ont atteinte et qui affirme l’indi-
vidualité du modèle, le rendant ainsi vivant une
seconde fois. Dans la prestigieuse façon dont il
passe de l’ombre à la lumière, cette homogénéité
de teint est rigoureusement respectée. Et quelle
gamme admirable il parcourt, sans jamais un mo-
ment de défaillance, une incertitude, une faiblesse!
Il a le secret des tons d’ambre qui donnent de si
belles transparences à la peau, des ors fauves qui
font les chevelures pareilles à des ruissellements de
crinières, des matités liliales que soulève le souffle
invisible des poitrines.
Et des poses tour à tour allanguies et triom-
phantes de la femme, il a une intuition non moins
sûre, une divination pareille. Aucun, pas même le
Corrège dont on a tort de croire qu’il procède, n’a
étendu sur le velours fleuri des gazons, la paresse
de nymphes plus délicieusement languissantes, au
rêve bercé par le murmure lointain des fontaines.
Aucun n’a plus finement dressé, sur le fond mou-
vant d’une draperie sombre, l’orgueil d’une beauté
consciente d’elle-même, tendant sa gorge nue aux
désirs de mystérieux amants. Et l’audace venant à
la maturité impeccable de son talent, aucun 11’a fait
vibrer les chairs, sans en éteindre l’éclat, sous les
morsures de rouges sanglants ou sous la caresse
violente de bleus pris à l’azur du ciel italien.
Ceux, qui lui reprocheraient volontiers de se
trop ressembler à lui-même me font l’effet de gens
qui se lasseraient de voir le pêcher ne produire que