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MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
Les nymphes dont parle le poëte peuvent bien être représentées par cette manière de
sirène terrestre qui arrive de son mieux derrière le satyre, entraînant la partie inférieure
de son corps enveloppé de quelque chose, comme une coquille de limaçon. C'aura été l'as-
pect sous lequel une dryade se présentait à la fantaisie de notre artiste. Mais, soit pour la
gêne que lui cause son singulier arrière-train, soit par exigence féminine qui croit que
tout lui est dû, elle pose la main gauche sur la tête du singe, en étendant la droite vers
le satyre dont le poste lui fait sans doute envie.
Il y a, du reste, convocation évidente de tous les hôtes ordinaires et extraordinaires des
forêts. Les faunes y sont aussi, du côté opposé à celui dont s'est emparé le satyre. Je
crois même qu'au faune on ajoute les silènes h Cette dernière espèce doit être figurée par
le gros homme trapu qui porte une draperie à mi-corps. Le faune ne se voit que par devant
et seulement en partie, masqué qu'il est par son voisin. Raison de plus pour faire croire que
notre sculpteur travaillait pour l'Eglise, car il évite soigneusement les nudités fâcheuses.
Mais, comme pour ne pas perdre l'occasion de laisser voir qu'il savait bien en quoi un satyre
se distingue du faune, l'artiste a donné la queue de ce dernier au centaure qui montre
ses reins (près de la petite porte). Ce n'était vraiment pas la peine, puisque celui-ci a déjà sa
queue de cheval.
C'est une ressource assez fine pour faire comprendre l'ascendant d'Orphée sur ce monde
brutal, que de nous montrer tout recueilli autour du chanteur, tandis qu'une grande chasse
émeut les animaux à quelque distance de là.
Il ne s'agit plus que d'expliquer pourquoi le chantre de Thessalie occupe le centre d'un
bas-relief destiné à l'usage chrétien. Depuis que les études des monuments primitifs du
Christianisme se sont un peu répandues, il n'est presque plus permis d'ignorer en tel sujet
ce qui, au siècle passé, ne se trouvait encore que dans les gros livres.
On sait qu'entre les symboles recommandés par Clément d'Alexandrie pour les anneaux
des Rdèles, la lyre a son rôle. Elle désignait Orphée dont le chant et l'harmonie attiraient
les animaux les plus farouches ; et conséquemment Notre-Seigneur qui, par des moyens
tout nouveaux, groupe autour de sa Croix l'universalité des nations même barbares \ Cette
représentation, non plus abrégée ou réduite à un simple petit symbole, se rencontre bien
des fois dans les monuments des catacombes. Bottari et Bosio en ont donné des exemples
nombreux avec planches passablement satisfaisantes, et surtout explications où presque rien
ne manque
1. Cf. C. Cavedoni, SpicitegM MMWM'smaMco, p. 13, not. 19.
— A. Pauly, Reat-ÆHcycfopædie der ctassiscA. AMertAMmstris-
senscAa/ï, v. Signas.
2. Cf. C. Cavedoni, Afemone di reMy. (Modena) série H,
t. XVM, p. 130-136. — Item, SpïcR. MwmMm., p. 36, not. 46.
3. Cf. Bottari, SctdfMfe epiMwre sayre.... deMa Roma sot-
(m-aHea, t. H, p. 30, sgg.; 42, sgg.; 84, sgg.; tavola LX111,
LXX1. — Aringhi, Roma snMewmiea (Lutetiæ, 1689), t. 11,
p. 298, sqq. — Bosio, Roma soRerawea, p. 627, sgg.; 636. —
Etc.
Qu'Orphëe eût Apoilon pour pcre, comme on l'a dit, ce
pouvait absolument être devenu aux yeux du christianisme
une occasion de rappeler discrètement sous cette figure la
génération éternelle de Jésus-Christ venu du ciel parmi les
hommes. Toute une littérature plus ou moins authentique
lui donnait en outre le rôle d'initiateur populaire à des doc-
trines bien moins idolàtriques que celles de l'hellénisme
(Cf. Strabon, GeoyrapA., libr. XVI), l'assimilant aux antiques
législateurs des nations primitives : Moïse, Tirësias, Zamolxis,
etc. Puis il passait pour avoir pénétré dans les enfers, et
pour être mort victime des fureurs d'une foule enivrée.
C'était, à coup sur, plus de similitudes (ou points de repères
mnémotechniques) que n'en pouvait offrir un simple type
quelconque puisé dans la Bible elle-même ; et en tout cas,
un voile particulièrement diaphane au regard des enfants de
l'Église, tandis que les païens y voyaient simplement une
fable poétique préconisée par la littérature gréco-latine. Cf.
Lobeck, AyfaopAam., p. 233-964.)
Rappelons-nous aussi que toute une série d'hymnes attri-
buées au poëte thessalien, enseignait l'unité de Dieu; et
qu'Alexandre Sévère plaçait Orphée dans son oratoire do-
mestique avec Abraham et Jésus-Christ.
En outre, ce Thrace accepté par les Grecs et les Latins
classiques comme initiateur religieux, ne semblait-il pas
MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
Les nymphes dont parle le poëte peuvent bien être représentées par cette manière de
sirène terrestre qui arrive de son mieux derrière le satyre, entraînant la partie inférieure
de son corps enveloppé de quelque chose, comme une coquille de limaçon. C'aura été l'as-
pect sous lequel une dryade se présentait à la fantaisie de notre artiste. Mais, soit pour la
gêne que lui cause son singulier arrière-train, soit par exigence féminine qui croit que
tout lui est dû, elle pose la main gauche sur la tête du singe, en étendant la droite vers
le satyre dont le poste lui fait sans doute envie.
Il y a, du reste, convocation évidente de tous les hôtes ordinaires et extraordinaires des
forêts. Les faunes y sont aussi, du côté opposé à celui dont s'est emparé le satyre. Je
crois même qu'au faune on ajoute les silènes h Cette dernière espèce doit être figurée par
le gros homme trapu qui porte une draperie à mi-corps. Le faune ne se voit que par devant
et seulement en partie, masqué qu'il est par son voisin. Raison de plus pour faire croire que
notre sculpteur travaillait pour l'Eglise, car il évite soigneusement les nudités fâcheuses.
Mais, comme pour ne pas perdre l'occasion de laisser voir qu'il savait bien en quoi un satyre
se distingue du faune, l'artiste a donné la queue de ce dernier au centaure qui montre
ses reins (près de la petite porte). Ce n'était vraiment pas la peine, puisque celui-ci a déjà sa
queue de cheval.
C'est une ressource assez fine pour faire comprendre l'ascendant d'Orphée sur ce monde
brutal, que de nous montrer tout recueilli autour du chanteur, tandis qu'une grande chasse
émeut les animaux à quelque distance de là.
Il ne s'agit plus que d'expliquer pourquoi le chantre de Thessalie occupe le centre d'un
bas-relief destiné à l'usage chrétien. Depuis que les études des monuments primitifs du
Christianisme se sont un peu répandues, il n'est presque plus permis d'ignorer en tel sujet
ce qui, au siècle passé, ne se trouvait encore que dans les gros livres.
On sait qu'entre les symboles recommandés par Clément d'Alexandrie pour les anneaux
des Rdèles, la lyre a son rôle. Elle désignait Orphée dont le chant et l'harmonie attiraient
les animaux les plus farouches ; et conséquemment Notre-Seigneur qui, par des moyens
tout nouveaux, groupe autour de sa Croix l'universalité des nations même barbares \ Cette
représentation, non plus abrégée ou réduite à un simple petit symbole, se rencontre bien
des fois dans les monuments des catacombes. Bottari et Bosio en ont donné des exemples
nombreux avec planches passablement satisfaisantes, et surtout explications où presque rien
ne manque
1. Cf. C. Cavedoni, SpicitegM MMWM'smaMco, p. 13, not. 19.
— A. Pauly, Reat-ÆHcycfopædie der ctassiscA. AMertAMmstris-
senscAa/ï, v. Signas.
2. Cf. C. Cavedoni, Afemone di reMy. (Modena) série H,
t. XVM, p. 130-136. — Item, SpïcR. MwmMm., p. 36, not. 46.
3. Cf. Bottari, SctdfMfe epiMwre sayre.... deMa Roma sot-
(m-aHea, t. H, p. 30, sgg.; 42, sgg.; 84, sgg.; tavola LX111,
LXX1. — Aringhi, Roma snMewmiea (Lutetiæ, 1689), t. 11,
p. 298, sqq. — Bosio, Roma soRerawea, p. 627, sgg.; 636. —
Etc.
Qu'Orphëe eût Apoilon pour pcre, comme on l'a dit, ce
pouvait absolument être devenu aux yeux du christianisme
une occasion de rappeler discrètement sous cette figure la
génération éternelle de Jésus-Christ venu du ciel parmi les
hommes. Toute une littérature plus ou moins authentique
lui donnait en outre le rôle d'initiateur populaire à des doc-
trines bien moins idolàtriques que celles de l'hellénisme
(Cf. Strabon, GeoyrapA., libr. XVI), l'assimilant aux antiques
législateurs des nations primitives : Moïse, Tirësias, Zamolxis,
etc. Puis il passait pour avoir pénétré dans les enfers, et
pour être mort victime des fureurs d'une foule enivrée.
C'était, à coup sur, plus de similitudes (ou points de repères
mnémotechniques) que n'en pouvait offrir un simple type
quelconque puisé dans la Bible elle-même ; et en tout cas,
un voile particulièrement diaphane au regard des enfants de
l'Église, tandis que les païens y voyaient simplement une
fable poétique préconisée par la littérature gréco-latine. Cf.
Lobeck, AyfaopAam., p. 233-964.)
Rappelons-nous aussi que toute une série d'hymnes attri-
buées au poëte thessalien, enseignait l'unité de Dieu; et
qu'Alexandre Sévère plaçait Orphée dans son oratoire do-
mestique avec Abraham et Jésus-Christ.
En outre, ce Thrace accepté par les Grecs et les Latins
classiques comme initiateur religieux, ne semblait-il pas