Là, sa science le sert. Il peut faire sortir du mur les volumes qu'il
veut, y enfoncer les autres, éblouir par l'audace et la force des rac-
courcis, retenir, lâcher à sa guise l'obscurité et la lumière. Il peut plier
l'orage de son rêve au joug d'une effrayante volonté. Quand ses écha-
faudages tombent, il y a sur l'immense voûte cent colosses vivants,
groupés ou solitaires, cent corps herculéens qui font trembler le temple
et semblent créer la tempête qui roule dans le vaisseau, emportant
leurs clameurs dans le vol des nuages et le tourbillon des soleils.
Quand on n'est pas venu là, quand on n'a pas vu cette œuvre,
on ne peut l'imaginer. Il faut l'entendre. Je dis l'entendre. C'est le
drame de la Genèse, plus haut. Le symbolisme du formidable esprit
biblique y multiplie sa force du contact de la raison. On ne voit plus
que l'homme, confronté avec son destin. On ne connaît plus rien de
la vie environnante. On est au bord du gouffre primitif. Les bleus
éteints, les gris argentés, les rouges sombres y font comme une pous-
sière d'or pâle pareille à celle qui traîne dans le sillage des comètes
et dont la voie lactée remplit les espaces sidéraux. Dieu erre dans sa
solitude. Les astres naissent. L'éclair passe du doigt de Dieu au doigt
de l'homme. L'aïeule jeune et nue sort du sommeil, montrant ses
mamelles, ses flancs qu'on n'épuisera pas. La première douleur sort
du premier espoir. Le déluge écrase la vie, resserre les enlacements
pour mieux briser les membres noués comme des vignes aux membres.
De puissantes maternités se devinent dans l'ombre, les prophètes
tonnent, les Sibylles ouvrent et ferment le livre du destin. Au fond,
aux derniers jours, la bestialité primitive entasse des grappes de corps
au hasard des étreintes, le temple croule, la croix elle-même est déra-
cinée par l'orage. Le vent qui s'est levé aux origines souffle jusqu'à
la fin. Les figures de la beauté, de la fécondité, de la jeunesse y tour-
noient comme des feuilles.
Sans doute, il est le seul qui ait osé s'emparer de la peinture pour
exprimer la tragédie morale et qui n'ait pas été vaincu. Quand on
possède à ce degré la forme, quand elle s'épanche de vous avec les
soubresauts des muscles, les tortures de la chair, l'horreur de la médi-
tation sur l'oubli et la mort, on a le droit de s'en servir comme d'une
arme et de lui commander d'obéir à l'esprit. C'est comme un être
emporté par un fleuve et qui aurait la puissance de se retourner tout
d'un coup, de l'arrêter des deux mains et de la poitrine et de lui faire
remonter son cours. A la veille de s'endormir, l'Italie retrouvait les
paroles de fer de Dante. La Grèce avait découvert son âme dans la
forme, Israël avait tenté d'imposer son âme à la forme, sans se douter
de la grandeur vivante que le verbe, qui est forme aussi, lui donnait.
Un homme vint qui avait à la fois les sens d'un artiste et le cœur d'un
— 71 —
veut, y enfoncer les autres, éblouir par l'audace et la force des rac-
courcis, retenir, lâcher à sa guise l'obscurité et la lumière. Il peut plier
l'orage de son rêve au joug d'une effrayante volonté. Quand ses écha-
faudages tombent, il y a sur l'immense voûte cent colosses vivants,
groupés ou solitaires, cent corps herculéens qui font trembler le temple
et semblent créer la tempête qui roule dans le vaisseau, emportant
leurs clameurs dans le vol des nuages et le tourbillon des soleils.
Quand on n'est pas venu là, quand on n'a pas vu cette œuvre,
on ne peut l'imaginer. Il faut l'entendre. Je dis l'entendre. C'est le
drame de la Genèse, plus haut. Le symbolisme du formidable esprit
biblique y multiplie sa force du contact de la raison. On ne voit plus
que l'homme, confronté avec son destin. On ne connaît plus rien de
la vie environnante. On est au bord du gouffre primitif. Les bleus
éteints, les gris argentés, les rouges sombres y font comme une pous-
sière d'or pâle pareille à celle qui traîne dans le sillage des comètes
et dont la voie lactée remplit les espaces sidéraux. Dieu erre dans sa
solitude. Les astres naissent. L'éclair passe du doigt de Dieu au doigt
de l'homme. L'aïeule jeune et nue sort du sommeil, montrant ses
mamelles, ses flancs qu'on n'épuisera pas. La première douleur sort
du premier espoir. Le déluge écrase la vie, resserre les enlacements
pour mieux briser les membres noués comme des vignes aux membres.
De puissantes maternités se devinent dans l'ombre, les prophètes
tonnent, les Sibylles ouvrent et ferment le livre du destin. Au fond,
aux derniers jours, la bestialité primitive entasse des grappes de corps
au hasard des étreintes, le temple croule, la croix elle-même est déra-
cinée par l'orage. Le vent qui s'est levé aux origines souffle jusqu'à
la fin. Les figures de la beauté, de la fécondité, de la jeunesse y tour-
noient comme des feuilles.
Sans doute, il est le seul qui ait osé s'emparer de la peinture pour
exprimer la tragédie morale et qui n'ait pas été vaincu. Quand on
possède à ce degré la forme, quand elle s'épanche de vous avec les
soubresauts des muscles, les tortures de la chair, l'horreur de la médi-
tation sur l'oubli et la mort, on a le droit de s'en servir comme d'une
arme et de lui commander d'obéir à l'esprit. C'est comme un être
emporté par un fleuve et qui aurait la puissance de se retourner tout
d'un coup, de l'arrêter des deux mains et de la poitrine et de lui faire
remonter son cours. A la veille de s'endormir, l'Italie retrouvait les
paroles de fer de Dante. La Grèce avait découvert son âme dans la
forme, Israël avait tenté d'imposer son âme à la forme, sans se douter
de la grandeur vivante que le verbe, qui est forme aussi, lui donnait.
Un homme vint qui avait à la fois les sens d'un artiste et le cœur d'un
— 71 —