L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

31 Décembre 1876.

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQTJL ILLUSTRÉE

20!)

STORES BAISSÉS

— Qu'est-ce qui vous fait rire?

— Rien... Je pensais que, si nous étions vus, on
pourrait s'imaginer...

— Quoi donc?... Rien de plus simple et de plus
innocent je vous rencontre sortant de la gare du Nord,
où vous venez d'accompagner votre mari, mon ami
Vernois; vous cherchez des yeux une voiture pour
vous rendre au faubourg Saint-Germain; j'en ai une,
et je vais précisément de ce côté; je vous offre de
vous conduire où vous allez : c'est tout naturel.

— Oui, mais le monde est si méchant ; et puis ce
store baissé...

— C'est uniquement pour ue pas avoir le soleil
dans les yeux ; mais si vous y tenez je vais le rele-
ver...

— Inutile : nous aurons moins de chances d'être
remarqués ensemble.

— Voulez-vous que je baisse encore l'autre ?

— Ah! non, par exemple, ce serait trop...

— Pourtant si vous redoutez que l'on vous voie
avec moi. .

— Moi ! pas du tout. Qu'ai je à craindre ? Nous ne
faisons rien de mal.

— Le monde est si méchant! comme vous disiez
tout à l'heure.

— Oh ! le monde m'importe peu... Il n'y à que ma
belle-mère...

— Est-ce que vous êtes mal ensemble ?

— Pas précisément ; nous paraissons nous aimer
beaucoup.

— Ah ! vous paraissez seulement? Et Edouard,
qu'est-ce qu'il dit de cela?

— Lui ! il ne s'occupe que de ses affaires;je crois,
d'ailleurs, qu'il m'aime beaucoup et que sa mère se-
rait mal venue à chercher à me nuire dans son es-
prit.

— Vous voyez bien !

— Mais c'est égal ; je ne voudrais pour rien au
monde qu'elle me vit seule en voiture avec vous ;
c'est une belle-mère...

— Eh bien ?

— Eh bien, il me semble toujours que je vais la
voir...

— Tenez, laissez-moi baisser le store qui est de
votre côté ; ce sera plus sûr, d'autant plus que nous
allons traverser le boulevard...

— Soit ; mais relevez l'autre : il n'y a plus de so-
leil... Eh bien?

— ... Mais le ressort est détraqué, je crois; je n'y
puis parvenir.

— C'est pour rire... Donnez; je vais essayer...

— ... Vous voyez bien.

— C.irame c'est contrariant !... Mais les boulevards
sont passés, et je puis ouvrir de ce côté... Ah! mon
Dieu !...

— Quoi donc ?

— Non, je me suis trompée : cette dame, qui vient,
là... J'avais cru reconnaître...

— Votre belle-mère? Non, ce u'est pas elle; mais,
croyez-moi, ne relevez pas votre s.tore : c'est plus
prudent.

— Peut-être bien... Décidément, je crois que j'ai
eu tort d'accepter votre voiture.

— Voulez-vous, Madame, que je descende et vous
la cède ?

— Oh! non, d'autant plus que vous auriez de la
peine à en retrouver une : voilà qu'il pleut... Rrr...

— Vous avez froid ?

— Un peu, entre les deux épaules... Il faisait beau

LES MÉSAVENTURES DE M. CORBLARD

— Oh ciel! sauvez-vous, Atthur. Voici mon
mari, M. Corblard...

— Eh! eh! de ma vie je n'ai vu pareils mol-
lets... Charmants, délicieux !

— Zélie, ma femme, n'a jamais possédé de tels
charmes.