CIV MÉMOIRES SUR LA VIE
fond; supprimer certains faits, que de ne les éta-
blir que sur des conjectures ; me dispenser de re-
monter aux causes, toutes les fois que mes recher-
ches , comme celles des plus habiles critiques, ne
servaient qu’à les obscurcir; mettre le lecteur à
portée de faire des réflexions , que d’en hasarder
moi-méme. J’ai souvent admiré les philosophes
qui, d’après leurs lumières particulières, nous ont
donné des observations sur le génie, le caractère
et la politique des Grecs et des Romains : il faut
que chaque auteur suive son plan ; il n’entrait pas
dans le mien d’envoyer un voyageur chez les Grecs
pour leur porter mes pensées, mais pour m’appor-
ter les leurs, autant qu’il lui serait possible. Au
reste, si je me suis trompé en quelques points, si
mon ouvrage n’est pas sans défauts, je n’en rougi-
rai point ; on ne peut exiger de moi plus d’intelli-
gence que ne m’en a donné la nature : je regrette
seulement, après y avoir employé plus de trente
ans , de ne l’avoir pas commencé dix ans plus tôt,
et de n’avoir pu le finir dix ans plus tard.
Lorsqu’il fut achevé , j’hésitai long-temps sur sa
destination. Je l’aurais laissé manuscrit, si, vu le
nombre des citations, des notes et des tables, je ne
me fusse convaincu que l’auteur seul pouvait en
diriger l’impression. Elle fut terminée au mois de
décembre 1788. Quelques amis me conseillaient de
la tenir en réserve jusqu’à la fin des états-généraux
fond; supprimer certains faits, que de ne les éta-
blir que sur des conjectures ; me dispenser de re-
monter aux causes, toutes les fois que mes recher-
ches , comme celles des plus habiles critiques, ne
servaient qu’à les obscurcir; mettre le lecteur à
portée de faire des réflexions , que d’en hasarder
moi-méme. J’ai souvent admiré les philosophes
qui, d’après leurs lumières particulières, nous ont
donné des observations sur le génie, le caractère
et la politique des Grecs et des Romains : il faut
que chaque auteur suive son plan ; il n’entrait pas
dans le mien d’envoyer un voyageur chez les Grecs
pour leur porter mes pensées, mais pour m’appor-
ter les leurs, autant qu’il lui serait possible. Au
reste, si je me suis trompé en quelques points, si
mon ouvrage n’est pas sans défauts, je n’en rougi-
rai point ; on ne peut exiger de moi plus d’intelli-
gence que ne m’en a donné la nature : je regrette
seulement, après y avoir employé plus de trente
ans , de ne l’avoir pas commencé dix ans plus tôt,
et de n’avoir pu le finir dix ans plus tard.
Lorsqu’il fut achevé , j’hésitai long-temps sur sa
destination. Je l’aurais laissé manuscrit, si, vu le
nombre des citations, des notes et des tables, je ne
me fusse convaincu que l’auteur seul pouvait en
diriger l’impression. Elle fut terminée au mois de
décembre 1788. Quelques amis me conseillaient de
la tenir en réserve jusqu’à la fin des états-généraux