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MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
de Cana s'v joint aussi après les matines de toute cette octave ; parce qu'il s'agit de rappeler
aux fidèles que Jésus-Christ n'a pas manqué de ce qui pouvait lui rallier les esprits et les
cœurs h Des hymnes et proses remettent aussi en mémoire, à cette occasion, d'autres mi-
racles publics, comme la multiplication des pains dans le désert, la transfiguration sur le
Thahor^ et l'éclipse du Vendredi-Saint.
Le fleuve du Jourdain n'est ici représenté que par son cours naturel % et encore lui prête-
t-on un peu plus de complaisance que la Nature ne lui en donne. Car, selon la coutume
assez fréquente au moyen âge, ses eaux se soulèvent en une espèce de cône pour draper
respectueusement le corps de Notre-Seigneur dépouillé de sa tunique. Un ange, près de là,
tient le vêtement de Jésus-Christ pour couvrir l'Homme-Dieu quand il sortira du baptême où
il s'est plongé sous la main de Jean-Baptiste. Cf. t. I, p. 182.
A l'époque de notre ivoire, l'usage de baptiser par immersion était encore trop général
dans les cas ordinaires^ pour que l'on imaginât de donner à saint Jean-Baptiste un coquil-
lage destiné à verser quelques g'outtes d'eau sur le front des disciples qu'il plongeait dans
le courant.
Sur la tête de Notre-Seigneur, une énorme colombe darde des rayons vers celui qui est
pour le moins A pre/?ù<?r-Mé & cr&ùarc (Coloss. I, 15). Au sommet de toute la composition
la Dextre céleste sort d'un nuage, et six anges l'escortent pour faire comprendre que Dieu
le Père intervient personnellement dans cette grande action pour glorifier son Fils.
A droite et à gauche du Saint-Esprit, le soleil et la lune sont facilement reconnaissables
à la torche que portent l'un et l'autre personnage. La barbe de l'un et les grands cheveux de
l'autre ne laissent point de doute sur la place qui leur est assignée ; quoique dans l'Ascen-
sion sculptée sur un oliphant (ci-dessus, p. 44), nous ayons trouvé tout-à-l'heure de l'équi-
voque à ce sujet. Nous avons donc, pour une circonstance du récit évangélique, la repré-
1. Breviar. in Epiphania, ad ÆenedicL : K Hodie cælesti
sponso juncta est Ecclesia, quoniam in Jordanelavit Christus
ejus crimina; currunt cum muneribus Magi ad regaies nup-
tias,et ex aqua facto vino lætantur convivæ ".— item ad Ma-
(pM/ic. : « Tribus miracuiis ornatum diem sanctum colimus :
hodie Stella Magos duxit ad præsepium, hodie vinum ex
aqua factum est ad nuptias; hodie in Jordano a Joanne
Christus baptizari voluit, ut salvaret nos. o — Menées grecs
du mois de janvier (Venise, 1843), p. 38-46; etc.
Les écrivains ecclésiastiques partagent de bonne heure ce
langage de la liturgie. On en voit déjà la trace dans les livres
sibyllins, libr. VI, v. 4, sqq,; libro VH, v. 68, sqq.; et 81,
sqq. (ap. Galland-, Æi&MoM. wM. PF., t. 1, p. 388, 387).
Cf. Cosm. hierosolymit., Eynw. in theophan, etc. (iMd.,
t. XHI, p. 236-238; et 289). Etc.
Honorius d'Autun en parle assez au long dans son sermon
pour l'Épiphanie, mais je lui emprunte plutôt un fragment
destiné au jour de Pâques (SpecMi. Æcciesiæ, 1631, fol. 117,
V):
cQui talitei' cum hominibus conversatus sub forma servi tatuit,
Per signa et miracuta verus Deus ctaruit.
Reges cum muneribus adosse festinant,
Ac Régi gloriæ cervices adorando inclinant.
Cælurn super eum reseratur,
Paterna vox Filium protestatur;
Spiritus sanctus, corporaliter in eum descendens, in omnibus
[ei cooperatur, Angeli ei ministrant.
Spiritus immundi præsentiam ejus formulant.
Aquam in vinum, vera vitis, commutavit, etc. *
Une ancienne prose (Festa Christi omnis Christianitas ce-
lebret) pour l'Épiphanie s'étendait aussi sur le baptême de
Notre-Seigneur.
2. Cf. Mone, Eymwf Mmt medî'f æw, t. 1, p. 78-82. —
A. Daniel, TàMaw. Eymwoioy., t. H, p. 9, sq.; et 344; t. I,
p. 19, sq. — Honor. Augustodun., L ct'C
3. Dans les anciennes miniatures grecques surtout, et sur
les vieux bas-reliefs également, ce fleuve est personnifié à la
manière des anciennes représentations classiques; et l'on ne
manque guère de lui donner l'urne qui semble épancher ses
eaux. Sannazar a même eu soin (1. ctC) de supposer que les
ciselures de ce vase décrivaient d'avance la grande scène
qui nous occupe. Seulement il avait fallu, dit-il, l'inter-
vention divinatoire du vieux Protée, pour que le demi-dieu
mythologique comprît ce secret du destin; ce qui est un peu
plus classique que raisonnable.
4. L'affusion, ou même aspersion, pour les malades (cM-
m'qtMS, comme on disait) surtout, remonte très-haut dans
l'histoire de l'Église; et la coutume universelle de baptiser
les enfants, lorsque des peuples entiers furent chrétiens, re-
légua peu à peu l'immersion au nombre des pratiques plus
vénérables qu'usuelles. On continuait sans doute à la repré-
senter, comme rite primitif, tout en ne s'y conformant plus
guère désormais. Cependant il y a bien lieu de croire que le
douzième siècle maintenait l'ancien usage.
MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
de Cana s'v joint aussi après les matines de toute cette octave ; parce qu'il s'agit de rappeler
aux fidèles que Jésus-Christ n'a pas manqué de ce qui pouvait lui rallier les esprits et les
cœurs h Des hymnes et proses remettent aussi en mémoire, à cette occasion, d'autres mi-
racles publics, comme la multiplication des pains dans le désert, la transfiguration sur le
Thahor^ et l'éclipse du Vendredi-Saint.
Le fleuve du Jourdain n'est ici représenté que par son cours naturel % et encore lui prête-
t-on un peu plus de complaisance que la Nature ne lui en donne. Car, selon la coutume
assez fréquente au moyen âge, ses eaux se soulèvent en une espèce de cône pour draper
respectueusement le corps de Notre-Seigneur dépouillé de sa tunique. Un ange, près de là,
tient le vêtement de Jésus-Christ pour couvrir l'Homme-Dieu quand il sortira du baptême où
il s'est plongé sous la main de Jean-Baptiste. Cf. t. I, p. 182.
A l'époque de notre ivoire, l'usage de baptiser par immersion était encore trop général
dans les cas ordinaires^ pour que l'on imaginât de donner à saint Jean-Baptiste un coquil-
lage destiné à verser quelques g'outtes d'eau sur le front des disciples qu'il plongeait dans
le courant.
Sur la tête de Notre-Seigneur, une énorme colombe darde des rayons vers celui qui est
pour le moins A pre/?ù<?r-Mé & cr&ùarc (Coloss. I, 15). Au sommet de toute la composition
la Dextre céleste sort d'un nuage, et six anges l'escortent pour faire comprendre que Dieu
le Père intervient personnellement dans cette grande action pour glorifier son Fils.
A droite et à gauche du Saint-Esprit, le soleil et la lune sont facilement reconnaissables
à la torche que portent l'un et l'autre personnage. La barbe de l'un et les grands cheveux de
l'autre ne laissent point de doute sur la place qui leur est assignée ; quoique dans l'Ascen-
sion sculptée sur un oliphant (ci-dessus, p. 44), nous ayons trouvé tout-à-l'heure de l'équi-
voque à ce sujet. Nous avons donc, pour une circonstance du récit évangélique, la repré-
1. Breviar. in Epiphania, ad ÆenedicL : K Hodie cælesti
sponso juncta est Ecclesia, quoniam in Jordanelavit Christus
ejus crimina; currunt cum muneribus Magi ad regaies nup-
tias,et ex aqua facto vino lætantur convivæ ".— item ad Ma-
(pM/ic. : « Tribus miracuiis ornatum diem sanctum colimus :
hodie Stella Magos duxit ad præsepium, hodie vinum ex
aqua factum est ad nuptias; hodie in Jordano a Joanne
Christus baptizari voluit, ut salvaret nos. o — Menées grecs
du mois de janvier (Venise, 1843), p. 38-46; etc.
Les écrivains ecclésiastiques partagent de bonne heure ce
langage de la liturgie. On en voit déjà la trace dans les livres
sibyllins, libr. VI, v. 4, sqq,; libro VH, v. 68, sqq.; et 81,
sqq. (ap. Galland-, Æi&MoM. wM. PF., t. 1, p. 388, 387).
Cf. Cosm. hierosolymit., Eynw. in theophan, etc. (iMd.,
t. XHI, p. 236-238; et 289). Etc.
Honorius d'Autun en parle assez au long dans son sermon
pour l'Épiphanie, mais je lui emprunte plutôt un fragment
destiné au jour de Pâques (SpecMi. Æcciesiæ, 1631, fol. 117,
V):
cQui talitei' cum hominibus conversatus sub forma servi tatuit,
Per signa et miracuta verus Deus ctaruit.
Reges cum muneribus adosse festinant,
Ac Régi gloriæ cervices adorando inclinant.
Cælurn super eum reseratur,
Paterna vox Filium protestatur;
Spiritus sanctus, corporaliter in eum descendens, in omnibus
[ei cooperatur, Angeli ei ministrant.
Spiritus immundi præsentiam ejus formulant.
Aquam in vinum, vera vitis, commutavit, etc. *
Une ancienne prose (Festa Christi omnis Christianitas ce-
lebret) pour l'Épiphanie s'étendait aussi sur le baptême de
Notre-Seigneur.
2. Cf. Mone, Eymwf Mmt medî'f æw, t. 1, p. 78-82. —
A. Daniel, TàMaw. Eymwoioy., t. H, p. 9, sq.; et 344; t. I,
p. 19, sq. — Honor. Augustodun., L ct'C
3. Dans les anciennes miniatures grecques surtout, et sur
les vieux bas-reliefs également, ce fleuve est personnifié à la
manière des anciennes représentations classiques; et l'on ne
manque guère de lui donner l'urne qui semble épancher ses
eaux. Sannazar a même eu soin (1. ctC) de supposer que les
ciselures de ce vase décrivaient d'avance la grande scène
qui nous occupe. Seulement il avait fallu, dit-il, l'inter-
vention divinatoire du vieux Protée, pour que le demi-dieu
mythologique comprît ce secret du destin; ce qui est un peu
plus classique que raisonnable.
4. L'affusion, ou même aspersion, pour les malades (cM-
m'qtMS, comme on disait) surtout, remonte très-haut dans
l'histoire de l'Église; et la coutume universelle de baptiser
les enfants, lorsque des peuples entiers furent chrétiens, re-
légua peu à peu l'immersion au nombre des pratiques plus
vénérables qu'usuelles. On continuait sans doute à la repré-
senter, comme rite primitif, tout en ne s'y conformant plus
guère désormais. Cependant il y a bien lieu de croire que le
douzième siècle maintenait l'ancien usage.