Bulletin du Musée National de Varsovie (26.1985)

Accroupi de face, il tire de sa gueule large ouverte un serpent, comme le démon d’Autun15
(fig. 8). C’est une personnification d’un des Sept Péchés Capitaux (Masculins et non Féminins),
notamment l’Envie (Invidia)16.

Invidere signifiait désirer et voir d’un mauvais oeil17. L. Réau écrit : „L’Envie, de la bouche de
laquelle sort un serpent dont le venin se retourne contre elle...”18. Larousse cite le vers de
J.B. Rousseau: „Là, de serpents nourrie et dévorée, veille l’Envie, honteuse et retirée...”. Parfois
l’Envie est accompagnée d’un chien.

Tournant le dos à l’Envie, se tord un autre démon, dont les jambes et la tête sont brisées (on
voit de face le nombril). Devant lui se courbe un troisième démon, partiellement brisé, la main
tendue. Ce sont sans doute „les cérémonies démoniaques de dérision, de violence et de souillure
par les foules d’abominables démons”, comme disait St Augustin19. Clairement Forant est soumis
à la tentation par des démons incarnant les Péchés Capitaux. L’Arbre de la Science couvert de
pommes et enserré par le serpent, à droite, était peut-être lié à la figure d’Eve, complétant la
tentation (comme sur le chapiteau du pilier 4 de la nef Nord à Vézelay)20 ou — si les liens entre
les représentations latérales et centrale étaient artificiels —• pouvait se trouver en ce lieu une figu-
re d’Ange chassant du Paradis21. Il est encore resté une faible trace d’une aile, qui pouvait appar-
tenir à un démon ailé dont la figure est entièrement disparue. La tentation par la femme est
représentée sur un chapiteau de St Benoit à Vézelay22; sur un chapiteau de St Benoit-sur-Loire
est représentée „la femme que le Saint connût à Rome”23. Comme a remarqué Réau, ce n’est
pas toujours Luxuria, mais parfois la femme désigne Superbia24.

St Augustin avait écrit: „Les démons les plus impurs sont les dieux païens, ils envient aux
âmes humaines la conversion au vrai Dieu. L’homme peut se libérer de leur tyrannie horrible
et hautement impie en croyant en Celui qui pour sa rédemption donna un exemple de si grande
humilité qu’était grand l’orgueil qui entraîna la chute des démons...”25.

Le sculpteur témoigne d’une habilité à composer sur une surface réduite des éléments rendus
de manière plutôt sommaire. Le relief relativement plat épouse les contours souples de la masse.
Le type physionomique de l’orant au visage allongé ovale, les yeux bombés encadrés des pau-
pières supérieures et inférieures, le mystérieux sourire spécifique, ainsi que le rendu grotesque
des démons témoignent de son appartenance aux meilleurs traditions de l’art roman. Le chapi-
teau trahit une appartenance au type démoniaque bourguignon.

La composition dense et le rendu délicat des détails sur la surface du chapiteau prouvent,
suivant nous, son exécution dans le Nord de la France, semble-t-il vers la moitié du XIIe (fig. 9)

15. Chapiteau Invidia — Autun, Cathédrale, rcpr. A. Kingsley Porter, op. cit., vol. II. fig. 67.

16. L’autre exemple de l’Envie est représenté dans la décoration de St Gilles.

17. E. Mâle , op. cit., Le Miroir moral, p. 108.

18. L. Réau, Iconographie de Vart chrétien, Introduction Generale, I, Paris, 1955, p. 184

19. St Augustin, La Cité de Dieu, livres XXI—XXII.

20. Repr. dans Vézelay, op. cit., fig. 87.

21. Carte Postale N.D. Piot 178 : Chapiteaux de la Porte laterale du Nartex.

22. Chapiteau de St Benoit à Vézelay (second pilier du rez-de-chaussée de la Nef Principale), repr. Mâle, op. cit., fig. 161,
Vézelay, op. cit., fig. 75.

23. Chapiteau de St Benoit sur Loire, cf. L. Réau, Iconographie des Saints, op. cit.. III, p. 200;

24. Pour la tentation cf. Saint-Benoit-sur-Loire, éd. Zodiaque 1945, p. 15,

25. St Augustin, La Cité de Dieu, livres XXXII—XXXIII.

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