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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 9.1876

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6

L'ÉCLIPSÉ, REVUE

COMIQUE ILLUSTRÉE

i Juillet 1876.

M. DE MUN

ou

LE CUIRASSIER ÉYANGÉLIQUB

PARABOLE

En ce temps-là, notre saint-père le pape et nossei-
gneurs les cardinaux, réunis au Vatican, prison
ornée de glaces et de peintures à fresque, où les
détient le tyran Victor-Emmanuel, gémissaient et
se lamentaient. En parcourant la carte de l'ancien
et du nouveau continent, ils ne trouvaient plus
qu'un souverain réellement attaché aux enseigne-
ments de l'Eglise. Malheureusement, ce souverain,
nommé don Carlos, ne régnait que sur une seule
ville, Bilhao, sur quelques grands chemins, et sur
les diligences qui avaient le malheur de s'y risquer.

Quant à la France, « la fille ainée de l'Eglise »,
elle était livrée au libéralisme, à l'athéisme, au
communisme, au scepticisme, et à tous les fléaux
en isme, personnifiés par un petit homme habillé
d'une redingote marron et surmonté d'un toupet
blanc, et répondant au nom d'Adolphe Thiers.

Nosseigneurs les cardinaux se demandaient com-
ment il serait possible de ramener ce pays dans les
voies de Dieu, et ils reconnaissaient avec douleur les
difficultés de l'entreprise. Adolphe Thiers, le sinis-
tre vieillard, jouissait d'une grande popularité ; un
seul parti avait osé entreprendre la lutte contre lui,
mais c'était celui des catholiques libéraux, espèce
bâtarde et louche, pire que celle des révolutionnai-
res, guidée par M. le duc Albert de Broglie, esprit
brouillon, parole zézayante, et inspirée par M. de
Falloux, homme de peu de foi, si justement excom-
munié depuis par M. Freppel, d'Angers, évèque.Les
bonnes doctrines n'étaient plus représentées que
par un folliculaire fourbu, Louis Veuillot, homme
sans prestige et d'ailleurs outrageusement grêlé. Or,
monsignor Pandolfini, de la congrégation des rites,
fit judicieusement remarquer que, chez une nation
aussi raffinée et aussi pleine de goût que l'est la
France, il était impossible qu'un homme grêlé, eùt-il
la science et l'éloquence d'un Thomas d'Aquin,d'un
saint Anselme ou d'un saint Bernard, conquit sur
les esprit^ cet ascendant suffisant pour faire triom-
pher les desseins de Dieu, de son lieutenant, le
pape, et de son humble serviteur, Pandolfini. Il
appuya son opinion de citations bien choisies de
notre littérature nationale, et notamment de ce vers
significatif de la Femme à barbe :

Les hommes grêlés ne payeront pas.

Cette argumentation parut décisive au Sacré Col-
lège, et Louis Veuillot fut écarté d'un commun
accord et mis aux invalides de la milice pontificale.

Ce qu'il nous faut, continua le subtil Pandolfini,
c'est un apôtre à cheval, botté, éperonné, casqué,
armé de la longue latte de l'Ange exterminateur,

nouveau saint Georges, terrassant les infidèles, dont
les exploits agiteraient doucement les sacrés cœurs,
je veux dire le cœur des belles, et dont la fière mine
imposerait aux impies. Notre robe rouge n'inspire
plus ni terreur ni confiance, mais la calotte rouge a
gardé tout son empire. On a supprimé la lance, qui
était une belle arme, et les lanciers, qui étaient de
beaux hommes. Mais il nous reste les cuirassiers !
C'est dans leurs rangs qu'il nous faut susciter un
vengeur de l'Eglise.

Le Cuirassier a été trouvé, non pas un de ces durs
à cuire, ayant du poil presque dans les yeux, à la
trogne héroïque et farouche, un cuirassier de Géri-
cault, mais un cuirassier presque imberbe, tiré à
quatre épingles, rasé comme un jeune abbé, gourmé
comme un substitut, ayant cette démarche à la fois
raide et insinuante des épaulettiers élevés à la bro-
chette par les jésuites de la rue des Postes. Doué de
beaucoup de mémoire et de beaucoup d'aplomb, le
dit cuirassier se mit à étudier le jargon ultramon-
tain et à se bourrer la cervelle, comme il avait fait
pour les colles d'examen à l'école Saint-Cyr. Quand
il sut son rôle un peu proprement, il alla donner
des représentations en province, dans les réunious
des cercles catholiques, avec approbation et admira-
tion des évèques. En quelque temps, il devint la co-
queluche de la haute et basse dévotion. Devant
M. le cuirassier comte Albert de Mun, l'étoile des
Dupanloup, des Belcastel, des Cazenove de Pradines,
des Chesnelong même pâlit et s'éclipse. Peu s'en est
fallu qu'il ne fit des miracles comme la dame de la
Salette, comme celle de Lourdes ou de Saint-Palais.
Rendons-lui pourtant cette justice qu'il n'a fait au-
cune espèce de miracles.

Cependant, comme le service da la cuirasse était
un peu négligé par le révérend père Capitaine de
Mun et que d'ailleurs ces canailles de libéraux pous-
saient des cris de paon dans leurs feuilles, il fut
obligé de donner sa démission. Aujourd'hui ce n'est
plus qu'un simpie pékin.

Il s'est fait envoyer à la Chambre par les électeurs
de Pontivy et il a passé sur le ventre d'un chanoine
(horreur !) pour venir défendre à la tribune française
le « droit de Dieu » La première fois qu'il a parlé
devant l'aréopage de la démagogie, il a pris l'air à
la fois modeste et assuré du prince David devant
Saùl.

On l'a écouté avec curiosité, le sourire aux lèvres.
Ce n'est pas encore lui qui abattra l'hydre de l'im-
piété. Il faudra que le Sacré Collège et monsignor
Pandolfini cherchent autre chose. On a commencé
par lui chercher noise sur son élection. Si ce n'était
qu'un simpie La Chevrelière, il serait infailliblement
invalidé, car il y a les plus graves motifs pour cela.
Mais il est possible que la Chambre se montre in-
dulgente, par curiosité, pour entendre jusqu'à la fin
son petit turbulent papiste et le garder sur ses
bancs à titre de phénomène.

La morale de cette histoire, c'est que les capitaines
de cuirassiers qui ne se sentent pas l'étoile suffisante
pour passer colonels ou maréchaux de France, et qui
veulent cependant faire du chemin et du bruit dans
le monde, n'ont qu'un parti à prendre : c'est de se
faire apôtres et enfants du Sacré-Cœur.

L. R.
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