Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Faure, Élie
Histoire de l'art (1): L' art antique — Paris: Éditions d'histoire et d'art, Librairie Plon, 1939

DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.70254#0117
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
décor dès que la proie se dérobe. Il va d’un bond à cette proie, et par n’im-
porte quel chemin, le plus souvent sans réfléchir. La réflexion vient quand
surgit l’obstacle, et le péril. Le Grec redoute deux choses, la responsabilité
et la mort. Il ne suit jamais jusqu’au bout celui qui recherche l’une et qui
sait accepter l’autre et, après l’avoir soudain idolâtré parce qu il flattait
son désir en attisant son imagination, il lui réserve, brusquement, la
calomnie et le martyre. Comme ce désir l’entraîne au delà de ses moyens,
ce sont les moyens de son chef qu’il accuse, si ce désir n est pas pleinement
satisfait. Le grand homme, c’est l’ennemi, parce que ses gestes provoquent
la réflexion, l’action, la guerre. La guerre perpétuelle, qui n est que la
passion transportée dans le plan politique, entretenue par l instabilité,
la déroute, la renaissance du désir, l’impossibilité d’y renoncer à cause
de la proie visible, l’impossibilité de la conduire à sa fin a cause des sacri-
fices et des misères qu’elle conditionne et entretient. L’Apollinisme en est
le fruit, d’autant plus splendide, il faut le dire, que le drame, plus terrible,
forme quelques hommes supérieurs plus ardents à le maîtriser. Il est l ordre
idéal établi par l’esprit dans le chaos des opinions et des interets antago-
nistes, la rivalité sauvage des partis, le besoin frénétique, à tout instant
rompu, de saisir un bien matériel à qui les convoitises déchaînées prêtent
une apparence de fantôme changeant et fuyant sans repos, l’irruption con-
tinue, dans l’imagination surexcitée d’une multitude intelligente, turbu-
lente, insatiable, d’images claires et précises qu’elle compte réaliser. La
grande gymnastique en est l’expression sociale essentielle, qui maintient
dans le tumulte le désir impérieux d’imposer à tous une discipline capable
d’assurer la continuité de l’effort intellectuel même. Le grand homme,
artiste ou guerrier, est comme un nerf tendu entre les deux extrémités
d’un arc toujours vibrant que le sang et la fange souillent. Et par elle, et
par lui, cette race vile, mais passionnée et que la soif de dominer ravage,
est quand même une grande race, ce qui prouve, une fois de plus, que la
civilisation et la morale sont choses qui ne coïncident pas toujours. Le Grec
ne valait moralement pas mieux aux temps de Périclès, ni même de Pisis-
trate, qu’aux temps moins héroïques de Philippe ou de Sylla. Mais il
n’avait pas perdu sous Périclès ou Pisistrate, l’énergie vitale terrible qui
lui permit de traverser de part en part le drame en y puisant le privilège
de déléguer à quelques hommes la mission de le styliser. L’immoralité ne
commence que quand la force décroît.
On voit désormais pourquoi, dans les manifestations les plus hautes
même du génie grec, ne vit aucune illusion supérieure. Il s’agit simplement

— 75 —
 
Annotationen