L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

, 2 Juillet 18-6. L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE * 7

LE CRAYON DES AUTRES

CARNET PARISIEN

LA MAITRESSE DE PARIS

Paris, qui a un ventre, au dire de M. Zola, pos-
sède aussi un cœur. Singulier cœur, à la fois naïf et
blasé, enthousiaste et sceptique, sujet à tous les ca-
prices et à toutes les inconstances.

Paris-Don-Juan a eu des bonnes fortunes de tous
les genres, des amours de tous les parfums et de
toutes les odeurs. La liste de ses maîtresses dépasse
le chiffre de mille et trois. Un jour, c'est une ambas-
sadrice, le lendemain une chanteuse. Une écuyère,
comme Addah Menken, a succédéàune comtesse.Un
bas bleu a été détrôné par une bouquetière. Grande
dame ou coquine, Paris, cet éternel amant, a tou-
jours une femme en tête.

Pour le moment, la favorite, la maîtresse avouée,
c'est M110 Sarah Bernhardt.

*

Quand Paris a une idole, il n'est pas de bassesses
qu'il ne fasse pour elle. Il profite de ce qu'il est

multiple pour mettre partout l'ovation sous ses
petits pieds. La préférée va-t-elle au théâtre? Il la
suit. Au Salon ? Il y court. Au Bois ? Il l'y devance.
Rentre-t-elle? Il a des Marx qui vont en ville, qui
savent de quelle couleur est la tenture du salon, qui
décrivent l'appartement depuis le paillasson jusqu'au
garde-feu du cabinet de toilette, et qui lui rappor-
tent jusqu'aux noms de la femme de chambre et du
chien favori. Il a des échotiers qui lui font des mots
sur elle et des boulevardiers qui les répètent. Il a
des journaux enfin qui crient tout cela à la province
par-dessus les fortifications , et à l'étranger par-
dessus les mers et les montagnes. Et là-bas, dans
les petites villes, au cercle, au café de la place
d'Armes, on se dit, en lisant la gazette : — Paris
est fou !

Il est fou, en effet, mais de cette belle folie qui
s'appelle l'amour.

Je ne sais pas ce qu'on fera cette semaine au
Sénat et à la Chambre ; j'ignore si l'on suicidera