,7 Décembre i87r, L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
193
CONTE TOUR MLLE A MANDA
Il était une fois une pauvre fille qui demeurait au
sixième étage d'une maison de la rue du Clos-Geor-
geau avec sa tante. Elle était malheureuse comme
les pierres, malgré son nom de Félicité, que sa mar-
raine lui avait donné pour lui porter bonheur. Elle
passait sa vie à coudre, car elle était couturière, et
comme sa tante se grisait toute la journée avec du
cognac et la giflait sans pitié, elle n'avait pas une
minute do repos.
Elle était plus belle que l'aurore ; elle avait des
violettes de Parme dans les yeux, et ses mains fines
étaient aussi douces que le velours qu'elle cousait
pour les grandes dames.
Cependant malgré toute son activité, elle ne ga-
gnait guère plus de quinze sous par jour. Sur ces
quinze sous, la tante en prenait dix pour son cognac
et un pour son tabac, à priser, de sorte qu'il ne res-
tait presque rien pour manger. La pauvre Félicité
était plus maigre que Sarah Bernliardt et souvent elle
était faible à ne pas pouvoir se tenir. Toutefois, elle
avait Famé si généreuse qu'elle ne murmurait ja-
mais contre sa tante et se contentait d'un sou de
pain noir avec un peu de mauvais brie et de vin qui
l'ait tourner les moulins.
Le grenier où elle demeurait sous les tuiles ne
valait guère mieux que s'il avait été dessus, car la
pluie y coulait et le vent remuait la chandelle.
Pour le mobilier, il va sans dire qu'il était au
clou.
Pourtant, on voyait une souris qui ne laissait pas
de s'y plaire. Kilo passait des heures àr?garder Fé-
licité pousser son aiguille ou son passe-lacet, jus-
qu'au jour où la tante, qui était si mauvaise qu'elle
n'aimait pas plus lessouris que sa nièce,dit à celle-
ci de sa grosse voix enrouée :
— Félicité, garde les deux sous de ton diner pour
de « la poison » pour ces sales bêtes; elles sont si
effrontées qu'un de ces jours elles boiraient mon co-
gnac.
Remarquez bien qu'il n'y en avait qu'une seule,
mais les gens qui boivent exagèrent toujours. Du
reste, c'était la plus jolie souris qui se puisse ima-
giner, avec ses beaux yeux noirs, éveillés comme
i ceux de la Patti ; et puis elle était si mignonne et
toujours si bien parfumée de lavande que c'était un
plaisir.
Félicité qui n'allait jamais à la promenade, ni au
café chantant, car elle n'avait pas d'amies, n'ayant
pas d'argent, fut bien en peine.
— ; h quoi ! dit-elle, ma pauvre souris, ma seule
compagne, est presque aussi abandonnée que moi et
ma tante veut « la périr! »
Elle descendit en pleurant pour aller demander
de « la poison. » Mais elle n'était pas encore au
deuxième étage qu'elle se repentit et au lieu de
poison, elle rapporta pour deux sous d'avelines
qu'elle éparpilla bien gentiment près du trou de la
souris.
Celle-ci, qui avait écouté la tante crier après elle,
avait suivi Félicité pour voir si elle aurait la mau-
vaiseté de l'empoisonner.
Elle fut vivement émue du dévouement de la
brave enfant, et comme elle était magicienne, elle
résolut de la protéger.
Le soir, comme la tante était soûle et venait de
s'endormir lourdement, pendant que Félicité cousait
à la chandelle fumeuse, la souris quitta son trou et
fit la révérence en disant :
— Mademoiselle, je vous présente mes civilités.
— Vous êtes bien aimable de penser à une pauvre
fille comme moi, dit Félicité de sa voix pleine de
! musique.
HISTOIRE DE WAGON
— Tiens, c'est drôle! moi aussi je vais à Madrid pour affaires, je ne'
Vous quitte plus, nous ferons route ensemble.
— Nous allons entrer sous le tunnel de Sacradio,le pluslong de tous !es
souterrains de l'Europe.
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CONTE TOUR MLLE A MANDA
Il était une fois une pauvre fille qui demeurait au
sixième étage d'une maison de la rue du Clos-Geor-
geau avec sa tante. Elle était malheureuse comme
les pierres, malgré son nom de Félicité, que sa mar-
raine lui avait donné pour lui porter bonheur. Elle
passait sa vie à coudre, car elle était couturière, et
comme sa tante se grisait toute la journée avec du
cognac et la giflait sans pitié, elle n'avait pas une
minute do repos.
Elle était plus belle que l'aurore ; elle avait des
violettes de Parme dans les yeux, et ses mains fines
étaient aussi douces que le velours qu'elle cousait
pour les grandes dames.
Cependant malgré toute son activité, elle ne ga-
gnait guère plus de quinze sous par jour. Sur ces
quinze sous, la tante en prenait dix pour son cognac
et un pour son tabac, à priser, de sorte qu'il ne res-
tait presque rien pour manger. La pauvre Félicité
était plus maigre que Sarah Bernliardt et souvent elle
était faible à ne pas pouvoir se tenir. Toutefois, elle
avait Famé si généreuse qu'elle ne murmurait ja-
mais contre sa tante et se contentait d'un sou de
pain noir avec un peu de mauvais brie et de vin qui
l'ait tourner les moulins.
Le grenier où elle demeurait sous les tuiles ne
valait guère mieux que s'il avait été dessus, car la
pluie y coulait et le vent remuait la chandelle.
Pour le mobilier, il va sans dire qu'il était au
clou.
Pourtant, on voyait une souris qui ne laissait pas
de s'y plaire. Kilo passait des heures àr?garder Fé-
licité pousser son aiguille ou son passe-lacet, jus-
qu'au jour où la tante, qui était si mauvaise qu'elle
n'aimait pas plus lessouris que sa nièce,dit à celle-
ci de sa grosse voix enrouée :
— Félicité, garde les deux sous de ton diner pour
de « la poison » pour ces sales bêtes; elles sont si
effrontées qu'un de ces jours elles boiraient mon co-
gnac.
Remarquez bien qu'il n'y en avait qu'une seule,
mais les gens qui boivent exagèrent toujours. Du
reste, c'était la plus jolie souris qui se puisse ima-
giner, avec ses beaux yeux noirs, éveillés comme
i ceux de la Patti ; et puis elle était si mignonne et
toujours si bien parfumée de lavande que c'était un
plaisir.
Félicité qui n'allait jamais à la promenade, ni au
café chantant, car elle n'avait pas d'amies, n'ayant
pas d'argent, fut bien en peine.
— ; h quoi ! dit-elle, ma pauvre souris, ma seule
compagne, est presque aussi abandonnée que moi et
ma tante veut « la périr! »
Elle descendit en pleurant pour aller demander
de « la poison. » Mais elle n'était pas encore au
deuxième étage qu'elle se repentit et au lieu de
poison, elle rapporta pour deux sous d'avelines
qu'elle éparpilla bien gentiment près du trou de la
souris.
Celle-ci, qui avait écouté la tante crier après elle,
avait suivi Félicité pour voir si elle aurait la mau-
vaiseté de l'empoisonner.
Elle fut vivement émue du dévouement de la
brave enfant, et comme elle était magicienne, elle
résolut de la protéger.
Le soir, comme la tante était soûle et venait de
s'endormir lourdement, pendant que Félicité cousait
à la chandelle fumeuse, la souris quitta son trou et
fit la révérence en disant :
— Mademoiselle, je vous présente mes civilités.
— Vous êtes bien aimable de penser à une pauvre
fille comme moi, dit Félicité de sa voix pleine de
! musique.
HISTOIRE DE WAGON
— Tiens, c'est drôle! moi aussi je vais à Madrid pour affaires, je ne'
Vous quitte plus, nous ferons route ensemble.
— Nous allons entrer sous le tunnel de Sacradio,le pluslong de tous !es
souterrains de l'Europe.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Histoire de wagon
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)