►»ToT< ANDRÉ GILL ** 55 SSSI
Bonaparte, c'est dans l'ordre, ce serait à douter de tout s'il en était
autrement... Les ateliers et les magasins seront fermés le jour des funé-
railles de Victor Noir; l'affluence sera donc considérable, et nous engageons
les gardes nationaux à s'y rendre en uniforme, afin de maintenir l'ordre. »
La Cloche, de Louis Ulbach, ajoute : « Nous ne promènerons pas ce
cadavre en criant vengeance ; nous le voilerons plutôt pour demander justice.
La balle qui a tué Victor Noir va ricocher loin ! »
Pendant que s'imprimaient ces lignes, André Gill faisait le portrait de la
victime. Il raconte ainsi cette veillée funèbre1 :
«... Sept heures du soir; j'étais nonchalamment étendu sur mon lit...
quand un cri me fit sursauter.
— Vous savez que Victor est assassiné !
C'était Marotcau Gustave, mort depuis à l'île Nou, qui me lançait cela
dans l'emportement de sa course à me venir chercher, et le coup de vent de
la porte violemment ouverte.
— Quoi? Quel Victor? Hugo?
Eh! non. Victor Noir. Vite, venez : Rochefort m'envoie vous cher-
cher; il nous faut le portrait du mort pour la Marseillaise de demain. Un
fiacre nous attendait à la porte de l'hospice. Nous partîmes, traversant tout
Paris, muets, songeurs, indignés.
Par-ci, par-là, des groupes se découpaient en noir dont l'agitation
décelait la colère populaire.
La rue de Rivoli, les Champs-Elysées, puis la grande avenue de Neuilly,
toujours tout droit. Enfin la voiture obliqua sur la droite et nous atteignîmes
le passage Masséna.
Des foules y stationnaient.
On entrait, on sortait, des imprécations se croisaient dans la nuit.
Nous montâmes ; le frère et la sœur nous reçurent et, nous serrant silen-
cieusement la main, ils nous montrèrent l'escalier.
Je me rappelle encore le logis du pauvre diable, le premier qu'il eût pu
meubler à ses frais, avec la bibliothèque exagérée, son étroit lit de fer, et
le chapeau de ses jours malheureux, un tube en poil de lapin, pendu comme
un lustre au plafond.
Le mort était couché dans la seconde pièce. Il avait aux mains ses
1. Le Chat noir, 13 mai 1882.
Bonaparte, c'est dans l'ordre, ce serait à douter de tout s'il en était
autrement... Les ateliers et les magasins seront fermés le jour des funé-
railles de Victor Noir; l'affluence sera donc considérable, et nous engageons
les gardes nationaux à s'y rendre en uniforme, afin de maintenir l'ordre. »
La Cloche, de Louis Ulbach, ajoute : « Nous ne promènerons pas ce
cadavre en criant vengeance ; nous le voilerons plutôt pour demander justice.
La balle qui a tué Victor Noir va ricocher loin ! »
Pendant que s'imprimaient ces lignes, André Gill faisait le portrait de la
victime. Il raconte ainsi cette veillée funèbre1 :
«... Sept heures du soir; j'étais nonchalamment étendu sur mon lit...
quand un cri me fit sursauter.
— Vous savez que Victor est assassiné !
C'était Marotcau Gustave, mort depuis à l'île Nou, qui me lançait cela
dans l'emportement de sa course à me venir chercher, et le coup de vent de
la porte violemment ouverte.
— Quoi? Quel Victor? Hugo?
Eh! non. Victor Noir. Vite, venez : Rochefort m'envoie vous cher-
cher; il nous faut le portrait du mort pour la Marseillaise de demain. Un
fiacre nous attendait à la porte de l'hospice. Nous partîmes, traversant tout
Paris, muets, songeurs, indignés.
Par-ci, par-là, des groupes se découpaient en noir dont l'agitation
décelait la colère populaire.
La rue de Rivoli, les Champs-Elysées, puis la grande avenue de Neuilly,
toujours tout droit. Enfin la voiture obliqua sur la droite et nous atteignîmes
le passage Masséna.
Des foules y stationnaient.
On entrait, on sortait, des imprécations se croisaient dans la nuit.
Nous montâmes ; le frère et la sœur nous reçurent et, nous serrant silen-
cieusement la main, ils nous montrèrent l'escalier.
Je me rappelle encore le logis du pauvre diable, le premier qu'il eût pu
meubler à ses frais, avec la bibliothèque exagérée, son étroit lit de fer, et
le chapeau de ses jours malheureux, un tube en poil de lapin, pendu comme
un lustre au plafond.
Le mort était couché dans la seconde pièce. Il avait aux mains ses
1. Le Chat noir, 13 mai 1882.