INTRODUCTION.
UTILITÉ DE L'ANATOMIE.
Depuis que la médecine, éclairée par le perfectionnement
des méthodes scientifiques, a substitué à l'esprit de système
l'observation rigoureuse de la nature, on sent plus particu-
lièrement le besoin d'appuyer l'étude des sciences médicales
sur une exacte connaissance de l'anatomie, la plus utile de
ces sciences, celle qui est le fondement de l'art de guérir.
Qui ne sait que les progrès de l'anatomie ont toujours
amené ceux de la médecine et de la chirurgie? Telle est son
importance que, parmi les médecins et les chirurgiens célè-
bres dans l'histoire de l'art, ceux-là seuls ont laissé un nom
durable, dont les travaux et les découvertes avaient pour base
une parfaite connaissance de l'organisation du corps humain.
Sans l'anatomie, la physiologie n'est qu'un tissu de fables
plus ou moins ingénieuses, la chirurgie est sans guide , et la
médecine est réduite à un aveugle empirisme.
Vingt siècles s'étaient écoulés depuis Aristote etHérophile
jusqu'à Vésale. Comment se fait-il que, dans ce long espace
de temps , l'art de guérir, d'abord si brillant chez les Grecs ,
au lieu de continuer à prospérer, n'ait plus fait que s'étein-
dre? C'est que dépourvus, pour l'étude de l'anatomie, des
ressources qu'avaient eues les médecins grecs et alexandrins,
les Arabes et les mires et physiciens du moyen âge, loin de
perfectionner la science, n'avaient pu qu'obscurcir de leurs
préjugés les lumières léguées parles anciens. Sans doute l'i-
gnorance de l'anatomie n'a pas été la seule cause de cette dé-
cadence, mais elle en est la principale. A peine Mondini
a-t-il disséqué quelques cadavres que déjà Guy de Cbauliac
donne à la chirurgie une impulsion nouvelle. Après un siècle
\ ésale, Fallope, Eustacbe, etc., créent l'anatomie tout en-
tière, et bientôt on voit surgir des cbirurgiens tels que
Franco, Ambroise Paré, Fabrice de Hilden; des médecins
tels que Fernel, Forestus, Baillou.
Mais la médecine et la chirurgie ne profiteront pas seules de
ce grand mouvement : la physiologie, jusqu'alors vain amas
de subtilités scolastiques, va désormais revêtir une forme
plvis rationnelle. Toutes les découvertes dans cette science
auront l'anatomie pour base, tous les inventeurs seront ana-
tomistes : c'est Servet découvrant la circulation pulmonaire ;
et, soixante ans après lui, Harvey démontrant la circulation
générale; puis Aselli, Rudbeek et Pecquet créant cette
double circulation des vaisseaux chylifères et lymphatiques,
dont, avant eux, les liquides et leurs réservoirs étaient éga-
lement inconnus. Depuis lors, par une succession de travaux
sur les glandes, les nerfs, les vaisseaux, la physiologie con-
tinuera à s'éclairer des lumières empruntées à l'anatomie,
TOME I. lr' LIVRAISON.
jusqu'aux temps où Haller et Bichat, interprétant l'une
par l'autre ces deux sciences, les rendront à jamais insé-
parables .
Enfin c'est encore de cette époque brillante du xviesiècle,
et comme résultat combiné des travaux des anatomistes et
des grands observateurs cliniques qui l'ont illustrée, que vont
naître deux sciences nouvelles qui plus tard seront les flam-
beaux de la médecine et de la chirurgie. Déjà l'étude des
formes et des rapports des organes a mis sur la voie de l'ana-
tomie chirurgicale, et la comparaison des organes dans les
deux états de santé et de maladie promet l'anatomie pa-
thologique. Un long temps s'écoulera encore avant que toutes
deux soient assez riches de matériaux pour être considérées
comme sciences spéciales, mais pourtant elles ont commencé
d'exister en fait. La première, perfectionnée par les efforts
de tous les chirurgiens , jettera , dans Je dernier siècle , le
plus vif éclat sur les travaux de Cheselden, de J.-L. Petit,
et de cette illustre Académie de chirurgie; puis, systéma-
tisée par Desault, professée par ses plus brillans élèves, elle
deviendra de nos jours une branche spéciale d'enseignement.
La seconde, fondée principalement sur l'anatomie de texture ,
ne sera formée d'abord que d'observations éparses sur des
altérations plus ou moins grossières; mais enfin, éclairée par
les travaux de fine anatomie de Ruysch et de Malpigbi, elle
immortalisera , dans le dernier siècle , le nom de Morgagni,
et, par ses progrès non interrompus jusqu'à nos jours, elle
deviendra le guide le plus sûr du médecin.
En voyant quelle immense utilité le médecin et le chirur-
gien retirent de l'anatomie , on croirait que cette science de-
vrait être la mieux sue de toutes celles qui ont rapport à la
médecine. Aucune n'est peut-être mieux enseignée dans les
écoles, aucune mieux possédée par les jeunes médecins qui
viennent de terminer leurs études. Cependant, après quel-
ques années d'exercice , l'anatomie est la science que l'on se
rappelle le moins : la raison en est dans la multitude de faits
qu'elle embrasse, et dans la difficulté de s'entourer des
moyens d'étude qui lui sont pi'opres. Eloigné des amphithéâ-
tres et des centres d'instruction, absorbé par les devoirs de
sa profession, le médecin perfectionne chaque jour ses études
cliniques par le fait même de sa pratique. Il peut à volonté
s'environner des objets propres à étudier la chimie, la bo-
tanique et toutes les autres sciences; mais il manque de ca-
davres, et au moment de pratiquer une opération grave, il
cherche en vain dans sa mémoire les faits oubliés de l'ana-
tomie. A la vérité il possède des livres, il peut les relire,
s'en pénétrer; mais ces images factices , que l'intelligence se
crée d'après une description souvent vague ou inexacte,
UTILITÉ DE L'ANATOMIE.
Depuis que la médecine, éclairée par le perfectionnement
des méthodes scientifiques, a substitué à l'esprit de système
l'observation rigoureuse de la nature, on sent plus particu-
lièrement le besoin d'appuyer l'étude des sciences médicales
sur une exacte connaissance de l'anatomie, la plus utile de
ces sciences, celle qui est le fondement de l'art de guérir.
Qui ne sait que les progrès de l'anatomie ont toujours
amené ceux de la médecine et de la chirurgie? Telle est son
importance que, parmi les médecins et les chirurgiens célè-
bres dans l'histoire de l'art, ceux-là seuls ont laissé un nom
durable, dont les travaux et les découvertes avaient pour base
une parfaite connaissance de l'organisation du corps humain.
Sans l'anatomie, la physiologie n'est qu'un tissu de fables
plus ou moins ingénieuses, la chirurgie est sans guide , et la
médecine est réduite à un aveugle empirisme.
Vingt siècles s'étaient écoulés depuis Aristote etHérophile
jusqu'à Vésale. Comment se fait-il que, dans ce long espace
de temps , l'art de guérir, d'abord si brillant chez les Grecs ,
au lieu de continuer à prospérer, n'ait plus fait que s'étein-
dre? C'est que dépourvus, pour l'étude de l'anatomie, des
ressources qu'avaient eues les médecins grecs et alexandrins,
les Arabes et les mires et physiciens du moyen âge, loin de
perfectionner la science, n'avaient pu qu'obscurcir de leurs
préjugés les lumières léguées parles anciens. Sans doute l'i-
gnorance de l'anatomie n'a pas été la seule cause de cette dé-
cadence, mais elle en est la principale. A peine Mondini
a-t-il disséqué quelques cadavres que déjà Guy de Cbauliac
donne à la chirurgie une impulsion nouvelle. Après un siècle
\ ésale, Fallope, Eustacbe, etc., créent l'anatomie tout en-
tière, et bientôt on voit surgir des cbirurgiens tels que
Franco, Ambroise Paré, Fabrice de Hilden; des médecins
tels que Fernel, Forestus, Baillou.
Mais la médecine et la chirurgie ne profiteront pas seules de
ce grand mouvement : la physiologie, jusqu'alors vain amas
de subtilités scolastiques, va désormais revêtir une forme
plvis rationnelle. Toutes les découvertes dans cette science
auront l'anatomie pour base, tous les inventeurs seront ana-
tomistes : c'est Servet découvrant la circulation pulmonaire ;
et, soixante ans après lui, Harvey démontrant la circulation
générale; puis Aselli, Rudbeek et Pecquet créant cette
double circulation des vaisseaux chylifères et lymphatiques,
dont, avant eux, les liquides et leurs réservoirs étaient éga-
lement inconnus. Depuis lors, par une succession de travaux
sur les glandes, les nerfs, les vaisseaux, la physiologie con-
tinuera à s'éclairer des lumières empruntées à l'anatomie,
TOME I. lr' LIVRAISON.
jusqu'aux temps où Haller et Bichat, interprétant l'une
par l'autre ces deux sciences, les rendront à jamais insé-
parables .
Enfin c'est encore de cette époque brillante du xviesiècle,
et comme résultat combiné des travaux des anatomistes et
des grands observateurs cliniques qui l'ont illustrée, que vont
naître deux sciences nouvelles qui plus tard seront les flam-
beaux de la médecine et de la chirurgie. Déjà l'étude des
formes et des rapports des organes a mis sur la voie de l'ana-
tomie chirurgicale, et la comparaison des organes dans les
deux états de santé et de maladie promet l'anatomie pa-
thologique. Un long temps s'écoulera encore avant que toutes
deux soient assez riches de matériaux pour être considérées
comme sciences spéciales, mais pourtant elles ont commencé
d'exister en fait. La première, perfectionnée par les efforts
de tous les chirurgiens , jettera , dans Je dernier siècle , le
plus vif éclat sur les travaux de Cheselden, de J.-L. Petit,
et de cette illustre Académie de chirurgie; puis, systéma-
tisée par Desault, professée par ses plus brillans élèves, elle
deviendra de nos jours une branche spéciale d'enseignement.
La seconde, fondée principalement sur l'anatomie de texture ,
ne sera formée d'abord que d'observations éparses sur des
altérations plus ou moins grossières; mais enfin, éclairée par
les travaux de fine anatomie de Ruysch et de Malpigbi, elle
immortalisera , dans le dernier siècle , le nom de Morgagni,
et, par ses progrès non interrompus jusqu'à nos jours, elle
deviendra le guide le plus sûr du médecin.
En voyant quelle immense utilité le médecin et le chirur-
gien retirent de l'anatomie , on croirait que cette science de-
vrait être la mieux sue de toutes celles qui ont rapport à la
médecine. Aucune n'est peut-être mieux enseignée dans les
écoles, aucune mieux possédée par les jeunes médecins qui
viennent de terminer leurs études. Cependant, après quel-
ques années d'exercice , l'anatomie est la science que l'on se
rappelle le moins : la raison en est dans la multitude de faits
qu'elle embrasse, et dans la difficulté de s'entourer des
moyens d'étude qui lui sont pi'opres. Eloigné des amphithéâ-
tres et des centres d'instruction, absorbé par les devoirs de
sa profession, le médecin perfectionne chaque jour ses études
cliniques par le fait même de sa pratique. Il peut à volonté
s'environner des objets propres à étudier la chimie, la bo-
tanique et toutes les autres sciences; mais il manque de ca-
davres, et au moment de pratiquer une opération grave, il
cherche en vain dans sa mémoire les faits oubliés de l'ana-
tomie. A la vérité il possède des livres, il peut les relire,
s'en pénétrer; mais ces images factices , que l'intelligence se
crée d'après une description souvent vague ou inexacte,