ET DE LA CURIOSITÉ
129
L'Opinion d'Ingres sur le Salon
PBOCÉS-VERBATJX DE LA
COMMISSION PERMANENTE DES BEAUX-ARTS
(1818-1849)
{Suite et fin) (1)
La discussion sur le mode d'admission étant
close, le' président propose à la Commission de dé-
cider si une exposition doit avoir lieu on 1840.
Cette fois, Ingres et Delacroix se trouvent d'ac-
cord pour déclarer que l'on ne peut ajourner l'ex-
position attendue par tons les artistes.
" Ce serait très impolitique », assure Ingres.
Avant de se séparer, la commission nomme une
sous-commission chargée d'examiner dans son en-
semble la question des expositions et de présenter
un rapport.
Sont nommés membres do cette sous-commis-
sion : Delacroix, Jeauron et Charles Blanc.
La sous commission ayant présenté un projetde
règlement pour le jury d'exposition, Ingres prend
la parole.
« Les exigences des artistes », dit il, « sontinqua-
" lifiables. Tout jury, électif ou non, doit èlre atta-
« qué. Ceux mêmes qui l'auront nommé le blâme-
« ront aussi vivement que lorsqu'il était au choix.
« Il faudrait que les artistes se jugeassent eux-
« mêmes et sans intermédiaire et que les exposants
« désignassent eux-mêmes ce qui doit être admis
« ou refusé. »
Delacroix déclare qu'il partage l'opinion d'Ingres,
mais le procédé proposé par ces deux artistes parait
impraticable aux représentants do l'Administration.
Ingres revient alors à son idée première : l'abo-
lition complète du jury.
« On doit suivre la même marche que l'an der-
« nier et ouvrir à chacun les portes de Fexposi-
« tion. L'humanité, l'art lui-même sont intéressés
« à cette solution la plus libérale de toutes. La
« société n'a pas le droit de condamner à mourir
'• de faim un artiste et sa famille parce que les
" productions de cet artiste ne seront pas du goût
« de telle ou telle personne.
« L'exclusion no pourrait s'appliquer qu'aux
" productions immorales, scandaleuses ou d'un ri-
« dicule incontestable. Un jury, quel que soit le
« mode adopté pour sa formation, fonctionnera
« toujours mal. Les exigences du moment veulent
« l'admission illimitée.
« Je trouve injuste et immorale toute restriction
« tendaut à empêcher un homme do vivre du pro-
« duit de son travail 1ant qu'il n'attaque pas la
« morale.
« Qu'est-ce que votre Salon actuel? Un bazar (2).
« Vous devez l'ouvrir à chacun. Il faut savoir s'ac-
« commoder de la liberté dans toute son étendue,
« quels que soicut ses inconvénients. »
Le principe d'un jury électif ayant été voté mal-
gré l'opposition d'Ingres, la discussion porta sur
la composition de ce jury.
Ingres exprima l'avis que les artistes devaient
(1) V. Chronique des Arts du 14 mars, p. 98.
(2) Il y avait, à cette époque, 3.000 artistes en-
voyant des ouvrages au Salon. Que dirait Ingres
aujourd'hui?
être jugés exclusivement par leurs pairs. Non seu-
lement il entendait exclure du jury les amateurs
et les critiques, mais il voulait que le jury fût
divisé en spécialités : peinture, sculpture, etc., les
spécialistes ayant seuls, à son avis, le pouvoir de
porter un jugement équitable et éclairé.
Il fut décidé que le jury fonctionnerait par spé-
cialités, mais que des amateurs pourraient en faire
partie.
Voici, d'ailleurs, le texte du règlement pour l'Ex-
position de 1849 tel qu'il fut détinitivoment arrêté
par la Commission permanente des Beaux-Arts. .
On remarquera que le nombre des envois de
chaque artislen'estpas limité. Ingres avait proposé
à la Commission de fixer une limite, mais sa motion
fut repoussée par six voix contre cinq :
« Article premier. — A chaque exposition, il sera
formé un jury spécial pour statuer sur l'admission
des ouvrages présentés.
« Art. 2. — Ce jury sera nommé à l'élection par
les artistes exposants.
« Art. 3. — Chaque artiste, en présentant les
ouvrages qu'il destine à l'exposition, sera admis à
déposer, dans une urne préparée à cet effet, un
bulletin contenant les noms dos jurés qu'il aura
choisis.
« Il y aura trois urnes une pour les peintres,
graveurs et lithographes ; une pour les sculpteurs
et graveurs en médailles ; une pour les architectes.
n Chaque artiste, peintre, graveur, lithographe,
devra porter quinze noms sur son bulletin, chaque
sculpteur f t graveur en médailles en portera neuf,
chaque architecte cinq.
« Des noms d'amateurs pourront être compris
dans ces listes.
« Art. 4. — Le lendemain de la clôture des admis-
sions, les urnes seront ouvertes par le directeur
des Beaux-Arts, en présence du président do l'Aca-
démie des Beaux-Arts, du président de la Com-
mission des Beaux-Arts et du directeur des Musées.
« Les jurés seront nommés à la majorité relative.
« Ai t. 5. — Il sera formé trois jurys spéciaux cor-
respondant aux trois sections indiquées ci-dessus.
« Feront partie du premier jury les douze peintres
ou amateurs, les deux graveurs et le lithographe
qui auront obtenu le plus grand nombre de voix
au scrutin correspondant à cette première section.
n Feront partie du deuxième jury les sept sculp-
teurs ou amateurs etlcs deux graveurs en médailles
qui auront réuni le plus de suffrages dans la
deuxième section.
« Feront partie du troisième jury les cinq archi-
tectes ou amateurs qui auront obtenu le plus do
voix.
« Art. 6. — La section de peinture jugera les pein-
tres, graveurs et lithographes, la section de sculp-
ture jugera les sculpteurs et graveurs en médailles,
et le jury d'architecture les architectes.
„ Art. 7._La présence de neuf membres au moins
dans le jury de peinture, de cinq dans le jury de
sculpture et de trois dans celui d'architecture sera
nécessaire pour la validité des opérations.
« Art. 8. +- Les décisions du jury seront prises à
la majorité absolue des membres présents. En cas
de partage, l'admission sera prononcée.
« Art. 9. — Seront reçues, sans examen,losceuvres
présentées par les membres de l'Institut, par les
grands prix de Rome (1), par les artistes décorés
(1) Addition faite à la demande d'Ingres.
129
L'Opinion d'Ingres sur le Salon
PBOCÉS-VERBATJX DE LA
COMMISSION PERMANENTE DES BEAUX-ARTS
(1818-1849)
{Suite et fin) (1)
La discussion sur le mode d'admission étant
close, le' président propose à la Commission de dé-
cider si une exposition doit avoir lieu on 1840.
Cette fois, Ingres et Delacroix se trouvent d'ac-
cord pour déclarer que l'on ne peut ajourner l'ex-
position attendue par tons les artistes.
" Ce serait très impolitique », assure Ingres.
Avant de se séparer, la commission nomme une
sous-commission chargée d'examiner dans son en-
semble la question des expositions et de présenter
un rapport.
Sont nommés membres do cette sous-commis-
sion : Delacroix, Jeauron et Charles Blanc.
La sous commission ayant présenté un projetde
règlement pour le jury d'exposition, Ingres prend
la parole.
« Les exigences des artistes », dit il, « sontinqua-
" lifiables. Tout jury, électif ou non, doit èlre atta-
« qué. Ceux mêmes qui l'auront nommé le blâme-
« ront aussi vivement que lorsqu'il était au choix.
« Il faudrait que les artistes se jugeassent eux-
« mêmes et sans intermédiaire et que les exposants
« désignassent eux-mêmes ce qui doit être admis
« ou refusé. »
Delacroix déclare qu'il partage l'opinion d'Ingres,
mais le procédé proposé par ces deux artistes parait
impraticable aux représentants do l'Administration.
Ingres revient alors à son idée première : l'abo-
lition complète du jury.
« On doit suivre la même marche que l'an der-
« nier et ouvrir à chacun les portes de Fexposi-
« tion. L'humanité, l'art lui-même sont intéressés
« à cette solution la plus libérale de toutes. La
« société n'a pas le droit de condamner à mourir
'• de faim un artiste et sa famille parce que les
" productions de cet artiste ne seront pas du goût
« de telle ou telle personne.
« L'exclusion no pourrait s'appliquer qu'aux
" productions immorales, scandaleuses ou d'un ri-
« dicule incontestable. Un jury, quel que soit le
« mode adopté pour sa formation, fonctionnera
« toujours mal. Les exigences du moment veulent
« l'admission illimitée.
« Je trouve injuste et immorale toute restriction
« tendaut à empêcher un homme do vivre du pro-
« duit de son travail 1ant qu'il n'attaque pas la
« morale.
« Qu'est-ce que votre Salon actuel? Un bazar (2).
« Vous devez l'ouvrir à chacun. Il faut savoir s'ac-
« commoder de la liberté dans toute son étendue,
« quels que soicut ses inconvénients. »
Le principe d'un jury électif ayant été voté mal-
gré l'opposition d'Ingres, la discussion porta sur
la composition de ce jury.
Ingres exprima l'avis que les artistes devaient
(1) V. Chronique des Arts du 14 mars, p. 98.
(2) Il y avait, à cette époque, 3.000 artistes en-
voyant des ouvrages au Salon. Que dirait Ingres
aujourd'hui?
être jugés exclusivement par leurs pairs. Non seu-
lement il entendait exclure du jury les amateurs
et les critiques, mais il voulait que le jury fût
divisé en spécialités : peinture, sculpture, etc., les
spécialistes ayant seuls, à son avis, le pouvoir de
porter un jugement équitable et éclairé.
Il fut décidé que le jury fonctionnerait par spé-
cialités, mais que des amateurs pourraient en faire
partie.
Voici, d'ailleurs, le texte du règlement pour l'Ex-
position de 1849 tel qu'il fut détinitivoment arrêté
par la Commission permanente des Beaux-Arts. .
On remarquera que le nombre des envois de
chaque artislen'estpas limité. Ingres avait proposé
à la Commission de fixer une limite, mais sa motion
fut repoussée par six voix contre cinq :
« Article premier. — A chaque exposition, il sera
formé un jury spécial pour statuer sur l'admission
des ouvrages présentés.
« Art. 2. — Ce jury sera nommé à l'élection par
les artistes exposants.
« Art. 3. — Chaque artiste, en présentant les
ouvrages qu'il destine à l'exposition, sera admis à
déposer, dans une urne préparée à cet effet, un
bulletin contenant les noms dos jurés qu'il aura
choisis.
« Il y aura trois urnes une pour les peintres,
graveurs et lithographes ; une pour les sculpteurs
et graveurs en médailles ; une pour les architectes.
n Chaque artiste, peintre, graveur, lithographe,
devra porter quinze noms sur son bulletin, chaque
sculpteur f t graveur en médailles en portera neuf,
chaque architecte cinq.
« Des noms d'amateurs pourront être compris
dans ces listes.
« Art. 4. — Le lendemain de la clôture des admis-
sions, les urnes seront ouvertes par le directeur
des Beaux-Arts, en présence du président do l'Aca-
démie des Beaux-Arts, du président de la Com-
mission des Beaux-Arts et du directeur des Musées.
« Les jurés seront nommés à la majorité relative.
« Ai t. 5. — Il sera formé trois jurys spéciaux cor-
respondant aux trois sections indiquées ci-dessus.
« Feront partie du premier jury les douze peintres
ou amateurs, les deux graveurs et le lithographe
qui auront obtenu le plus grand nombre de voix
au scrutin correspondant à cette première section.
n Feront partie du deuxième jury les sept sculp-
teurs ou amateurs etlcs deux graveurs en médailles
qui auront réuni le plus de suffrages dans la
deuxième section.
« Feront partie du troisième jury les cinq archi-
tectes ou amateurs qui auront obtenu le plus do
voix.
« Art. 6. — La section de peinture jugera les pein-
tres, graveurs et lithographes, la section de sculp-
ture jugera les sculpteurs et graveurs en médailles,
et le jury d'architecture les architectes.
„ Art. 7._La présence de neuf membres au moins
dans le jury de peinture, de cinq dans le jury de
sculpture et de trois dans celui d'architecture sera
nécessaire pour la validité des opérations.
« Art. 8. +- Les décisions du jury seront prises à
la majorité absolue des membres présents. En cas
de partage, l'admission sera prononcée.
« Art. 9. — Seront reçues, sans examen,losceuvres
présentées par les membres de l'Institut, par les
grands prix de Rome (1), par les artistes décorés
(1) Addition faite à la demande d'Ingres.