23 Juillet 1876.
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
25
M. MAURICE ROUVIER
« Si j'étais accusé, a dit un sage, d'avoir volé les
tours de Notre-Dame, je commencerais par me sau-
ver.» M. Rouvier a été accusé de pis que cela : il ne
s'est pas sauvé, et en cela il a été plus sage que le
sage. Il a pensé qu'il y aurait peut-être à Paris des
juges comme il y en a à Berlin. Il est resté, il a de-
mandé des juges : on s'est empressé de lui en don-
ner, et aujourd'hui, après avoir fait face à l'orage,
il peut lever fièrement la tête, sans craindre que les
chastes rédacteurs du plus pudique des journaux,
nous avons
nommé le Fi-
garo, se permet-
tent à son égard
la moindre' al-
lusion équivo-
que.
Trente-quatre
ans! Il a trente-
quatre ans, cet
ennemi de la
famille et de la
propriété , ce
radical, pour
tout dire, que
les gazettes de
la haute gom-
me, que les
feuilles du gou-
vernement gé-
néral de Breda
et lieux circon-
voisins accu-
saient naguère,
dans leur fu-
reur furibonde,
d'un acte de lu-
bricité sénile 1
Il n'avait pas
vingt-neuf ans,
quand il était
choisi par ses
concitoyens des
Bouches-du-
Rhône pour les
représenter,
dans cette Assemblée de Versailles de 1871, où le
parti républicain dut faire des prodiges d'habileté et
d'énergie pour faire triompher les vœux de la
France contre une majorité de marquis de Carabas
élus en un jour de malheur. Cinq ans après, ils lui
renouvelaient son mandat et le récompensaient par
une majorité énorme des services qu'il leur avait
rendus. Car ce jeune homme est un rude travailleur,
qui, du premier coup, a marché de pair avec les
plus vieux et les plus expérimentés parlementaires.
Petit employé d'une maison de commerce de Mar-
seille, il a fait son éducation lui-même. Les heures
de dissipation et de folie, il les a remplies par des
heures de travail et d'étude, et quand il a paru à la
tribune nationale, il ne s'est pas révélé seulement
comme un champion solide et courageux de la Ré-
publique et de la démocratie, mais comme un ora-
l'homme du jour.
teur d'affaires, précis, compétent, rompu aux débats
économiques. Impôts, douanes, tarifs, échanges, il
manœuvrait là dedans comme dans son élément
naturel, si bien qu'un jour on vit ce jeune radical,
dans une question de surtaxe de pavillon qui inté-
ressait la prospérité commerciale de Marseille, em-
porter d'assaut une victoire que l'Assemblée aurait
impitoyablement refusée à l'inépuisable façon de de
son collègue, le vieux Clapier, Clapier, le bourreau
des oreilies, Clapier, le tyran de la tribune, Clapier,
baptisé par Ar-
mand Marrast
«la plus grande
des Bouches-
du-Rhône. »
Bref, à force
de labeur, de
volonté et
d'intelligence ,
Maurice Rou-
vier avait con-
quis une telle
situation, que,
dès la réunion
de la Chambre,
il se voyait ap-
peler au bureau
en qualité de
secrétaire et
nommer, quel-
que temps
après, membre
de la Commis-
sion du budget.
C'était donc un
assez joli gibier
pour la presse à
scandale, et il
n'est pas éton-
nant qu'elle se
soit emballée sur
lui. Si elle avait
pu déshonorer
cet honnête
homme, cet
homme de tra-
vail et d'avenir, quelle aubaine ! Mais M. Rouvier ne
s'est pas laissé faire. Il a eu le mauvais goût de se dé-
fendre. De la Cannebiôre à la place du Châtelet son
innocence est aujourd'hui proclamée, et Clément Du-
vernois se demande avec étonnement, en tressant
ses chaussons de lisière, comment il se peut faire
qu'un républicain,traîné devant la police correction-
nelle, puisse en sortir acquitté. Nos neveux se diront
un jour avec stupéfaction: Le règne de l'ordre moral
venait à peine de finir : un républicain était l'objet
d'une accusation infâme : les juges l'ont absous.
Quant à. nous, nous n'avons qu'une chose à faire :
offrir|à M. Rouvier l'assurance de notre estime et
souhaiter à ses accusateurs de se tirer comme lui
d'affaire si, d'aventure, la justice avait un jour l'in-
discrétion de s'occuper de leurs tristes personnes.
h. r.
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
25
M. MAURICE ROUVIER
« Si j'étais accusé, a dit un sage, d'avoir volé les
tours de Notre-Dame, je commencerais par me sau-
ver.» M. Rouvier a été accusé de pis que cela : il ne
s'est pas sauvé, et en cela il a été plus sage que le
sage. Il a pensé qu'il y aurait peut-être à Paris des
juges comme il y en a à Berlin. Il est resté, il a de-
mandé des juges : on s'est empressé de lui en don-
ner, et aujourd'hui, après avoir fait face à l'orage,
il peut lever fièrement la tête, sans craindre que les
chastes rédacteurs du plus pudique des journaux,
nous avons
nommé le Fi-
garo, se permet-
tent à son égard
la moindre' al-
lusion équivo-
que.
Trente-quatre
ans! Il a trente-
quatre ans, cet
ennemi de la
famille et de la
propriété , ce
radical, pour
tout dire, que
les gazettes de
la haute gom-
me, que les
feuilles du gou-
vernement gé-
néral de Breda
et lieux circon-
voisins accu-
saient naguère,
dans leur fu-
reur furibonde,
d'un acte de lu-
bricité sénile 1
Il n'avait pas
vingt-neuf ans,
quand il était
choisi par ses
concitoyens des
Bouches-du-
Rhône pour les
représenter,
dans cette Assemblée de Versailles de 1871, où le
parti républicain dut faire des prodiges d'habileté et
d'énergie pour faire triompher les vœux de la
France contre une majorité de marquis de Carabas
élus en un jour de malheur. Cinq ans après, ils lui
renouvelaient son mandat et le récompensaient par
une majorité énorme des services qu'il leur avait
rendus. Car ce jeune homme est un rude travailleur,
qui, du premier coup, a marché de pair avec les
plus vieux et les plus expérimentés parlementaires.
Petit employé d'une maison de commerce de Mar-
seille, il a fait son éducation lui-même. Les heures
de dissipation et de folie, il les a remplies par des
heures de travail et d'étude, et quand il a paru à la
tribune nationale, il ne s'est pas révélé seulement
comme un champion solide et courageux de la Ré-
publique et de la démocratie, mais comme un ora-
l'homme du jour.
teur d'affaires, précis, compétent, rompu aux débats
économiques. Impôts, douanes, tarifs, échanges, il
manœuvrait là dedans comme dans son élément
naturel, si bien qu'un jour on vit ce jeune radical,
dans une question de surtaxe de pavillon qui inté-
ressait la prospérité commerciale de Marseille, em-
porter d'assaut une victoire que l'Assemblée aurait
impitoyablement refusée à l'inépuisable façon de de
son collègue, le vieux Clapier, Clapier, le bourreau
des oreilies, Clapier, le tyran de la tribune, Clapier,
baptisé par Ar-
mand Marrast
«la plus grande
des Bouches-
du-Rhône. »
Bref, à force
de labeur, de
volonté et
d'intelligence ,
Maurice Rou-
vier avait con-
quis une telle
situation, que,
dès la réunion
de la Chambre,
il se voyait ap-
peler au bureau
en qualité de
secrétaire et
nommer, quel-
que temps
après, membre
de la Commis-
sion du budget.
C'était donc un
assez joli gibier
pour la presse à
scandale, et il
n'est pas éton-
nant qu'elle se
soit emballée sur
lui. Si elle avait
pu déshonorer
cet honnête
homme, cet
homme de tra-
vail et d'avenir, quelle aubaine ! Mais M. Rouvier ne
s'est pas laissé faire. Il a eu le mauvais goût de se dé-
fendre. De la Cannebiôre à la place du Châtelet son
innocence est aujourd'hui proclamée, et Clément Du-
vernois se demande avec étonnement, en tressant
ses chaussons de lisière, comment il se peut faire
qu'un républicain,traîné devant la police correction-
nelle, puisse en sortir acquitté. Nos neveux se diront
un jour avec stupéfaction: Le règne de l'ordre moral
venait à peine de finir : un républicain était l'objet
d'une accusation infâme : les juges l'ont absous.
Quant à. nous, nous n'avons qu'une chose à faire :
offrir|à M. Rouvier l'assurance de notre estime et
souhaiter à ses accusateurs de se tirer comme lui
d'affaire si, d'aventure, la justice avait un jour l'in-
discrétion de s'occuper de leurs tristes personnes.
h. r.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
L'homme du jour
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Kommentar
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Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)