TLM t'MâlliVABI.
» Garçon ! un rosbif aux cornichons ! »
« Cornichons vous-mêmes, murmurai-je, stupi-
des gastronomes qui, dans votre ignorance des syno-
nymes, mangez trois fois la même chose sous trois
noms différens ! »
J'avais déclamé cet à parfecomme l'eût fait un ac-
teur de l'Ambigu, c'est-à-dire de manière à être en-
tendu de tout le monde. Un mien voisin, que je re-
connus Picard à son accent et à sa franchise, me
dit:
« Vous croyez, monsieur, que nous ne savons pas
distinguer le bœuf des autres viandes : hélas ! nous
sommes payés, ou plutôt nous payons pour le savoir.
Le bœuf vous semble une viande commune et vous
vous étonnez que nous le mangions à toute sauce et
sous toutes sortes de pseudonymes. Heureux Pari-
siens!... C'est que le bœuf, pourjnous autres provin-
ciaux, est une utopie, un vain mot, une abstraction.
Protégés par l'autorité qui constate le sexe et la qua-
lité des animaux voués à l'abattoir, vous ne connais-
sez la vache que pour le lait qu'elle donne, et jamais
vous n'avez expérimenté sa chair coriace et filan-
dreuse. Mais nous, qui n'avons d'autre garantie que
la conscience des bouchers, nous sommes condam-
nés aux quartiers de génisses à perpétuité. S'il entre
quelquefois un bœuf dans notre ville, c'est un véri-
table événement pour lequel la renommée n'a pas as-
sez de trompettes ; les acheteurs accourent en foule
chez l'étalier qui s'est constitué son hôte.
— Vous voulez dire son acquéreur, objectai-je.
* — Hélas non ! je disais bien, reprit d'une voix
dolente mon interlocuteur. Pendant que les gour-
mets se régalent, sur la foi des apparences, des res-
tes putatifs de l'animal dont l'apparition les a af-
friandés, le bœuf, qui leur a'passé devant le nez en
plein midi,sort de l'étable hospitalière à la faveur des
ombres delà nuit, et va dans une autre ville ranimer
la vogue d'un autre boucher non moins fallacieux.
Les bœufs sont, par le fait, presque aussi sacrés
chez nous qu'ils l'étaient autrefois enEgypte.Quand,
par hasard, il nous est donné d'en voir figurer une
tranche sur notre table, c'est que l'un de ces quadru-
pèdes nomades est mort de vieillesse ou de fatigue
avant le terme de son voyage. Voilà pourquoi nous
abusons de notre présence à Paris pour manger du
bœuf, encore du bœuf et toujours du bœuf. »
Maintenant, lecteurs, comprenez-vous que l'expo-
sition des produits de l'industrie n'est que le pré-
texte, et que la tranche de bœuf est le véritable motif
de l'affluence des provinciaux à Paris?
Qu'on se le corne !
COURTES REFLEXIONS
A PROPOS D'UNE EONGUE-WE.
Il vient de se passer à Mon-
tauban un fait plaisant dans
ses détails et très important
par ses conséquences, en ce
sens qu'il est de nature à don-
ner une idée à nos gouvernans,
qui n'en ont pas à revendre.
Unofficier de notre garni son,
lequel s'ennuyait autant que le
peut un militaire sous le sys-
tème de paix partout et tou-
jours et d'abaissement à tout
prix, acheta une longue-vue
pour se distraire. Ce projet,
' quoique bien innocent au pre-
mier abord, était pourtant sujet à interprétation.
On pouvait soupçonner l'officier de vouloir, au mo-
yen de son ustensile, jeter un coup d'œil sur les af-
faires de l'État et approfondir des mystères défendus
à tout regard profane. Bref, il pouvait fort bien lui
arriver, pour ce fait de longue-vue, d'être envoyé
dans une citadelle ou dans un bataillon de discipline,
comme cet anarchiste sergent Thiébaux, coupable
d'avoir passé deux heures à rimer une chanson, au
lieu d'aller s'enivrer dans quelque cabaret,ce qui eut
été incomparablement plus décent et plus constitu-
tionnel.
Par hasard, il n'arriva rien à l'officier. Muni de
son emplette, il s'enferma chez lui et braqua sa lon-
gue-vue sur la campagne. Tout en regardant, il
aperçut une maison de-campagne, à une lieue de sa
fenêtre. Jusque-là rien d'extraordinaire. Mais voici
qu'un particulier de mauvaise mine grimpa à une
fenêtre et s'introduisit dans la maison. L'officier
trouva l'itinéraire plaisant. Un quart d'heure après
le quidam ressortit par le même chemin. Bon ! pensa
t'officier, voilà que les gens du logis mettent le visi-
teur à la porte ! Mais quand on met quelqu'un à la
porte par la fenêtre, on le jette et il tombe comme
une pièce de M. Liadières, tout de son long, de ma-
nière à écraser les plates-bandes de fraisiers,s'il y en
a en bas ; or, le quidam redescendait petit à petit et
avec les précautions d'un homme qui tient à ména-
ger son fémur et les plants de fraisiers.
La chose devenait grave. Le particulier de mau-
vaise mine à peine descendu, alla retrouver deux
autres particuliers également de mauvaise mine, et
ous trois se dirigèrent t"grands pas vers un bois
peu éloigné.
« Fort bien, se dit l'officier en posant sa longue-
vue; je tiens un mystère de Montauban. » Il courut
prévenir le commissaire, qni mit ses gens en campa-
gne, et le soir même on arrêtait ces trois personna-
ges, lesquels avaient voulu profiter de l'absence du
propriétaire, de la maison de campagne pour la déva-*
liser un peu ; mais ils comptaient sans la longue-vue
de l'officier.
Voilà le fait. Maintenant est-il besoin d'en déduire
les conséquences?
Un roquet phénicien, mais pauvre comme un con-
tribuable français, voyant son gouvernement, je veux
dire son maître, manger tous les jours des huîtres à
déjeuner, s'en va au bord de la mer, trouve un co-
quillage qu'il prend pour une huître, l'ouvre et dé-
couvre la pourpre. Le maître accourt, s'empare du
secret, fait fortune, et le roquet meurt de faim plus
que jamais, sous les portes cochères deTyr et au mi-
lieu des richesses de la Phénicie. Ceci prouve que les
plus belles découvertes sont dues au hasard et qu'il
faut savoir en profiteur*'
Certainement la longue-vue n'est pas d'invention
récente; mais il est facile d'apercevoir tout le parti
qu'on peut tirer de l'application nouvelle qui vient
d'en être faite.
Le Système, qui voit croître journellement l'affec-
tion publique et dont la confiance dans les sympa-
thies populaires augmente dans le même rapport,
pourrait organiser un corps de lorgnettiers chargés
de surveiller tous les élans de l'allégresse unanime.
On les installerait par petites bandes, sur les tours
Notre-Dame, sur la colonne Vendôme, sur l'arc de
triomphe, sur le dôme du Panthéon, sur les arbres
des Champs-Elysées ; il y en aurait au haut de cha-
que télégraphe, la longue-vue collée à l'œil; et dans
toute la France, il n'y aurait pas un coin de terre où
l'on pût se tenir caché; il serait impossible de bâil-
ler, d'éternuer, de se moucher, de faire claquer ses
doigts à l'insu de l'àutorité. On pourrait même join-
dre aux lorgnettiers un nombre égal d'argus munis
de cornets acoustiques perfectionnés. L'un dirait :
« Tiens! je crois que j'aperçois un anarchiste qui se
glisse dans la forêt de Fontainebleau, à deux lieues
d'ici. — Parbleu! répondrait l'autre, puisque j'en-
tends remuer les feuilles ! »
Je livre cette idée au gouvernement pour ce qu'elle
vaut : mais je crains bien que ce plan de longues-
vues ne sourie guère à nos ministres, qui sont tous
des hommes d'État à courtes vues.
REVUE MUSICALE.
Exercices des élèves au Conservatoire; première re-
présentation de l'Hôtesse de Lyon, musique' de M.
Georges Bousquet ; — les Chœurs de Mendelshon ;
— le Concert espagnol de MM. Cavallini et Ojeda.
Honneur à M. Àuber ! il a voulu, autant qu'il était
en lui, que le grand prix fût désormais une vérité.
11 a essayé de mettre un terme à cette mystification,
ou plutôt à ce guet-apens au moyen duquel on attire
une foule de lauréats dans la carrière musicale, pour
les abandonner ensuite, infortunés Tantales mon
rant d'inanition artistique, entre deux théâtres privi
légiés, dont les portes se ferment impitoyablement
devant eux. M. Auber est venu assurer à ce
maestri en herbe un théâtre, un libretto, un orches
tre et des chanteurs, objets qui jusqu'à ce joJ
n'existaient pour eux qu'à l'état de mirage, de feu*
follets, de merle blanc.
Le nouveau directeur a décidé que, chaque année
un grand prix de Rome serait admis à faire exécuter
par les élevés du Conservatoire un opéra-comique
inédit de sa façon, fil. Bousquet a, le premier, joui
du bienfait de cette disposition aussi louable que lo-
gique. Nous nous empressons d'ajouter que l'essai a
été heureux.'
L'Hôtesse de Lyon renferme plusieurs morceaux
remarquables, entre autres l'ouverture, un duo de
basse et de ténor, un très beau quintetti et les char-
mans couplets de l'hôtelière. Nous sommes d'autant
plus disposés à accorder nos éloges et nos encoura-
gemens à M. Bousquet,que le jeune compositeur pos-
sède réellement le don de la mélodie, cette qualité
aujourd'hui si rare, pour laquelle tant de prétendus
grands lyriques affectent un dédain trop semblable à
celui du renard vis-à-vis des raisins.
La bonne action de M. Auber ne restera pas in-
complète. Nous apprenons qu'après cette représen-
tation, M. Bousquet a pu faire recevoir une partition
à POpéra-Comique.
L'Hôtesse de Lyon, ainsi que- le premier acte du
Comte On/, a été exécutée par des élèves du Conser-
vatoire; c'étaient également des élèves qui occu-
paient l'orchestre sous la direction de M. Habeneck.
C'est un intéressant spectacle que celui de cette jeu-
nesse artistique, pleine d'ardeur, d'espérances, et
aussi, hélas! d'illusions. Ils étaient là une centaine,
placés entre la renommée et la fortune réservées au
succès, et l'obscurité besogneuse qui a ttencl les talens
manquès. Le cœur s'émeut quand on pense que,
sur toutes ces jeunes têtes, plane le terrible peut-être
de Montaigne.
Quelques-uns cependant donnent déjà plus que de
l'espoir ; dans le nombre, nous citerons Mlles Mon-
dutaigny, Leclerc, Morize, MM. Lajet, Chaix, dont la
basse-taille, est puissamment timbrée, et Mathieu,
jeune ténor qui possède une voix fraîche, agréable,
fonctionnant avecbeaucoup d'étendue et de fantaisie,
surtout dans les notes de tête.
— Les Chœurs d'Anûgone.—Un voyant le magni-
fique effet produit par la tragédie du vieux Sophocle,
nous nous sommes pris à regretter que l'œuvre du
maestro athénien qui composa la musique des
chœurs n'ait pu nous être transmise. Qui sait si, lui
aussi, n'aurait pas obtenu un succès résurreetio-
niste, et si les timbales, les grosses caisses et les
cuivres modernes n'auraient pas été forcés de s'in-
cliner devant la simple lyre grecque !
A la vérité, s'il faut en croire les érudits lyriques
et le Nouveau Dictionnaire de MM. Escudier frères,
excellent recueil, toujours bon à consulter, la musi-
que grecque n'était qu'une espèce de mélodie, tou-
jours chantée à l'unisson et renfermée dans un seul
et même ton. D'après ce système, les chants de-
vaient être un peu monotones.
Peut-être M. Mendelshon s'est-il trop préoccupe
de cette tradition en composant les nouveaux chœurs
d'Antigone, dont il a simplifié les modulations afin
de leur donner une couleur locale. Mais son œuvre
est remarquable sous le rapport des combinaisons
harmoniques ; l'hymne à l'amour et l'invocation a
Bacchus sont particulièrement applaudis, Pal'^
qu'ils offrent un rhythme plus animé, plus brillant et
plus varié.
Nous profitons de l'occasion pour dire que le suc-
cès d'Anûgone va croissant. Comme instruction tou-
chant les mœurs et coutumes grecques, le voyage a
l'Odéon remplacera le Voyage du jeune AnachmW'
— L'Espagne ne s'était jusqu'à ce jour révélée a
nous que sous le rapport de ses jaléos zapateaao
cachuchas, etc. ; en d'autres termes, nous la con-
naissions uniquement par les jambes. M. jOjeda e ^
venu nous la faire connaître par le gosier. H nous
initiés aux chants nationaux de son pays,et vraiffl
(La suite à la &° Va9e
» Garçon ! un rosbif aux cornichons ! »
« Cornichons vous-mêmes, murmurai-je, stupi-
des gastronomes qui, dans votre ignorance des syno-
nymes, mangez trois fois la même chose sous trois
noms différens ! »
J'avais déclamé cet à parfecomme l'eût fait un ac-
teur de l'Ambigu, c'est-à-dire de manière à être en-
tendu de tout le monde. Un mien voisin, que je re-
connus Picard à son accent et à sa franchise, me
dit:
« Vous croyez, monsieur, que nous ne savons pas
distinguer le bœuf des autres viandes : hélas ! nous
sommes payés, ou plutôt nous payons pour le savoir.
Le bœuf vous semble une viande commune et vous
vous étonnez que nous le mangions à toute sauce et
sous toutes sortes de pseudonymes. Heureux Pari-
siens!... C'est que le bœuf, pourjnous autres provin-
ciaux, est une utopie, un vain mot, une abstraction.
Protégés par l'autorité qui constate le sexe et la qua-
lité des animaux voués à l'abattoir, vous ne connais-
sez la vache que pour le lait qu'elle donne, et jamais
vous n'avez expérimenté sa chair coriace et filan-
dreuse. Mais nous, qui n'avons d'autre garantie que
la conscience des bouchers, nous sommes condam-
nés aux quartiers de génisses à perpétuité. S'il entre
quelquefois un bœuf dans notre ville, c'est un véri-
table événement pour lequel la renommée n'a pas as-
sez de trompettes ; les acheteurs accourent en foule
chez l'étalier qui s'est constitué son hôte.
— Vous voulez dire son acquéreur, objectai-je.
* — Hélas non ! je disais bien, reprit d'une voix
dolente mon interlocuteur. Pendant que les gour-
mets se régalent, sur la foi des apparences, des res-
tes putatifs de l'animal dont l'apparition les a af-
friandés, le bœuf, qui leur a'passé devant le nez en
plein midi,sort de l'étable hospitalière à la faveur des
ombres delà nuit, et va dans une autre ville ranimer
la vogue d'un autre boucher non moins fallacieux.
Les bœufs sont, par le fait, presque aussi sacrés
chez nous qu'ils l'étaient autrefois enEgypte.Quand,
par hasard, il nous est donné d'en voir figurer une
tranche sur notre table, c'est que l'un de ces quadru-
pèdes nomades est mort de vieillesse ou de fatigue
avant le terme de son voyage. Voilà pourquoi nous
abusons de notre présence à Paris pour manger du
bœuf, encore du bœuf et toujours du bœuf. »
Maintenant, lecteurs, comprenez-vous que l'expo-
sition des produits de l'industrie n'est que le pré-
texte, et que la tranche de bœuf est le véritable motif
de l'affluence des provinciaux à Paris?
Qu'on se le corne !
COURTES REFLEXIONS
A PROPOS D'UNE EONGUE-WE.
Il vient de se passer à Mon-
tauban un fait plaisant dans
ses détails et très important
par ses conséquences, en ce
sens qu'il est de nature à don-
ner une idée à nos gouvernans,
qui n'en ont pas à revendre.
Unofficier de notre garni son,
lequel s'ennuyait autant que le
peut un militaire sous le sys-
tème de paix partout et tou-
jours et d'abaissement à tout
prix, acheta une longue-vue
pour se distraire. Ce projet,
' quoique bien innocent au pre-
mier abord, était pourtant sujet à interprétation.
On pouvait soupçonner l'officier de vouloir, au mo-
yen de son ustensile, jeter un coup d'œil sur les af-
faires de l'État et approfondir des mystères défendus
à tout regard profane. Bref, il pouvait fort bien lui
arriver, pour ce fait de longue-vue, d'être envoyé
dans une citadelle ou dans un bataillon de discipline,
comme cet anarchiste sergent Thiébaux, coupable
d'avoir passé deux heures à rimer une chanson, au
lieu d'aller s'enivrer dans quelque cabaret,ce qui eut
été incomparablement plus décent et plus constitu-
tionnel.
Par hasard, il n'arriva rien à l'officier. Muni de
son emplette, il s'enferma chez lui et braqua sa lon-
gue-vue sur la campagne. Tout en regardant, il
aperçut une maison de-campagne, à une lieue de sa
fenêtre. Jusque-là rien d'extraordinaire. Mais voici
qu'un particulier de mauvaise mine grimpa à une
fenêtre et s'introduisit dans la maison. L'officier
trouva l'itinéraire plaisant. Un quart d'heure après
le quidam ressortit par le même chemin. Bon ! pensa
t'officier, voilà que les gens du logis mettent le visi-
teur à la porte ! Mais quand on met quelqu'un à la
porte par la fenêtre, on le jette et il tombe comme
une pièce de M. Liadières, tout de son long, de ma-
nière à écraser les plates-bandes de fraisiers,s'il y en
a en bas ; or, le quidam redescendait petit à petit et
avec les précautions d'un homme qui tient à ména-
ger son fémur et les plants de fraisiers.
La chose devenait grave. Le particulier de mau-
vaise mine à peine descendu, alla retrouver deux
autres particuliers également de mauvaise mine, et
ous trois se dirigèrent t"grands pas vers un bois
peu éloigné.
« Fort bien, se dit l'officier en posant sa longue-
vue; je tiens un mystère de Montauban. » Il courut
prévenir le commissaire, qni mit ses gens en campa-
gne, et le soir même on arrêtait ces trois personna-
ges, lesquels avaient voulu profiter de l'absence du
propriétaire, de la maison de campagne pour la déva-*
liser un peu ; mais ils comptaient sans la longue-vue
de l'officier.
Voilà le fait. Maintenant est-il besoin d'en déduire
les conséquences?
Un roquet phénicien, mais pauvre comme un con-
tribuable français, voyant son gouvernement, je veux
dire son maître, manger tous les jours des huîtres à
déjeuner, s'en va au bord de la mer, trouve un co-
quillage qu'il prend pour une huître, l'ouvre et dé-
couvre la pourpre. Le maître accourt, s'empare du
secret, fait fortune, et le roquet meurt de faim plus
que jamais, sous les portes cochères deTyr et au mi-
lieu des richesses de la Phénicie. Ceci prouve que les
plus belles découvertes sont dues au hasard et qu'il
faut savoir en profiteur*'
Certainement la longue-vue n'est pas d'invention
récente; mais il est facile d'apercevoir tout le parti
qu'on peut tirer de l'application nouvelle qui vient
d'en être faite.
Le Système, qui voit croître journellement l'affec-
tion publique et dont la confiance dans les sympa-
thies populaires augmente dans le même rapport,
pourrait organiser un corps de lorgnettiers chargés
de surveiller tous les élans de l'allégresse unanime.
On les installerait par petites bandes, sur les tours
Notre-Dame, sur la colonne Vendôme, sur l'arc de
triomphe, sur le dôme du Panthéon, sur les arbres
des Champs-Elysées ; il y en aurait au haut de cha-
que télégraphe, la longue-vue collée à l'œil; et dans
toute la France, il n'y aurait pas un coin de terre où
l'on pût se tenir caché; il serait impossible de bâil-
ler, d'éternuer, de se moucher, de faire claquer ses
doigts à l'insu de l'àutorité. On pourrait même join-
dre aux lorgnettiers un nombre égal d'argus munis
de cornets acoustiques perfectionnés. L'un dirait :
« Tiens! je crois que j'aperçois un anarchiste qui se
glisse dans la forêt de Fontainebleau, à deux lieues
d'ici. — Parbleu! répondrait l'autre, puisque j'en-
tends remuer les feuilles ! »
Je livre cette idée au gouvernement pour ce qu'elle
vaut : mais je crains bien que ce plan de longues-
vues ne sourie guère à nos ministres, qui sont tous
des hommes d'État à courtes vues.
REVUE MUSICALE.
Exercices des élèves au Conservatoire; première re-
présentation de l'Hôtesse de Lyon, musique' de M.
Georges Bousquet ; — les Chœurs de Mendelshon ;
— le Concert espagnol de MM. Cavallini et Ojeda.
Honneur à M. Àuber ! il a voulu, autant qu'il était
en lui, que le grand prix fût désormais une vérité.
11 a essayé de mettre un terme à cette mystification,
ou plutôt à ce guet-apens au moyen duquel on attire
une foule de lauréats dans la carrière musicale, pour
les abandonner ensuite, infortunés Tantales mon
rant d'inanition artistique, entre deux théâtres privi
légiés, dont les portes se ferment impitoyablement
devant eux. M. Auber est venu assurer à ce
maestri en herbe un théâtre, un libretto, un orches
tre et des chanteurs, objets qui jusqu'à ce joJ
n'existaient pour eux qu'à l'état de mirage, de feu*
follets, de merle blanc.
Le nouveau directeur a décidé que, chaque année
un grand prix de Rome serait admis à faire exécuter
par les élevés du Conservatoire un opéra-comique
inédit de sa façon, fil. Bousquet a, le premier, joui
du bienfait de cette disposition aussi louable que lo-
gique. Nous nous empressons d'ajouter que l'essai a
été heureux.'
L'Hôtesse de Lyon renferme plusieurs morceaux
remarquables, entre autres l'ouverture, un duo de
basse et de ténor, un très beau quintetti et les char-
mans couplets de l'hôtelière. Nous sommes d'autant
plus disposés à accorder nos éloges et nos encoura-
gemens à M. Bousquet,que le jeune compositeur pos-
sède réellement le don de la mélodie, cette qualité
aujourd'hui si rare, pour laquelle tant de prétendus
grands lyriques affectent un dédain trop semblable à
celui du renard vis-à-vis des raisins.
La bonne action de M. Auber ne restera pas in-
complète. Nous apprenons qu'après cette représen-
tation, M. Bousquet a pu faire recevoir une partition
à POpéra-Comique.
L'Hôtesse de Lyon, ainsi que- le premier acte du
Comte On/, a été exécutée par des élèves du Conser-
vatoire; c'étaient également des élèves qui occu-
paient l'orchestre sous la direction de M. Habeneck.
C'est un intéressant spectacle que celui de cette jeu-
nesse artistique, pleine d'ardeur, d'espérances, et
aussi, hélas! d'illusions. Ils étaient là une centaine,
placés entre la renommée et la fortune réservées au
succès, et l'obscurité besogneuse qui a ttencl les talens
manquès. Le cœur s'émeut quand on pense que,
sur toutes ces jeunes têtes, plane le terrible peut-être
de Montaigne.
Quelques-uns cependant donnent déjà plus que de
l'espoir ; dans le nombre, nous citerons Mlles Mon-
dutaigny, Leclerc, Morize, MM. Lajet, Chaix, dont la
basse-taille, est puissamment timbrée, et Mathieu,
jeune ténor qui possède une voix fraîche, agréable,
fonctionnant avecbeaucoup d'étendue et de fantaisie,
surtout dans les notes de tête.
— Les Chœurs d'Anûgone.—Un voyant le magni-
fique effet produit par la tragédie du vieux Sophocle,
nous nous sommes pris à regretter que l'œuvre du
maestro athénien qui composa la musique des
chœurs n'ait pu nous être transmise. Qui sait si, lui
aussi, n'aurait pas obtenu un succès résurreetio-
niste, et si les timbales, les grosses caisses et les
cuivres modernes n'auraient pas été forcés de s'in-
cliner devant la simple lyre grecque !
A la vérité, s'il faut en croire les érudits lyriques
et le Nouveau Dictionnaire de MM. Escudier frères,
excellent recueil, toujours bon à consulter, la musi-
que grecque n'était qu'une espèce de mélodie, tou-
jours chantée à l'unisson et renfermée dans un seul
et même ton. D'après ce système, les chants de-
vaient être un peu monotones.
Peut-être M. Mendelshon s'est-il trop préoccupe
de cette tradition en composant les nouveaux chœurs
d'Antigone, dont il a simplifié les modulations afin
de leur donner une couleur locale. Mais son œuvre
est remarquable sous le rapport des combinaisons
harmoniques ; l'hymne à l'amour et l'invocation a
Bacchus sont particulièrement applaudis, Pal'^
qu'ils offrent un rhythme plus animé, plus brillant et
plus varié.
Nous profitons de l'occasion pour dire que le suc-
cès d'Anûgone va croissant. Comme instruction tou-
chant les mœurs et coutumes grecques, le voyage a
l'Odéon remplacera le Voyage du jeune AnachmW'
— L'Espagne ne s'était jusqu'à ce jour révélée a
nous que sous le rapport de ses jaléos zapateaao
cachuchas, etc. ; en d'autres termes, nous la con-
naissions uniquement par les jambes. M. jOjeda e ^
venu nous la faire connaître par le gosier. H nous
initiés aux chants nationaux de son pays,et vraiffl
(La suite à la &° Va9e