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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
Peu de mois après (janvier 1591), Henri avait tenté d’introduire une troupe de soldats dans la ville, en les habillant en paysans
et leur faisant conduire quatre-vingts mulets chargés de farine; mais lorsqu’ils arrivèrent à la porte Saint-Honoré, le tocsin se
fit entendre, et les fariniers crurent prudent de ne pas franchir la herse.
La ruse avait donc été aussi impuissante que la force. Un seul parti restait à Henri IV : c’était de déjouer par sa conversion
les intrigues espagnoles, les espérances des Seize et l’ambition du duc de Mayenne. Le moment d’ailleurs pressait. Après
d’interminables lenteurs, le duc qui n’osait prétendre ouvertement à la couronne et qui se souciait peu d’abdiquer le rôle
tout-puissant qu’il tenait des circonstances, s’était vu contraint par Philippe II et par le peuple, de convoquer les États généraux,
et, dans peu de jours peut-être, la Ligue, c’est-à-dire la grande majorité de la France, allait avoir un roi.
Henri le sentait bien. Aussi n’hésita-t-il plus à donner des espérances. De leur côté, les Etats, tout en restant énergiquement
catholiques, ne se montrèrent pas moins énergiquement français. Tous les efforts de Philippe II pour faire reconnaître à priori
le droit de sa fdle et admettre le mariage de la jeune princesse avec un archiduc, échouèrent devant la résolution clairement
énoncée de ne rendre soumission et obéissance à un prince qui ne serait pas de la nation, Henri provoqua'alors des conférences;
les États les accueillirent. Ces conférences eurent lieu à Surcsne; elles n’amenèrent aucun résultat direct, mais rendirent sensibles
pour tous, d’un côté, les dangers d’une déviation à la loi salique; de l’autre, l’impossibilité pour un hérétique d’être reconnu
défenseur et gardien des intérêts d’une nation dévouée avant tout à sa foi. Henri IV n’hésita plus; il se fit instruire et abjura. La
cérémonie de sa réconciliation avecl’Église catholique eut lieu à Saint-Denis, le dimanche de la Madeleine, 22 juillet 1593, avec
une grande pompe « et grande réjouissance de tous les assistants et grands cris de vive le roy ! Même s’y trouvèrent plusieurs
habitants de>Paris, ajoute le journal d’un parlementaire, faisant et criant comme les autres. »
A Paris, toutefois, la joie n’était pas complète. Cette conversion tardive semblait trop intéressée pour être sincère. « L’hérésie
est hypocrite, disait l’archevêque de Lyon lors des conférences de Suresne; elle dissimule quelque temps pour arriver à son but.
Nous avons l’exemple d’un roy et d’une royne d’Angleterre, Henri VIII et Élisabeth. Le meilleur conseil et expédient à suivre
est de laisser le jugement de cette conversion au pape, véritable soleil de la foy, qui saura bien confondre le mensonge, s’il
y en a. » k ’ * . .
Or, le légat du pape protestait contre l’absolution donnée à un hérétique relaps sans l’autorisation de l’autorité souveraine
apostolique. Mais l’anarchie était dans la Ligue: d’un côté, les États généraux hésitaient toujours sur la grande question de la
royauté; de l’autre, le Parlement sortait tout-à-coup de sa torpeur pour déclarer nul et non avenu tout ce qui se ferait contre la
loi salique. « Hommes, choisissez un homme! s’écriait Édouard Molé ; choisissez un roy et non une royne (on parlait alors plus
que jamais de l’infante), et sauvez par vostre courage la France affectée depuis si longtemps de tant de maladies! »
Ces divisions intestines et les hardiesses toutes nouvelles du parti politique préparaient sans doute la voie à Henri IV ; mais les
fervents catholiques continuaient de lui barrer le chemin. Le duc de Mayenne, de son côté, s’éloignait de la riche bourgeoisie à
mesure qu’elle se rapprochait de Henri IV, et donnait au parti populaire l’autorité, sinon de son talent, du moins de sa position.
Dans cette lutte, et l’on pourrait presque dire, dans cet équilibre des partis, il ne fallait qu’une circonstance et qu’un homme
pour décider de la victoire. Henri IV crut avoir trouvé cet homme dans le comte de Bclin, gouverneur de Paris; mais le duc de
Mayenne se défie de la trahison, et remplace subitement Belin par le comte de Brissac qu’il venait tout récemment d’élever à
la dignité de maréchal. Brissac rêvait alors, si nous en croyons Sully, festablissement en France d’une république à l’instar de
celle de Rome dont il lisoit souvent l’histoire. Mais ayant bientôt reconnu que tous les esprits estaient aliénéz d'un tel dessein et
plutôt disposés à se rejeter sur l’autorité royale, il prit la résolution de quitter le chemin plein d’épines dans lequel il voulait
s’engager, pour prendre le dessein qu’avoit eu le sieur de Belin, où il se voyait des roses et des utilitéz toutes apprestées.
Brissac entra donc en négociation avec le brave Saint-Luc, son beau-frère, l’un des fidèles de Henri IV. La duchesse de
Nemours, mère du duc de Mayenne, en fut avertie; mais le duc s’obstina à repousser tout soupçon. Les Seize, de leur côté,
eurent avis d’une intelligence et remuement qui se pratiquait dans la ville, à leur ruyne et préjudice, et ils vinrent en conférer
avec Brissac. « J’en ai eu advis avant vous, répondit gravement le maréchal; mais tenez-vous seulement renfermés de manière
à n’esveiller ceux dont je veux me saisir, et demain matin vous verrez beau mesnage. »
Le lendemain matin, 22 mars 1594, Henri IV était maître de Paris. « Il faut rendre à César ce qui appartient à César, » dit
Brissac en ouvrant au roi la Porte-Neuve. — « Il faut le rendre et non pas le vendre, » reprit vivement le prévôt des marchands
Lhuillier, ou peut-être même Henri IV, si nous en croyons L’Estoile. Sully porte à 1,695,400 livres la somme qui fut remise à
Brissac pour cette reddition.
L’armée.royale entra à la fois par la Porte-Neuve, qui était sur le bord de la Seine, la porte Saint-Honoré et la porte
Saint-Denis. Il était cinq heures du matin. Vingt-cinq à trente lansquenets qui se trouvaient près de Saint-Germain-l’Auxerrois,
voulurent résister; mais ils furent incontinent taillés en pièces ou jetés en l’eau. Le reste de la garnison et le peuple n’apprirent
l’occupation de la ville que lorsque déjà elle était complète. La joie fut vive chez les politiques; mais si elle se fit jour chez le
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
Peu de mois après (janvier 1591), Henri avait tenté d’introduire une troupe de soldats dans la ville, en les habillant en paysans
et leur faisant conduire quatre-vingts mulets chargés de farine; mais lorsqu’ils arrivèrent à la porte Saint-Honoré, le tocsin se
fit entendre, et les fariniers crurent prudent de ne pas franchir la herse.
La ruse avait donc été aussi impuissante que la force. Un seul parti restait à Henri IV : c’était de déjouer par sa conversion
les intrigues espagnoles, les espérances des Seize et l’ambition du duc de Mayenne. Le moment d’ailleurs pressait. Après
d’interminables lenteurs, le duc qui n’osait prétendre ouvertement à la couronne et qui se souciait peu d’abdiquer le rôle
tout-puissant qu’il tenait des circonstances, s’était vu contraint par Philippe II et par le peuple, de convoquer les États généraux,
et, dans peu de jours peut-être, la Ligue, c’est-à-dire la grande majorité de la France, allait avoir un roi.
Henri le sentait bien. Aussi n’hésita-t-il plus à donner des espérances. De leur côté, les Etats, tout en restant énergiquement
catholiques, ne se montrèrent pas moins énergiquement français. Tous les efforts de Philippe II pour faire reconnaître à priori
le droit de sa fdle et admettre le mariage de la jeune princesse avec un archiduc, échouèrent devant la résolution clairement
énoncée de ne rendre soumission et obéissance à un prince qui ne serait pas de la nation, Henri provoqua'alors des conférences;
les États les accueillirent. Ces conférences eurent lieu à Surcsne; elles n’amenèrent aucun résultat direct, mais rendirent sensibles
pour tous, d’un côté, les dangers d’une déviation à la loi salique; de l’autre, l’impossibilité pour un hérétique d’être reconnu
défenseur et gardien des intérêts d’une nation dévouée avant tout à sa foi. Henri IV n’hésita plus; il se fit instruire et abjura. La
cérémonie de sa réconciliation avecl’Église catholique eut lieu à Saint-Denis, le dimanche de la Madeleine, 22 juillet 1593, avec
une grande pompe « et grande réjouissance de tous les assistants et grands cris de vive le roy ! Même s’y trouvèrent plusieurs
habitants de>Paris, ajoute le journal d’un parlementaire, faisant et criant comme les autres. »
A Paris, toutefois, la joie n’était pas complète. Cette conversion tardive semblait trop intéressée pour être sincère. « L’hérésie
est hypocrite, disait l’archevêque de Lyon lors des conférences de Suresne; elle dissimule quelque temps pour arriver à son but.
Nous avons l’exemple d’un roy et d’une royne d’Angleterre, Henri VIII et Élisabeth. Le meilleur conseil et expédient à suivre
est de laisser le jugement de cette conversion au pape, véritable soleil de la foy, qui saura bien confondre le mensonge, s’il
y en a. » k ’ * . .
Or, le légat du pape protestait contre l’absolution donnée à un hérétique relaps sans l’autorisation de l’autorité souveraine
apostolique. Mais l’anarchie était dans la Ligue: d’un côté, les États généraux hésitaient toujours sur la grande question de la
royauté; de l’autre, le Parlement sortait tout-à-coup de sa torpeur pour déclarer nul et non avenu tout ce qui se ferait contre la
loi salique. « Hommes, choisissez un homme! s’écriait Édouard Molé ; choisissez un roy et non une royne (on parlait alors plus
que jamais de l’infante), et sauvez par vostre courage la France affectée depuis si longtemps de tant de maladies! »
Ces divisions intestines et les hardiesses toutes nouvelles du parti politique préparaient sans doute la voie à Henri IV ; mais les
fervents catholiques continuaient de lui barrer le chemin. Le duc de Mayenne, de son côté, s’éloignait de la riche bourgeoisie à
mesure qu’elle se rapprochait de Henri IV, et donnait au parti populaire l’autorité, sinon de son talent, du moins de sa position.
Dans cette lutte, et l’on pourrait presque dire, dans cet équilibre des partis, il ne fallait qu’une circonstance et qu’un homme
pour décider de la victoire. Henri IV crut avoir trouvé cet homme dans le comte de Bclin, gouverneur de Paris; mais le duc de
Mayenne se défie de la trahison, et remplace subitement Belin par le comte de Brissac qu’il venait tout récemment d’élever à
la dignité de maréchal. Brissac rêvait alors, si nous en croyons Sully, festablissement en France d’une république à l’instar de
celle de Rome dont il lisoit souvent l’histoire. Mais ayant bientôt reconnu que tous les esprits estaient aliénéz d'un tel dessein et
plutôt disposés à se rejeter sur l’autorité royale, il prit la résolution de quitter le chemin plein d’épines dans lequel il voulait
s’engager, pour prendre le dessein qu’avoit eu le sieur de Belin, où il se voyait des roses et des utilitéz toutes apprestées.
Brissac entra donc en négociation avec le brave Saint-Luc, son beau-frère, l’un des fidèles de Henri IV. La duchesse de
Nemours, mère du duc de Mayenne, en fut avertie; mais le duc s’obstina à repousser tout soupçon. Les Seize, de leur côté,
eurent avis d’une intelligence et remuement qui se pratiquait dans la ville, à leur ruyne et préjudice, et ils vinrent en conférer
avec Brissac. « J’en ai eu advis avant vous, répondit gravement le maréchal; mais tenez-vous seulement renfermés de manière
à n’esveiller ceux dont je veux me saisir, et demain matin vous verrez beau mesnage. »
Le lendemain matin, 22 mars 1594, Henri IV était maître de Paris. « Il faut rendre à César ce qui appartient à César, » dit
Brissac en ouvrant au roi la Porte-Neuve. — « Il faut le rendre et non pas le vendre, » reprit vivement le prévôt des marchands
Lhuillier, ou peut-être même Henri IV, si nous en croyons L’Estoile. Sully porte à 1,695,400 livres la somme qui fut remise à
Brissac pour cette reddition.
L’armée.royale entra à la fois par la Porte-Neuve, qui était sur le bord de la Seine, la porte Saint-Honoré et la porte
Saint-Denis. Il était cinq heures du matin. Vingt-cinq à trente lansquenets qui se trouvaient près de Saint-Germain-l’Auxerrois,
voulurent résister; mais ils furent incontinent taillés en pièces ou jetés en l’eau. Le reste de la garnison et le peuple n’apprirent
l’occupation de la ville que lorsque déjà elle était complète. La joie fut vive chez les politiques; mais si elle se fit jour chez le