Bulletin du Musée National de Varsovie (21.1980)

Irena Jakimowicz

L'ABIME, L'ESPACE ET LE TEMPS DANS L'OEUVRE
DE KONSTANTY BRANDEL

,,On peut peindre comme je vois. Les objets sont alors composes dans tel ou tel rapport entre
eux, comme on le ferait mathematiquement. Mais on peut aussi peindre comme je sens-disait un
jour Brandel.- Je ne suis pas tant influence par les objets rćels pour les presenter en accord avec
la realite. Ils agissent sur moi indirectement. [...] Je suis une plaque photographiąue, mais
pas une plaąue materielle, qui reagit selon des proprietes ou des lois definies. [...] Le plus impor-
tant —■ 1'independance, le dćtachement de la realite. La musique de la peinture, le sentiment.
»Moi« je suis le maitre, »moi« je vois, »moi« je cree. Le tableau doit etre en mouvement. [...] Ce
n'est pas le plan qui m'interesse, mais 1'espace"1.

Cette annee, le 10 avril, est le centenaire du jour de la naissance de Konstanty Brandel, cet
artiste singulier, qui dirigea son grand talent plastique et son procede de penetration intellectuelle
du monde a travers des voies si individuelles qu'on ne pourra pas se referer avec certitude a aucun
des courants artistiques de son temps, comme il en exista tant au XXeme siecle. Le fait que la
creation de Fartiste ait echappe aux schemas de classification et que lui-meme soit parti tót,
des 1903, de son pays, furent sans doute les causes de la presence toujours insuffisante de l'oeuvre
de Brandel en Pologne. Connu et estime des specialistes, bien qu'il ne soit pas toujours pleinement
compris, quelquefois interprete superficiellement et meme de facon contradictoire, pendant
longtemps Brandel ne gagna pas de plus large public.

II y a huit ans, la plupart de Foeuvre de Brandel s'est enfin retrouvee en Pologne, permettant
sa popularisation et — surtout, des recherches plus approfondies2. L'analyse de sa methode
creative s'est averee possible; le cherchcur eut en main des arguments, ccrtains au moins n'etant
pas ambivalents, permettant de dissiper plus d'une legendę, comme celle pretendant que Brandel
ne se serait pas servi d'etudes preparatoires pour ses oeuvres graphiques et picturales. La revćla-

1. W. Leitgeber, Rozmotvy s Brandtem (Entretiens avcc Brandel), Muzeum Narodowe w Warszawie, Warszawa, 1979,
p 29, 30.

2. Konstanty Brandel (ne en 1880 a Varsovie, mort en 1970 a Paris), qui passa la plus grandę partie dc salongue vic laborieuse
en France, se sentit toujours Polonais, vint plusierus fois en Polognc, executa plusicurs travaux sur un theme polonais,
signant plus d'une fois egalement ses autres oeuvres: „Brandel z Warszawy" (Brandel de Varsovie) ou simplenient: „War-
szawa" (Yarsovie). Peu de temps avanl, sa mort, il confia a son neveu et heriticr, Witold Leitgeber, qu'ii dćsirait que son
oeuvrc rcviemie en Pologne, comme un cadeau offert par un fils toujours fidele ii sa merę, pour qułelle puisse lii-bas servir
aux nouvelles generations. L'heritier exeeuta cette volonte orale, et en moin de deux ans apres la mort de Fartiste, en
1972, il ceda aux musees polonais plus de 3000 travaux de Brandel. Lc Musee National de Yarsovie fut le plus genereuse-
ment gratifie, avec plus de 2500 pieces — peintures a 1'huile, gouaclies, pastels, aquarclles, dessins, estampes (y compris
les epreuves d'6tat), bois et plaques de gravures, carnets d'esquisscs et diffćrents materiaux documentaires. Dans sa
decision, Witold Leitgeber fut conduit par le fait que le Musee avait acquis les premiers travaux de Brandel, le plus tót,
car deja en 1918, il ne cessait de s'interesser a sa crśation, ce qui se reveia non seulement dans des achats systematiques,
mais encore du vivant.de Brandel, en 1958, se confirma dans 1'organisation, la premierę dans le pays,d'unc exposition
individuelle au caractere retrospectif. Pourtant ce don magnifique, grace auquel on put organiser en 1977 une exposition
monograpliicnie vraimcnt scientifique, permit d'elargir enfin lc chemp d'observation, et aussi — ce qui est essentiel —
— de decouvrir un processus de creation.

25